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J’ai été élève à Gerson au primaire, au collège et au lycée. Et j’ai pendant de nombreuses années donné des cours de caté à Gerson, même si je ne le fais plus depuis quelques années. (Et je n’ai jamais évoqué l’avortement, ou particulièrement vu que d’autres le fassent.)
Bon, cela étant dit, pas besoin d’avoir fréquenté longuement la chapelle de l’école de la rue de la Pompe pour s’agacer face aux sorties des médias à propos des cours de catéchisme dans cette école. La raison en est simple : tous les travaux de journalisme liés à cette “histoire” sont d’une incompétence tellement crasse qu’il est impossible d’établir le moindre fait qui pourrait être commenté.
Je dis cela non en tant que “catho”, mais en tant que multirécidiviste d’actes de journalisme. Pour avoir travaillé non seulement dans le journalisme, mais aussi dans la finance et les nouvelles technologies, je suis bien placé pour savoir que la méconnaissance de leur sujet par les journalistes est un phénomène qui ne concerne pas seulement la religion, bien qu’il soit particulièrement caractérisé dans ce domaine.
Par où commencer ?
Par le titre, déjà. Quels sont les faits allégués ? Gerson, école catholique sous contrat, aurait des cours de caté (jusqu’à présent, rien de choquant, non?). Dans un de ces cours de caté, il y aurait eu condamnation de l’avortement. Dont acte. C’est, en gros, tout.
Quels sont les titres ?
Europe 1: Des dérives intégristes agitent un lycée catholique
Le Figaro (dans un simple reblog de l’article d’Europe 1, par qui le trouble semble avoir commencé) : Une école catholique accusée d’intégrisme (qu’on m’explique encore que le Fig’ est un porte-voix catholique…)
Et là, la seule réaction possible, c’est… soupir. Ok, une fois pour toute : le terme “intégriste” (ou “tradi”) renvoie à un groupe particulier de personnes : ceux qui rejettent tout ou partie des réformes théologiques et liturgiques du Concile de Vatican II. En gros, (en très très très gros), ils préfèrent la messe en latin.
Le fait d’être contre l’avortement n’a aucun rapport avec le fait d’être intégriste. Ca n’est juste pas le même sujet. Cela n’a pas de rapport. Pour preuve, par exemple : les évêques de France, n’ont jamais caché ni renié leur opposition à l’avortement, mais sont absolument honnis par les intégristes, puisque ces évêques sont également fidèles au Concile Vatican II et ne disent pas la messe en Latin.
Ce serait comme de consacrer un article aux critiques de la politique économique de Manuel Valls et de titrer “Manuel Valls accusé de porter des cravates laides.” Manuel Valls porte peut être des cravates laides, et sa politique économique est peut être critiquable, mais la seule réaction possible c’est un gros “et puis quoi encore ?”.
C’est vrai que beaucoup d’intégristes sont “en pointe” (et souvent les plus farouches) dans la lutte contre l’avortement. Tout comme on peut porter des cravates laides ET avoir une politique économique critiquable. Mais, encore une fois, être intégriste et être contre l’avortement, cela n’est pas le même sujet. Encore une fois, ne serait-ce que parce que les intégristes se définissent par leur opposition aux “organes officiels” de l’Eglise, et que ces organes officiels de l’Eglise sont…contre l’avortement. Donc déjà, on sait d’emblée qu’on est dans le grand n’importe quoi. Néanmoins, poursuivons.
Là l’histoire tombe sur un autre écueil, qui est le suivant. On accuse des intervenants d’avoir dit qu’une fille qui prend la pilule du lendemain est “semi-meurtrière.” (Parce qu’elle était semi-enceinte ?) Désolé de commencer par les bases du journalisme, mais par quoi ce fait est-il avéré ? Dans tous les articles que j’ai lu, j’ai vu UNE source, une adolescente qui a répété les propos à la presse.
En fait—factuellement—toute cette histoire est donc fondée uniquement sur du on-dit et une seule source secondaire.
