Pour qu'Aleteia poursuive sa mission, faites un don déductible à 66% de votre impôt sur le revenu. Ainsi l'avenir d'Aleteia deviendra aussi la vôtre.
*don déductible de l'impôt sur le revenu
Thérèse Hargot est sexologue, et a publié Une jeunesse sexuellement libérée (ou presque), paru chez Albin Michel le 4 février dernier.
Aleteia : Aujourd’hui 8 mars – comme tous les ans depuis 1982 en France, a lieu la Journée de la femme. L’occasion pour les associations féministes de revendiquer l’égalité des sexes. Mais cette libération n’aurait-elle pas desservi la cause des femmes ?
Thérèse Hargot : Effectivement, les féministes ont, depuis 50 ans, lutté pour l’égalité, et l’égalité stricte : il s’agissait d’obtenir les mêmes droits que les hommes, de gagner autant d’argent qu’eux, d’accéder aux mêmes emplois, aux mêmes sphères qu’eux. On comprend bien cette revendication, mais le problème est qu’elle n’a valorisé que la poursuite d’un idéal masculin, alors même qu’elle était portée par des femmes !
Au bout du compte, la société n’a pas su se mettre au service des femmes. La plupart du temps, c’est la femme qui doit s’adapter, en grande partie parce que l’on n’a pas accordé assez d’attention aux sphères plus féminines. Une des solutions à cette difficulté serait de revaloriser les sphères de travail habituellement réservées aux femmes, comme celle du soin. Cela passe notamment par une revalorisation des salaires de celles (et ceux !) qui prennent soin des autres, dans les crèches par exemple.
Que pensez-vous de cette initiative de décréter une Journée de la femme ? Sert-elle réellement la cause féminine ?
Ce qui me gêne avec cette journée, c’est l’idée d’un combat réservé aux femmes sans y associer les hommes. On a voulu résoudre les problèmes des femmes sans comprendre qu’ils concernent aussi les hommes ! À force de penser en termes de “problèmes de femmes”, on n’a pas vu qu’il s’agissait fondamentalement de problèmes de société. Je pense qu’il faut arriver à sortir de cette logique binaire, stérile de la lutte des sexes, pour arriver à une coopération entre les femmes et les hommes.
Depuis la sortie de mon livre, je reçois régulièrement des messages de femmes qui témoignent du réel intérêt que suscite mon discours chez leur conjoint. Les hommes et les femmes doivent se retrouver pour bâtir le féminisme de demain ; la lutte des sexes est terminée, vive la réconciliation !
Quels seraient les combats que vous souhaiteriez mener à l’occasion de cette Journée ?
Il y en a plusieurs. Le premier concerne la question de la maîtrise de la fécondité. On ne peut plus se satisfaire de la contraception hormonale, qui rend malades des femmes en bonne santé et les rend dépendantes des médecins et de l’industrie pharmaceutique. Je pense qu’il faudrait consacrer davantage d’argent à la recherche pour développer des manières écologiques de maîtriser sa fécondité. On connaît les méthodes naturelles, dont je parle dans mon livre. Mais la manière dont elles sont pratiquées aujourd’hui est trop “artisanale”, approximative, alors qu’elles demandent un accompagnement particulier. Il faut professionnaliser tout cela.
Le second combat concerne l’avortement. Aujourd’hui ce sont d’abord les femmes qui portent le coût physique et psychologique de l’avortement. Il faut arrêter de se satisfaire des 230 000 avortements pratiqués chaque année en France, et tout faire pour en diminuer le nombre.
Une autre de mes priorités est l’urgence de légiférer en ce qui concerne la pornographie, qui peut être consultée par tous sur des plateformes gratuites. Il faut bien avoir à l’esprit que cela ne touche pas seulement les adultes, mais aussi les enfants et préadolescents, qui ne font pas la part des choses. Cette pornographie ultra-violente contribue à diffuser une image de la femme extrêmement dégradante, y compris dans les imaginaires de nos enfants. Lutter contre la violence envers les femmes, c’est d’abord arrêter cette hypocrisie et faire appliquer la loi, pour éviter les ravages de la pornographie sur leur vision de la femme.
Je pense enfin qu’il faut investir dans l’éducation des enfants, et apprendre aux jeunes filles à s’affirmer, à développer une confiance en elles pour se sentir bien dans la société, à trouver comment elles peuvent contribuer au bien de la société, quels sont leurs talents. Cela permettrait de corriger dans leur esprit les images ultra-stéréotypées, véhiculées par les médias, de la femme-objet, ou séductrice.
Derrière la fameuse libération des femmes, il y a une vie faite de choix et de sacrifices : la maman “sacrifie” sa carrière pour ses enfants, la carriériste sa vie de famille pour son travail… Comment pallier ce tiraillement quand les activités liées au foyer sont dénigrées ?
Jusqu’ici, ce n’est pas la société qui s’est adaptée aux femmes, ce sont elles qui font l’expérience de devoir sacrifier une partie importante de leur vie. Il faut absolument revaloriser le travail des mères. Cela passe par une reconsidération du sens de la maternité, qui ne doit pas être un “moins” sur le CV. En ce sens, nous devons accepter que les parcours professionnels des femmes ne soient pas aussi linéaires que ceux des hommes, sans pour autant les dénigrer. Plus cycliques, ces parcours respectent plus l’expérience de la majorité des femmes. Il faut également envisager ces parcours autrement que dans une logique d’efficacité ou de performance, et valoriser ce qu’ils ont à nous apprendre de la gratuité. C’est en tenant compte de cette dimension que doit être évaluée la question de l’égalité salariale.
Cette prise en compte de l’expérience des femmes doit aussi aboutir à des changements de structures. En France, on en est encore loin malheureusement, mais je pense à une initiative qui existe en Angleterre, au Japon, ou à Taïwan par exemple : des entreprises accordent à leurs salariées deux jours de pause pendant leurs règles. En proposant cela aux femmes, on les autorise à être ce qu’elles sont. Ce ne sont plus les femmes qui doivent modifier leur corps pour s’adapter aux structures de la société, mais l’inverse.
Et les hommes dans tout ça ? Dans votre livre, vous montrez comment la société leur laisse de moins en moins leur mot à dire, sur des sujets aussi graves que l’avortement par exemple. Comment peuvent-ils soutenir les femmes dans leurs choix si on ne les laisse pas être eux-mêmes ?
On a fait de la maternité une histoire de femmes. Mais tout le monde sait qu’un enfant ne se fait ni ne s’élève seul(e) ! Les lois qui ont interdit la parole aux hommes se retournent contre les femmes, puisqu’on a nié leur part de responsabilité. Il faudrait au contraire que les hommes puissent parler ; on ne peut pas leur dire simplement : “Vous n’avez qu’à assumer”.
Qu’est-ce qui a changé depuis la sortie de votre livre, il y a maintenant un mois ?
Je suis heureuse de voir combien ce livre permet de libérer la parole pour qu’un autre féminisme puisse exister aujourd’hui. Beaucoup de femmes et d’hommes se retrouvent dans ce que je propose, y compris dans des milieux auxquels on ne s’attendrait pas ! Ce livre ouvre une porte. Il y a une brèche que la nouvelle génération doit saisir pour s’emparer du terrain et développer de nouvelles initiatives. Nous avons autre chose à vous proposer que l’anniversaire du planning familial !
Propos recueillis par Maëlys Delvolvé
Une jeunesse sexuellement libérée (ou presque)de Thérèse Hargot. Albin Michel, février 2016, 16 euros.