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C’est le journaliste François Koch, animateur de « La Lumière » – un blog de L‘Express très bien informé sur l’actualité de la franc-maçonnerie – qui révèle l’information : le 27 février, François Hollande effectuera une visite d’une heure rue Cadet, à Paris, au siège du Grand Orient de France (GOF), la principale obédience maçonnique française qui revendique 49 000 membres et 1 200 loges. À cette occasion, le président de la République prononcera un discours à l’issue d’un entretien particulier avec le grand-maître du GOF, Christophe Habas, suivi de la visite d’une exposition consacrée au 300e anniversaire de la naissance de la franc-maçonnerie moderne. C’est en effet la création de la Grande Loge de Londres et de Westminster en 1717, suivie de la publication des Constitutions d’Anderson en 1723, qui marquent cet avènement.
Une visite sans précédent
Comme l’indique François Koch, cette démarche n’est pas symboliquement neutre. « Jamais un Président de la République ne s’était déplacé au siège d’une obédience maçonnique sous la Ve République, et même sous la IVe née en 1946 » souligne le journaliste. Les signes du dialogue entre le sommet de l’État et le Grand-Orient de France sont pourtant fréquents. Le 9 décembre dernier, rue Cadet, le président de l’Assemblée Nationale Claude Bartolone – quatrième personnage de l’État – assistait ainsi à la remise du Prix de la Laïcité du Grand Chapitre Général du GOF à Yvette Roudy, figure du féminisme et auteur de la loi instaurant le remboursement de l’IVG en 1982. Mais si les rencontres, les déjeuners ou les cérémonies sont réguliers, que le chef de l’État se rende ès qualités rue Cadet est assurément une première.
Le Grand Orient et l’Église
Les catholiques français doivent sans doute se garder de surinterpréter cette démarche présidentielle – François Hollande ne briguant pas un second mandat, il ne s’inscrit pas dans une logique électoraliste et n’a pas de raison tactique de donner des gages aux « frères » – mais ils peuvent en revanche se montrer interpellés par cette rencontre. Car le GOF, qui se considère comme le garant de la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905, ne cache pas la méfiance, sinon l’hostilité, que lui inspire l’Église catholique, suspectée de vouloir s’ingérer dans les affaires de l’État en toute occasion. Ainsi, le Grand Orient ne manque pas de dénoncer régulièrement les prises de position de l’Église sur des questions politiques et sociétales majeures – comme la législation sur l’avortement, la recherche sur les cellules souches, le mariage gay ou l’euthanasie.
Une offensive permanente
Au-delà de ces questions de fond, le Grand Orient surveille l’Église en permanence et intervient au moindre prétexte. Le 16 novembre dernier, l’obédience faisait ainsi savoir son opposition inconditionnelle à la présence de crèches de Noël dans des établissements publics, y voyant une reconnaissance de la « prétendue primauté des valeurs chrétiennes de la France ». De même, le 8 décembre, le GOF pointe le pèlerinage à Rome organisé par le cardinal Philippe Barbarin pour les élus de la région Auvergne-Rhône-Alpes, qualifié de « fervent empressement liant tourisme religieux et bigoterie » dans un communiqué lapidaire. Huit jours plus tard, le 16 décembre, l’élection du doyen de la faculté de théologie de Strasbourg, le père Michel Deneken, à la présidence de l’université, suscite à nouveau la colère des francs-maçons de la rue Cadet qui dénoncent le régime concordataire qui prévaut en Alsace-Moselle et contestent au passage la compétence scientifique du nouveau titulaire (« la théologie n’est pas plus une science que l’astrologie »). Une série d’exemples récents qui témoignent de la guerre larvée que livre le GOF à ce qui, dans le périmètre de la cité, représente le christianisme de près ou de loin.
Les papes contre la franc-maçonnerie
Par-delà ces escarmouches, l’Église condamne de son côté la franc-maçonnerie pour des raisons aussi invariantes que fondamentales : principalement son rejet de toute vérité transcendante, son relativisme moral et sa dimension initiatique. Dès 1738, le pape Clément XII la rejette dans la constitution In Eminenti. Mais le texte le plus vigoureux demeure l’encyclique Humanum Genus de Léon XIII, publiée en 1884, qui « condamn(e) le relativisme philosophique et moral de la franc-maçonnerie ». Depuis, l’Église n’a de cesse de déclarer rigoureusement incompatibles la profession de la foi catholique et l’appartenance à une loge maçonnique. En 1983, alors qu’il était préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le cardinal Ratzinger – futur Benoît XVI – rappelait ainsi cette position, parfois remise en cause : « Les fidèles qui appartiennent aux associations maçonniques sont en état de péché grave et ne peuvent accéder à la sainte communion ». Une sanction radicale, proportionnelle à la défiance qu’inspire la maçonnerie à Rome.
Le fossé entre l’Église et la franc-maçonnerie demeure donc béant. Dans un tel contexte, et alors que le débat sur la laïcité fracture l’opinion, la visite de François Hollande au siège du Grand Orient de France peut contribuer à entretenir – voire à intensifier – des clivages profonds. Dès lors, les propos que tiendra le locataire de l’Élysée devant les « frères » de la rue Cadet seront déterminants et devront être analysés de près.