Source secondaire dont il est permis de douter de la crédibilité, non pas parce que les cathos sont gentils et les autres méchants, mais parce que quiconque a enseigné dans un milieu scolaire, ou se souvient de ses propres années dans ledit milieu, se rendra compte qu’il arrive relativement souvent que, dans une salle de classe, on dise à un élève une chose et qu’il en entende une autre. Surtout sur des sujets conflictuels et délicats où nous avons tous tendance à nous laisser emporter par nos émotions (ce qui n’arrive jamais aux adolescents, on le sait) et à sur-interpréter des propos. C’est ce qu’il y a de plus humain.
Attention: je ne dis pas du tout qu’il est impossible que les intervenants en question aient, pour employer un vocabulaire technique, tout simplement “merdé”. Soit en s’expriment mal sur ces choses, soit en racontant n’importe quoi.
Mais le simple fait est là : on se retrouve avec un pataquès médiatique entièrement fondé sur un on-dit de seconde main pas crédible. Sur des “faits” qui ne sont ni avérés ni corroborés ni corroborables. D’ailleurs, et là on s’approche vraiment de la frontière entre l’incompétence et la fraude pure et simple, l’article du Figaro cite le communiqué de l’établissement mais ne cite PAS cette phrase : “les autres retours [d’élèves] ne font pas état d’un tel discours.”
Je suis certain que le directeur de Gerson et ses équipes sont en train de passer une sale semaine, et tout ça pour ça. La magie de Google aidant, des dizaines de parents cherchant une école vont taper “Gerson” dans Google et trouver des articles qui gueulent “Gerson = intégristes”, basés sur aucun fait avéré, ce qui va porter un vrai préjudice à l’établissement pendant de longues années. Chapeau, vraiment. Ca sert d’avoir fait une école de journalisme.
Bon, il y aurait tant d’autres choses à dire.
Premièrement, rappeler quelques évidences qui pour certains ne rentrent pas : l’Eglise catholique existe (si, si) ; cette Eglise a une doctrine ; un des points de cette doctrine est le rejet de l’avortement ; dans une école catholique, on enseigne la doctrine de l’Eglise catholique (et les non-cathos sont dispensés de cours de caté) ; il est parfaitement possible de mal le faire, ou le faire de manière insensible, ou bête, ou en disant des bêtises ; il est parfaitement possible que dans un cours de caté dans une école catho, il y ait des intervenants qui racontent n’importe quoi (tout comme il est très possibles que des profs laïcs de matières laïques dans des écoles laïques racontent n’importe quoi… ) ; il est parfaitement possible de ne pas être d’accord avec la doctrine de l’Eglise (tous mes profs de philo au lycée étaient soit d’extrême gauche soit d’extrême droite (pas à Gerson!) et pourtant j’ai survécu) ; mais, en soi, que des propos critiques envers l’avortement soient tenus dans le cadre d’un cours de caté dans une école catholique, ce n’est pas choquant. Personne n’est tenu de mettre ses enfants dans l’enseignement catholique ; et même ceux qui y mettent leurs enfants ne sont pas tenus de les envoyer au caté.
Deuxièmement, là où cette histoire rentre dans le mélange d’incompétence et de fantasmagorie le plus absurde, c’est avec les mentions de l’Opus Dei, qui arrive à la fin comme (je pèse mes mots) le juif qui tire toutes les ficelles dans un film antisémite. Hé, les mecs, on n’est pas dans un roman de Dan Brown. Encore une fois, on mélange tout : l’Opus Dei, l’intégrisme, Tugdual Derville, Alliance Vita, tout ça, c’est pareil. C’est vraiment du n’importe quoi le plus fantasmagorique.
C’est comme les cartes de Fox News qui vous placent la Syrie en Europe de l’Est. L’Opus Dei est un mouvement religieux comme il en existe plein dans l’Eglise catholique, dont l’objectif est surtout la prière et ce genre de choses. Je ne fais pas partie de l’Opus Dei et je ne les connais pas bien, mais je sais qu’ils ne sont pas intégristes. D’ailleurs les intégristes sont connus pour détester l’Opus Dei ; pourtant l’Opus Dei est décrit non seulement comme une mouvance intégriste “mais pas n’importe [laquelle]”.
