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Aleteia : Jusqu’où souscrivez-vous au rôle « prédestiné » de la France qu’évoque le titre de votre ouvrage ?
Camille Pascal : Attention, mon livre n’est ni un catéchisme ni une Histoire Sainte, mais un livre d’Histoire. À aucun moment je ne laisse entendre que la France a été choisie par Dieu. Je laisse humblement la responsabilité de cette affirmation au Pape Grégoire IX et au lecteur, sa totale liberté de conscience. En revanche, j’ai voulu démontrer que l’on ne peut pas comprendre l’Histoire de notre pays si l’on ne tient pas compte de ce sentiment de prédestination qui accompagnait les actes de tous ceux qui, à un moment ou un autre, on « fait » l’Histoire.
Et je vais même plus loin encore, la France telle que nous la connaissons n’existerait pas sans ce sentiment de prédestination forgé par l’Église de Rome et ses papes pour faire du « peuple Franc », le nouveau peuple élu de la Nouvelle Alliance, la France, une nouvelle Terre Promise et ses rois, de nouveaux David ou de nouveaux Josué.
C’est ainsi que si le roi Saint-Louis rachète la Sainte Couronne d’Épines à l’empereur de Constantinople, c’est pour « ramener le Christ en France » et faire de Paris la nouvelle Jérusalem. Ou encore lorsque le roi Charles VII, dans un scène irréelle que j’ai essayé de raconter, accepte de remettre sa couronne entre les mains d’une bergère qui « ne sait ni A ni B » mais qu’il croit envoyée par Dieu, c’est parce qu’aux yeux d’un roi de France, Dieu ne peut pas abandonner le royaume qu’il a lui même choisi parmi les « autres nations de la terre »… En construisant ce sentiment d’élection et donc de prédestination dès le baptême de Clovis, l’Église catholique a en réalité construit notre pays comme une sorte de cathédrale politique et lui a donné les moyens de son incroyable longévité…
Que répondez-vous à ceux qui contestent aujourd’hui avec virulence les racines chrétiennes de la France et l’héritage culturel chrétien de notre civilisation ?
Qu’ils ne sont pas très éloignés d’un certain négationnisme historique… Et surtout qu’ils seraient certainement très étonnés d’apprendre que la France des Lumières dont ils se réclament souvent est la première héritière de cet héritage chrétien. Je m’explique : les Lumières ne sont en réalité qu’une vaste entreprise de laïcisation du christianisme et des valeurs évangéliques. D’ailleurs, la philosophie des Lumières ne pouvait pas naître dans une autre civilisation qu’au cœur de l’Occident chrétien qui reste, quoi que l’on en dise, le premier terreau de tous les humanismes.
Par ailleurs, ce qui m’a fasciné en écrivant cette Histoire, c’est à quel point la République, elle-même, était la fille de cet héritage « chrétien » et cela, bien au-delà de la loi de séparation entre l’Église et l’État. En effet, lorsqu’un Président de la République invoque « la mission universelle de la France » pour justifier une opération militaire à l’étranger, il ne fait que reprendre, sans peut-être en avoir toujours conscience, cette « mission divine de la France » qui justifia la première croisade et la prise de Jérusalem ! Ou encore lorsque certains militants « droit de l’hommistes» désignent la France comme la « patrie des droits de l’Homme », ils ne savent pas qu’en réalité ils se contentent de « laïciser » la vieille notion d’une France, « nouvelle Terre Promise ». Je pourrais ainsi multiplier à l’envi les exemples qui montrent combien le sentiment de prédestination qui habite la France depuis le baptême de Clovis marque non seulement nos origines mais aussi notre inconscient collectif…
Quelles réflexions suscitent chez vous les convulsions électorales actuelles après cette plongée dans la longue mémoire ?
Que la Ve République avait été conçue et voulue par le général De Gaulle comme une synthèse entre les trois régimes qui se succédaient en France depuis 1789, la Monarchie constitutionnelle, la République parlementaire et l’Empire plébiscitaire. Que cette synthèse était à ce point conforme au « génie » de la Nation qu’elle fut immédiatement adoptée par le peuple français et aussitôt rejetée par les mêmes élites qui aujourd’hui lui contestent son identité. Que cette République n’était en rien une République révolutionnaire mais bien une république conservatrice, au sens le plus noble du terme, c’est à dire héritière de tout le passé de la France.
Or la Ve République est en train de mourir sous nos yeux victimes des coups qui, depuis trente ans, lui ont été portés par le système et dont nous nous sommes faits les complices d’une façon ou d’une autre. La cohabitation d’abord, le quinquennat ensuite et enfin, ces fameuses primaires qui auront réintroduit en France le principe du vote censitaire en excluant le peuple d’une consultation qui n’est pas faite pour lui et à laquelle, les chiffres le montrent, il ne participe pas.
À chaque fois, ces « réformes » ont été présentées comme un progrès ou, ce qui aux yeux de certains est la même chose, une façon d’« aligner» la France sur les autres démocraties occidentales.
On voit aujourd’hui le beau résultat de cette « modernisation » de nos institutions qui risque de se solder par une de ces crises de régimes dont le général De Gaulle avait voulu guérir le pays.