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Les “chrétiens” pratiquant l’ésotérisme et différentes formes d’occultisme existent et ne sont pas si rares. Mais le christianisme est-il une religion ésotérique ? La foi chrétienne contient-elle une doctrine occulte réservée à une élite secrète d’initiés ? La réponse est non, cela est clairement impossible. Et cela mérite d’être répété.
La majorité des sectes ésotériques, ainsi que les auteurs et intellectuels liés à l’occultisme, les rosicruciens et les différentes sociétés secrètes maçonniques, sont convaincues que le christianisme détient des secrets religieux cachés, comme si l’ “ésotérisme chrétien” existait.
En réalité, il n’en est rien. Pas plus que n’existe des doctrines occultes connues d’une élite seule. Il s’agit d’un désir de quelques adeptes de l’ésotérisme en quête de prétendus secrets dissimulés au sein de chaque symbole et doctrine. Cette tendance s’amplifie aujourd’hui par l’ésotérisme de masse New Age ou des romans comme ceux de Dan Brown, mais sans vrai fondement.
Ceux qui pratiquent l’ésotérisme et se considèrent chrétiens ne le sont pas en réalité (il semble impossible de croire au Christ et d’énoncer des affirmations contraires à son message, comme la réincarnation). Pour les chrétiens, la base de la foi est d’accepter ce que Dieu a révélé et non ce qu’il a occulté. Par le Christ, Dieu a montré le chemin à suivre pour le Salut de l’humanité.
Le christianisme ne détient-il aucun secret ?
Il est vrai que certains secrets existent dans n’importe quelle institution, requérant prudence et discipline interne. On pourrait dans ce sens parler d’informations secrètes dans l’Église. Mais le christianisme est exotérique en ce qui concerne les contenus religieux. C’est une religion enseignée publiquement, universelle, missionnaire et sans secrets.
Le Magistère de l’Église regroupe des documents ouverts, publics. Les prononcés officiels et les doctrines sont accessibles à tous. Tout ce qui concerne la foi et la doctrine est publié, rien ne doit être occulté. L’ésotérisme comme attitude spirituelle élitiste s’oppose ainsi à la nature même du christianisme.
Aussi bien aux premiers siècles de l’ère chrétienne avec le début du gnosticisme, qu’au Moyen Âge avec l’alchimie et la divination, des tendances se sont servies du christianisme en y ajoutant des doctrines gnostiques et ésotériques, influençant alors divers intellectuels et artistes (1).
On cherchait à inventer un “ésotérisme chrétien” ou un “christianisme ésotérique”. Le monde a ainsi vu apparaître des ésotériques vivant le christianisme de manière syncrétique, comme cela est encore le cas aujourd’hui. Dans de nombreuses littératures, œuvres d’art et même temples médiévaux, se trouvent ainsi des symboles et concepts issus de l’alchimie et de l’ésotérisme.
Bien que certains ésotériques s’autoproclamant chrétiens aient prétendu donner un nouveau sens à la réalité de la foi chrétienne, réinterprétant ses symboles et doctrines, il n’a jamais été question d’un “ésotérisme chrétien”. Un tel concept serait contradictoire.
Caractéristiques de l’ésotérisme occidental :
Même si l’histoire a connu des mouvements ésotériques nombreux et variés, quelques traits communs peuvent néanmoins les définir (2) :
Correspondance ou réciprocité entre toutes les parties de l’univers visible et invisible. Par exemple : il existe sept métaux, sept planètes, sept parties du corps, sept chakras, etc. Lorsqu’ils lisent la Bible, ils cherchent ces correspondances pour les interpréter de manière ésotérique.
L’univers et la nature sont considérés comme des êtres vivants avec une sorte d’âme cosmique (feu occulte ou énergie).
Imagination créatrice et médiations symboliques : il s’agit d’atteindre le divin par le biais de quelconque réalité imaginaire ou réelle. Leur recourt à tous types de médiations est évident : rites, symboles de toutes les religions, promesses et même appel à toutes sortes de prétendues entités spirituelles.
L’expérience de la transmutation. Tiré de l’alchimie, ce terme désigne la recherche d’un nouveau mode de vie et d’être au travers d’initiations.
Par ailleurs, d’autres éléments caractéristiques se manifestant parfois sont aujourd’hui bien visibles dans la grande majorité des mouvements connus.
La concordance en fait partie. Il s’agit du désir d’harmoniser des traditions différentes, qu’elles soient philosophiques ou religieuses, en particulier l’oriental avec l’occidental. On peut ajouter la transmission directe de maître à disciple de théories et de pratiques ésotériques, incluant souvent des grades et des marches au sein du processus initiatique.
Leurs piliers doctrinaux réunissent une vision panthéiste du divin, où toute la réalité est unifiée, ainsi qu’une conception émanatiste des choses et des êtres, sans distinction entre le créateur et la créature.
Ils reconnaissent l’unité transcendantale de toutes les religions, le plus important semblant le noyau commun mystique entre toutes celles-ci et non leurs rites externes et doctrines.
Ce qui est certain c’est qu’en approfondissant davantage les vraies doctrines des grandes religions historiques, elle se révèlent radicalement différentes les unes des autres. L’ingénieuse idée selon laquelle le fond de toutes les religions est le même ignore le cœur de chacune d’entre elles. Leur point commun est justement leurs pratiques externes et les principes éthiques universels, mais pas leurs caractéristiques profondes.
À l’origine, un monde de fantasmes
Même si l’adjectif ésotérique est très ancien et a connu divers usages, le substantif ésotérique apparaît de manière plus récente au XIXe siècle, dans les courants modernes des mouvements occultes (3).