Et l’idée que, s’il y a des profs à Gerson qui sont à l’Opus Dei, c’est la preuve d’une espèce de conspiration et de noyautage, c’est non seulement ridicule, mais franchement paranoïaque. On attend vraiment le complot judéo-maçonnique pour compléter le portrait. (Enfin, si je dis ça, c’est que je dois être noyauté par l’Opus Dei.)
Et que dire de cette prof qui dit que critiquer l’avortement dans un cours de caté c’est “l’imposition d’une vision des plus obscurantistes de notre société”. Elle est libre de ses opinions, mais si c’est ce qu’elle pense du magistère de l’Eglise, on se demande pourquoi elle travaille pour elle. En tout cas, le journaliste qui reproduit ces propos sans commentaire est un tâcheron. On pourrait dire, en somme, beaucoup de choses, encore, mais je vais m’arrêter ici.
Je vais finir par un ou deux propos.
D’abord, une petite anecdote. Ca tombe bien, elle se passe à Gerson. Au collège, une fois, on a eu droit à une intervention sur le thème…DE LA DROGUE (dunn dunn dunn!). L’intervenant parfaitement compétent était un scientifique, et le thème global de l’intervention était clairement qu’il valait mieux ne pas se droguer. Mais comme l’intervenant n’était pas malhonnête (et, intelligemment, ne prenait pas son audience pour des cons), il a bien été forcé de dire que si on fume du cannabis une-deux fois, on n’en mourra pas forcément pour autant. Evidemment, des gamins sont sortis du truc et ont dit à leurs parents “Maman, Maman ! A l’école ils nous ont dit que les drogues c’est pas dangereux ! ” Et évidemment les parents se sont scandalisés que leur école ENCOURAGE LES ENFANTS A SE DROGUER. Toute ressemblance avec des événements récents est évidemment fortuite…
Une deuxième chose au sujet de Gerson : j’ai roulé ma bosse dans l’enseignement catho, et Gerson est la seule école que j’ai rencontrée qui soit vraiment catholique. Pas au sens de l’enseignement religieux, qui n’avait de remarquable que sa parfaite similarité avec l’enseignement religieux partout ailleurs, mais au sens de l’état d’esprit de l’école. Je me suis retrouvé plusieurs fois en état d’échec scolaire. D’autres écoles catho (surtout celles huppées et bien classées) m’ont, en gros, lâché comme une chaussette. Gerson est la seule école que j’ai connue où les élèves étaient traités comme des individus et pas des numéros, contrairement à 100% de l’Education nationale et 99% de l’enseignement catholique sous contrat. Gerson a été la première école parisienne a créer des classes pour enfants précoces.
Elle a aussi créé des classes de soutien scolaire pour les élèves qui, au contraire, ont du retard. Aucun rapport avec le caté, mais tout le rapport avec le catholicisme : essayer de faire le mieux pour chacun, de s’adapter à chacun, d’aider chacun là où il est, de servir la personne et pas les ambitions, comme l’exhorte sans arrêt le pape François. Il n’est pas exagéré de dire que sans Gerson, je me serais peut être suicidé, ou pire. Et à cause de ça, Gerson est parfois mal considéré dans les milieux huppés : contrairement à d’autres, ils se refusent à obtenir les meilleurs scores au Bac en virant tout ceux dont ils ne sont pas sûrs qu’ils auront une mention.
Gerson a été la seule école où, au moins un peu, j’étais heureux d’aller à l’école. Après et avant Gerson, pour moi, l’école, c’était le calvaire. Pour moi, c’est ça, Gerson. Et voir cette école à qui je dois tant se faire traîner dans la boue à cause de préjugés et d’ignorance et d’incompétence me dégoûte.