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Aleteia : Cette rencontre entre le président turc et le pape revêt-elle un caractère exceptionnel ?
Frédéric Encel : Je ne parlerais pas de caractère exceptionnel mais, en effet, d’une authentique rareté. Mais c’est surtout le contexte et la personnalité des deux protagonistes qui me semblent intéressants. Le contexte est celui d’une forte tension moyen-orientale, avec entre autres phénomènes la quasi disparition des chrétiens d’Orient (coptes et maronites libanais exceptés) sous la pression d’islamistes radicaux parfois soutenus par Ankara. Quant aux personnalités, nous avons d’une part un pape qui n’hésite pas à intervenir assez fortement sur les questions internationales, y compris les plus sensibles, d’autre part un chef d’État turc dont le moins qu’on puisse dire est qu’il est très actif sinon extrêmement revendicatif. Dans les grandes lignes, le rapport de force peut sembler bien inégal ; le catholicisme est presque partout en perte de vitesse, soit du fait de la déchristianisation en Europe occidentale, soit sous la poussée de l’évangélisme protestant (Amérique latine, Afrique) et de l’islam (Afrique), tandis que Erdogan se targue de représenter une confession musulmane sunnite en plein essor.
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Recep Erdogan peut-il s’imposer comme porte-parole des pays musulmans sur le statut de la ville de Jérusalem ?
Ni sur le statut de Jérusalem, ni même comme leader d’un monde musulman plus divisé que jamais ! D’abord, assumant une part importante de l’héritage ottoman, le président turc ne peut pas échapper à un fait historique majeur : jamais l’empire turc ottoman ne fit de Jérusalem le siège d’un sultanat (c’est Damas qui remplit ce rôle dans la zone), ni ne constitua seulement un chef-lieu et, en outre, il laissa à sa chute en 1918 une ville exsangue, misérable, minuscule et sous-développée. Ensuite, Erdogan a tout à fait échoué dans sa quête de leadership sur le monde arabe sunnite ; non seulement la Turquie a laissé aux sociétés arabes le souvenir de quatre à cinq siècles de “domination” bien plus que de partage ou de développement, mais encore les Frères musulmans – activistes ultra conservateurs voire fanatiques – sur lesquels avaient compté le chef d’État turc en guise de relais, ont lourdement chuté après avoir remporté plusieurs succès électoraux au début du Printemps arabe. Si l’on ajoute les relations difficiles ou calamiteuses d’Ankara avec l’Union Européenne, Israël voire l’Iran (dans le Caucase), Erdogan n’apparaît pas si fort ni représentatif face au pape François.
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Quels sont les points d’accord entre les deux pays ?
Officiellement, le Saint-Siège et la Turquie affirment vouloir la baisse des tensions actuelles, la paix et la coopération entre les États ainsi que l’harmonie entre les religions. Bref, ce que la quasi-intégralité des États du monde prétendent souhaiter ! Sérieusement, on serait bien en peine aujourd’hui de dégager de vraies tendances diplomatiques communes…
Concrètement, qu’est-ce que ce nouveau statut (la reconnaissance par les États-Unis de Jérusalem comme capitale de l’État d’Israël) va-t-il ou peut-il changer pour la Turquie et le Vatican ?
Sur le fond, rien. Le pouvoir turc, sans cesse plus islamo-nationaliste et agressivement antisioniste, va accroître sa pression rhétorique à peu de frais ; après tout, Erdogan a eu beau conspuer la décision de Trump, il s’est bien gardé de menacer son grand allié d’une quelconque mesure de rétorsion, fut-elle symbolique… Quant au Vatican, sa ligne sur Jérusalem n’a jamais varié, même après la reconnaissance officielle d’Israël en 1993 : la cité doit selon lui être placée sous statut international, façon Corpus separatum de 1947.