Au cours de l’histoire, la tradition ésotérique occidentale ne s’est pas transmise de génération en génération, comme certains l’affirment. Les mêmes idées et réinterprétations ont réapparu à différentes époques, mais sans nécessaire connexion historique entre elles.
Disparues pendant des siècles, les doctrines gnostiques se sont retrouvées au Moyen Âge dans l’alchimie, la divination et des écoles philosophiques, au travers de mouvements hermétistes.
De la même manière, elles ont tenté d’influencer le christianisme, générant une opposition avec l’orthodoxie chrétienne, une confrontation inévitable compte tenu du fait que le syncrétisme de ces mouvements menaçait de noyer la foi chrétienne dans un magma pseudo-religieux, comme ce fut le cas au XVIe siècle.
Aujourd’hui encore, le mouvement New Age, ou encore les sectes métaphysiques et occultistes postmodernes tendent à présenter la foi catholique comme un mysticisme ésotérique ayant été rationnalisé par les hiérarchies catholiques. D’un autre côté, leur version de l’ésotérisme est contradictoire avec l’histoire dans la mesure où une connaissance occulte est élitiste.
Même si l’on peut parler d’une tentative d’ésotérisme sérieux en Occident (Boheme, Swedenborg, Le Cour, etc.), ses origines ne sont pas aussi anciennes que le prétend la littérature ésotérique.
La majeure partie de ses contenus apparaît à la Renaissance et puise ses origines au sein d’histoires perdues dans la mythologie antique, comme pour certaines sociétés secrètes maçonniques et surtout les rosicruciens. De nombreux membres de la franc-maçonnerie reconnaissent néanmoins leurs origines dans des corporations médiévales de maçons plutôt que dans la tour de Babel, le temple de Salomon ou le Templiers, comme certains le rêvent.
Parmi les confusions générées par la littérature ésotérique, on peut citer le cas de l’œuvre Corpus Hermeticum, écrite entre le IIe et IVe siècle après J.-C. Redécouverte par Ficin au XVIe siècle, elle réunit des contenus gnostiques, alchimistes, orientaux, ésotériques, néo-platoniques, propres à l’éclectisme des religions et philosophies qui circulaient à Alexandrie aux IIe et IIIe siècles après J.-C (4).
Les auteurs ésotériques aiment affirmer que cette œuvre très ancienne remonte au VIe siècle avant J.-C. En réalité elle a été écrite un millénaire plus tard. Les débuts de l’ésotérisme se perdent dans les interprétations et leur origine mythologique est réinventée à chaque génération.
René Guénon et l’imposture du théosophisme
Grande figure intellectuelle de l’occultisme moderne, le franco-égyptien René Guénon est respecté pour son érudition et son honnêteté académique. Il démasque des centaines d’impostures de sociétés secrètes en Europe.
Il dénonce ainsi la Société théosophique créée par Madame Blavatsky (5). Mais l’oubli collectif a tôt fait de venir au secours des pseudo-prophètes et de leurs extravagances, comme cela a été le cas pour le spiritisme moderne. La crédulité ne cesse d’augmenter.
Déçu par tant de tromperies et de fantasmes, il abandonne l’ésotérisme occidental et fini par être convaincu que seules les religions occidentales possèdent une connaissance ésotérique véritable, comme une tradition ésotérique authentique.
L’une des expressions de la crise culturelle actuelle est l’émergence gnostique et ésotérique manifestée par le succès de toute une littérature associée aux thèmes de la magie, des évangiles apocryphes, du développement personnel, de l’alchimie, de l’hermétisme… Lorsque l’on connaît la vraie histoire de l’ésotérisme, ses fantasmes magiques disparaissent assez rapidement.
Et ceux qui se présentent comme des “ésotériques chrétiens” ?
De nombreux ésotériques actuels parlent de manière ouverte d’un “ésotérisme chrétien”. Il s’agit en réalité d’une redéfinition du christianisme de leur part, comme ils le font avec certains courants philosophiques de l’Antiquité ou avec certaines religions orientales, en se les appropriant avec négligence afin de plaire au consommateur.
Le christianisme n’a en vérité jamais été ésotérique. Par sa nature missionnaire, il représente une religion ouverte. Son message universel n’est pas réservé à une élite en quête de coïncidences symboliques ou mondes invisibles.
Nul ne peut nier que des individus vivant un christianisme social aient pu pratiquer l’ésotérisme au cours de l’histoire, comme cela arrive aussi aujourd’hui. Au Moyen Âge, même si l’on appartenait à la religion chrétienne, juive ou musulmane, des courants gnostiques et magiques ressurgissaient de temps en temps.
Face à l’ésotérisme de masse, il convient de se demander si le christianisme n’a pas délaissé sa part de mystique et de mystère. Son adaptation au monde moderne a peut-être été excessive, laissant ainsi les âmes assoiffées d’expériences et de sens s’orienter vers l’irrationalisme, la magie et l’occultisme.
[1] Mircea Eliade (1997) : Occultisme, Sorcellerie et Modes culturelles. Barcelone : Paidós.
[2] Manuel Guerra Gómez (2005) : Dictionnaire encyclopédique des sectes. Madrid : BAC.
[3] A Faivre – J NEEDLEMAN (2000) : Espiritualidad de los movimientos esotéricos modernos. Barcelone : Paidós. p. 10.
[4] Cf. Mircea Eliade (1988) : La Búsqueda. Historia y sentido de las religiones. Barcelone : Kairós. pp. 59-60.
[5] René Guénon(1954). Le Théosophisme, histoire d’une pseudo-religion. Buenos Aires : Ed. Haz.