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Aleteia : Pourquoi avoir choisi d’écrire Le Dérèglement moral de l’Occident, un ouvrage sur un sujet que vous avez vous-mêmes qualifié de « l’un des plus rebattus » ?
Philippe Bénéton : Je ne suis pas sûr de m’être exprimé ainsi. Le thème de la crise de la civilisation occidentale n’est certes pas un thème nouveau mais il manquait, me semble-t-il, une analyse d’ensemble de la dimension morale de cette crise, appliquée à la situation présente. Le changement radical qui s’est opéré ces dernières décennies est la substitution d’une nouvelle morale à la morale traditionnelle. Cette nouvelle morale a deux facettes. D’une part, le centre de gravité a changé : une morale des droits individuels a discrédité et remplacé une morale des vertus objectives. L’homme d’avant s’insérait dans une nature des choses ou un monde créé qui disait le bien-agir, l’homme d’aujourd’hui est souverain, il est censé se faire et se diriger tout seul. Mais d’un autre côté, cette nouvelle morale se contredit elle-même en redéfinissant le Bien et le Mal. Chacun décide pour soi mais il est entendu qu’il y a des bons et des mauvais choix. En fin de compte, il y a deux types d’hommes : d’un côté ceux qui sont libres, tolérants, ouverts, multiculturalistes, et de l’autre ceux qui restent accrochés aux stéréotypes ou aux préjugés, les conservateurs, les réactionnaires, les populistes. Cette division morale du monde s’oppose directement à la pensée chrétienne — la frontière entre le Bien et le Mal passe par le cœur de chaque homme — et sa logique est dangereuse comme en atteste l’histoire.
Dans une interview donnée au Figarovous dites que « le rideau commence à se déchirer ». Vous pensez qu’il est possible d’envisager une issue heureuse pour cet Occident mourant ?
L’avenir n’est pas écrit, il dépendra largement du combat intellectuel et spirituel. Or, on peut avoir le sentiment que l’âge d’or de cette nouvelle doctrine qu’on peut appeler “l’humanitarisme moderne” est en train de passer. Cette doctrine a des positions fortes mais elle est une pensée faible. C’est pourquoi la chose première à faire, me semble-t-il, est de demander à cor et à cri un débat loyal, c’est-à-dire un débat débarrassé de tous ces artifices rhétoriques qui n’ont d’autre but que d’éviter le débat de fond : le jugement moral a priori (“Les idées doivent être tolérantes, peu importe qu’elles soient justes ou non”), l’appel au sens de l’histoire (“Comment ne pas être moderne ?”), les attaques personnelles appuyées sur la division morale du monde (“Seriez-vous réactionnaire ? Vous faites le jeu des populistes !”).
Pourquoi choisir l’ironie et la dérision sur un sujet aussi grave que la chute d’une civilisation ?
La chute ? Je ne sais pas. Disons la crise ou le dérèglement. J’ai choisi un style souvent ironique parce que je ne me sens pas à l’aise dans l’indignation et que j’espère que le lecteur y trouvera quelque plaisir. Seule une grande voix, celle de Bernanos par exemple, peut fulminer à longueur de pages sans lasser le lecteur. L’ironie d’autre part a ses lettres de noblesse, Érasme et Thomas More l’utilisaient en abondance.
Dans votre essai, vous évoquez aussi le féminisme — que vous désossez, par ailleurs. On entend pourtant souvent que « le salut vient des femmes ». N’existe-t-il donc pas un « bon féminisme », qui donnerait aux femmes un rôle salutaire pour l’Occident ?
Tout dépend de ce que l’on appelle “féminisme”. Dans tous les cas, je suis persuadé que les femmes ont joué un rôle essentiel dans le processus de civilisation, notamment en France. Madame de Rambouillet avait pour mot d’ordre : “Il faut débrutaliser les hommes”. Son salon et tous ceux qui ont suivi y ont beaucoup contribué. Aujourd’hui, il s’agit de concilier l’égalité des droits et l’ouverture des carrières, qui sont sans conteste des progrès, avec ce rôle civilisateur qui s’appuie sur les vertus féminines (le sens de la durée et de la transmission, la décence et la civilité, la douceur). À l’inverse, l’indifférenciation que réclame le féminisme officiel d’aujourd’hui joue contre ces vertus, et en même temps il lève les scrupules et les usages qui tenaient en laisse l’esprit brutal et prédateur des mâles.
Quant au rôle spirituel des femmes, est-il nécessaire de le souligner après tant de figures admirables de la grande à la petite Thérèse, de Catherine de Sienne à Mère Teresa ?
Propos recueillis par Angélique Provost.
Le Dérèglement moral de l’Occidentde Philippe Bénéton, éditions du Cerf, 2017, 22 euros.