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Jeune couple de cadres parisiens, Pauline et Jean Bouchayer ont choisi de partager le quotidien des chrétiens d’Irak pendant deux ans. Alors que leur retour en France est prévu fin avril, ils livrent à Aleteia un témoignage vibrant sur l’appel de la mission et le sens de l’espérance.
Aleteia : Comment est venu votre appel missionnaire ?
Jean Bouchayer : C’était en juillet 2015, lors de la session des 25-35 ans à Paray-le-Monial. Nous avons assisté à une conférence du cardinal Barbarin qui racontait les débuts du jumelage du diocèse de Lyon avec celui de Mossoul et comment ce jumelage a permis de fournir une solide aide matérielle aux chrétiens d’Irak. À l’issue de la conférence, une question a été posée sur ce qu’on pouvait faire de plus. Le cardinal Barbarin a alors répondu qu’il faudrait que deux personnes aillent vivre et travailler sur place, avec nos frères irakiens. En écoutant ces mots, j’ai eu l’impression d’entendre le Christ me demander de tout quitter pour le suivre…
Pauline Bouchayer : … et moi qu’il n’y avait pas besoin de grand-chose, seulement de deux personnes. Nous étions 5 000 à assister à cette conférence mais il s’est vraiment passé quelque chose dans nos deux cœurs. Ce magnifique témoignage a été suivi d’une adoration au cours de laquelle nous avons chacun gardé en nous cet appel. À l’issue de cette adoration, Jean m’a demandé si je partirais avec lui en Irak. Il était certain que je dirais non mais, à sa grande surprise, j’ai répondu oui. On s’est rendu compte qu’on était tous les deux prêts à ça, à répondre à cet appel. À cette époque-là, nous étions en plein discernement sur notre engagement au sein de la communauté de l’Emmanuel. L’appel était si fort que nous étions prêts à l’accepter même si cela ne nous semblait pas logique. En échangeant avec un prêtre nous avons trouvé la cohérence : dans un cas comme dans l’autre, c’est un appel missionnaire. Nous étions prêts à partir n’importe où, même en France. Nous nous sommes vraiment mis dans les mains du Seigneur.
Quel est le but de cette mission ?
Pauline : En lançant cet appel, le cardinal Barbarin ne s’attendait pas à ce que quelqu’un y réponde dans la foulée. Il estimait que dans le cadre du jumelage de son diocèse avec celui de Mossoul, une profonde amitié et une présence sur place ferait la différence.
Jean : Il s’avère que l’organisme Fidesco était également présent ce soir-là. Ce sont eux qui ont formalisé cette mission. Quand nous sommes allés les voir, ils ont été surpris car la mission n’était pas encore créée. Nous avons suivi une formation d’un an avec eux qui nous a permis de garder les pieds sur terre. En parallèle, Fidesco a effectué tout un travail en amont pour voir si cette mission était réalisable d’un point de vue matériel et logistique. Le principe des missions proposées par cet organisme est de partir en répondant à un besoin local avec des compétences qu’ont les volontaires. Ici le besoin n’avait pas été exprimé par l’Église irakienne mais par le cardinal Barbarin. Le diocèse de Lyon étant déjà bien présent en Irak par le biais de la fondation saint Irénée, un partenariat a finalement été établi avec Mgr Petros Mouché, archevêque syriaque catholique de Mossoul, de Kirkouk et du Kurdistan.
Concrètement, quel est votre quotidien sur place ?
Jean : À l’époque, il n’y avait pas encore eu l’offensive sur Mossoul, nous étions donc en mission auprès des déplacés. L’année dernière nous occupions un mi-temps à l’école saint Irénée où nous donnions des cours aux chrétiens déplacés. L’établissement a officiellement fermé car beaucoup de déplacés sont retournés dans la plaine de Ninive. Le reste du temps, nous sommes au service du diocèse de Mgr Mouché. Au moment de partir, notre feuille de route était assez vide, c’était à nous de construire la mission.
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Pauline : Contrairement à ce que l’on peut croire quand on est en France, il y a de l’argent, les gens dans les camps de déplacés ne sont pas pauvres : une aide matériel monumental a été apportée, notamment par la France. Mais cette aide d’urgence a continué même après ʺl’urgenceʺ à proprement parler. Désormais, le vrai besoin se trouve dans le soutien humain. Vivre une fraternité entre chrétiens, c’est tout l’intérêt de ce jumelage entre le diocèse de Lyon et celui de Mossoul et, dans notre cas, de notre mission. Car pour jumeler il faut qu’il y ait une vie, un partage.
Jean : Mgr Mouché nous a pris sous son aile. Nous avons pu organiser des activités spirituelles pour le diocèse, animer une petite école de prière pour les enfants, participer à l’organisation de veillées d’adoration dans des camps de déplacés… Je donne régulièrement des cours d’anglais et de français pour les adolescents et les jeunes adultes du camp ainsi que dans les paroisses et les associations du diocèse et Pauline a animé de son côté quelques ateliers coutures par exemple. On s’est réellement fondu dans la communauté d’ici. Nous avons même pris un petit appartement à Erbil, pas loin du gros camp de déplacés chrétiens afin d’entretenir ce lien. Nous voulons simplement manifester cette amitié entre deux diocèses qui sont frères.
