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Mercredi 17 août, le président de la République se rend à Rome [1]. François Hollande ira d’abord à Saint-Louis-des-Français pour un temps de recueillement en mémoire des victimes du terrorisme. Il rencontrera ensuite le pape François. Cet entretien aura un caractère privé de sorte que, a priori, il ne sera pas fait de déclaration publique. Si l’on ne peut rien dire du contenu de l’entretien, en revanche le simple fait que François Hollande ait pris la décision de demander à rencontrer le pape donne à réfléchir.
L’image d’un président pour tous
Deux points de vue, diamétralement opposés, pourraient appréhender cette décision. D’un côté, il est possible d’estimer que le président agit par calcul. En vue de sa réélection à la présidence en 2017, il chercherait à donner des gages aux catholiques de France, si durement éprouvés par le violent assassinat du père Jacques Hamel à Saint-Étienne-du-Rouvray.
Profitant de l’occasion, il voudrait se donner l’image d’un président pour tous, rassemblant dans l’unité le peuple français, par-delà les clivages politiques profonds qui ont marqué son mandat. Impressionné par la réponse cohérente et l’appel au jeûne et à la prière de l’Église, sa dignité et son désir manifeste d’œuvrer pour la paix, il chercherait, en calcul politique, à tirer la couverture à soi et à recevoir un peu de cette aura.
De l’autre côté, il n’est pas interdit d’espérer que le martyre du père Jacques porte déjà du fruit. “Sanguis martyrum semen christianorum” [2]… Nous savons que, dans une conversation téléphonique avec le pape François, le président Hollande lui a dit : “Lorsqu’un prêtre est attaqué, c’est toute la France qui est meurtrie”.
L’espoir de la grâce
Le président de la République a été baptisé à Rouen, dans la Cathédrale même où ont eu lieu les obsèques du père Jacques. Ayant reçu une éducation catholique, il se dit non-croyant et non-pratiquant et expliquait à La Vie, en décembre 2011, s’être “forgé sa propre philosophie de la vie”. Et si… Et si la grâce divine était en train de se frayer un chemin dans son cœur ?
C’est précisément cela qui est embêtant, avec la grâce, c’est qu’elle est bien plus puissante que nous ne le croyons. Et Dieu, maître des temps et de l’histoire, est peut-être aussi sage que nous, lui qui cherche à “faire tomber l’homme dans le piège de ses bras” et le “prend un peu par surprise. Mais on le prend comme on peut. Si quelqu’un le sait, c’est moi” [3]. Pas de méprise : je ne dis pas que c’est cela qui est en train de se produire. En revanche, c’est cela que nous devons espérer pour François Hollande. Et pour nous.
François Hollande, un frère baptisé
Alors, que dire de ce voyage ? À l’évidence, que nous ne connaissons pas les motivations profondes du président. Peut-être ses intentions sont-elles mêlées ? Mais il nous donne l’occasion de nous rappeler que pour nous, catholiques, il est un frère baptisé. Qu’on le veuille ou non, il a été marqué par le sceau indélébile de la grâce baptismale et il est devenu membre de l’Église notre mère. Que ce frère ait cessé toute pratique, qu’il se dise non-croyant, qu’il ait une situation personnelle trouble, qu’il fasse des choix objectivement en contradiction avec la Parole de l’Évangile, tout cela doit nous attrister et nous remplir de sollicitude pour lui, pour son âme, pour son salut.
Plus largement, il ne faut pas oublier que nous sommes tous plongés dans ce grand combat spirituel que la solennité de l’Assomption nous a heureusement rappelés avec la lecture tirée du livre de l’Apocalypse. Dans ce combat, “nous ne luttons pas contre des êtres de sang et de chair, mais contre les Dominateurs de ce monde de ténèbres, les Principautés, les Souverainetés, les esprits du mal qui sont dans les régions célestes” (Ep 6, 12). Il me semble que les hommes politiques, les hommes de pouvoir dont les décisions engagent la vie de leurs compatriotes, sont tout particulièrement exposés au “lion rugissant qui cherche qui dévorer” (1P 5, 8) parce qu’à travers leurs décisions, le démon peut atteindre les autres, spécialement les plus fragiles de notre société.
Les chrétiens d’abord au service du bien commun
La foi nous empêche d’être dupes du jeu politique ; elle nous interdit d’oublier que “le salut qui vient des hommes est néant” (Ps 107, 13). Autrement dit, comme chrétiens, s’il nous faut participer à la vie politique, cela ne saurait se faire en oubliant que nous sommes d’abord au service du bien commun. Dès lors, un président vient-il à faire ce qui est mal, il faut le dire, le manifester, pour le bien de tous. Mais il nous faut aussi prier pour demander au Seigneur sa conversion, non pour qu’il pense comme moi ou pour qu’il fasse comme je veux, mais pour servir le bien de tous et pour le bien de son âme. La foi nous empêche de céder au cynisme ou à la naïveté. En élevant notre regard, elle nous invite à espérer inlassablement même pour ceux qui font le mal.
Dans la présentation du grand drame spirituel et historique qui voit s’affronter la cité terrestre et la cité de Dieu, saint Augustin nous rappelle que nos ennemis d’aujourd’hui peuvent devenir nos amis demain :
“Que la famille du Christ Seigneur, notre roi, se souvienne que ses ennemis mêmes cachent dans leurs rangs plusieurs de ses futurs concitoyens et qu’elle ne croie pas stérile à leur égard la patience qui les supporte comme ennemis, en attendant la joie de les recevoir comme croyants !”[4]
[1] http://www.la-croix.com/Religion/France/Nouvelle-visite-de-Francois-Hollande-au-Vatican-2016-08-15-1200782326
[2] Le sang des martyrs est semence de chrétiens. La formule, couramment attribuée à Tertullien (155-220), est une adaptation d’une phrase issue de l’Apologétique (50, 13) : “Plures efficimur, quoties metumur a vobis; semen est sanguis christianorum” : “Nous multiplions chaque fois que vous nous fauchez ; le sang des chrétiens est une semence.”
[3] Charles Péguy, Le Porche de la deuxième vertu, dans Oeuvres poétiques complètes, Gallimard, coll. La Pléiade, Paris, 1957, p. 665
[4] Saint Augustin, La Cité de Dieu, présentée par Jean-Claude Eslin, Seuil, coll. Sagesses, Paris, 1994, p. 74.