Vous est-il arrivé de vous sentir inutiles au cours de cette mission ?
Pauline : La formation suivie avec Fidesco a été très importante à ce niveau là. Elle nous a préparé à ne pas forcément saisir notre utilité en mission et nous a aidé à accepter qu’en deux ans nous n’allons pas changer les choses. Cette ʺinutilitéʺ nous a frappé dans les premiers mois d’autant plus que les communautés chrétiennes ici présentes ont toutes les compétences qu’il faut.
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Jean : Ce qu’on a découvert par la suite c’est qu’en plus de se sentir inutile on était impuissant. C’est très dur au quotidien de vivre ici car toutes les générations ont connu la guerre, les difficultés, les embargos, Daech… Les chrétiens en France se sont réveillés en 2014 mais ce n’était pas le pire de ce qui est arrivé aux chrétiens ici. Le plus grave c’est ce qu’il s’est passé avant : quand on leur a dit dès 2003, soit pendant plus de dix ans, de se convertir, de partir ou de mourir. Nous sommes face à des gens nerveusement épuisés par la guerre, et dont la vie est synonyme de douleur et de complication.
Comment cette mission nourrit-elle – ou vous interpelle-t-elle – sur votre foi ?
Pauline : Dans un pays rongé par la guerre depuis des dizaines d’années, dans lequel les communautés se déchirent et où il y a une vraie hémorragie démographique (les ¾ des chrétiens sont partis), qu’est ce qui fait qu’on choisit de rester ? Comment garde-t-on une espérance chrétienne ? Ces questions, on se les ait posées des dizaines de fois. On pensait savoir ce qu’était l’espérance et l’enseignement du Christ sur ce sujet là. Mais l’espérance ce n’est pas que demain ça ira mieux. L’espérance c’est de se décentrer de sa vie, de croire que le Christ est ressuscité et vainqueur. Ce qui ne veut pas dire que demain ça ira mieux. Cela nécessite une foi énorme. En fait ce qui est énorme, c’est que des chrétiens aient encore la foi en Irak.
Jean : Ici, dès qu’une solution est trouvée pour un problème, dix autres problèmes surgissent. On vit dans un milieu sous tension où la division règne ! On s’est dit à plusieurs reprises que nous ne pouvions pas, humainement, les aider. Notre rôle est d’être dans la compassion tout en acceptant qu’il s’agit de leur souffrance et non de la nôtre. Nous sommes arrivés avec notre propre vécu, nous n’avons pas vécu ce qu’ils ont vécu. Nous devons les entourer avec beaucoup d’amour fraternel et de compassion mais peut-être ont-ils aussi besoin d’être avec des gens qui n’ont pas connu cela pour leur rappeler que leur but est de sortir de cette situation. Un prêtre nous a dit une fois « j’ai honte que vous nous ayez vu tel qu’on était ». Nous lui avons répondu que ses faiblesses nous permettaient de l’aimer vraiment. Car ce n’est que quand on est dans la vérité qu’on peut entrer dans un véritable amour. Les Irakiens sont loin d’être des gens parfaits mais nous les aimons profondément. Nous avons avec eux une belle relation en vérité.
Vous évoquez l’espérance… est-ce un pilier de votre vie ?
Jean : La notion d’espérance était déjà très présente dans notre vie de couple. Nous sommes en attente d’enfant et nous nourrissons une dévotion toute particulière à la vierge noire de Rocamadour dont la devise n’est autre que « l’espérance ferme comme le roc ». Nous avons d’ailleurs apporté une petite vierge noire de Rocamadour ici, à Erbil.
Pauline : Avant de partir en mission je me disais que j’avais compris ce qu’était l’espérance. Mais ici on s’est retrouvé face à cette réalité qui est que demain ça n’ira pas mieux et qu’on ne sait pas quand cela ira mieux. Imaginez cela doublé des bruits incessants de la guerre, de la vision quasi-quotidienne d’églises saccagées… C’est comme si on était descendu au fond d’un puits et qu’on ne voyait plus la lumière. Y a-t-il encore une lumière ?
Jean : Nous sommes descendus dans les profondeurs de ce qu’était l’espérance.
Pauline : Cette mission nous apprend à nous décentrer de nous-mêmes pour se plonger dans le cœur de Dieu. Peu importe ce qui se passe demain, nous croyons que Dieu est ressuscité. Si nous ne croyons pas qu’il y a une résurrection après la croix, si nous n’avons pas cette espérance, on ne peut rien faire ici.
Jean et Pauline : On a acheté un tableau peint par Michael Yousif, un jeune artiste de Kirkouk. Intitulé L’espérance, c’est le Christ, il représente Jésus tenant dans ses bras un bébé qui pleure. Il le rassure, le berce. Le Seigneur ne nous dit rien d’autre que cela : je suis avec toi. C’est cela le sens de cette mission, c’est un voyage au bout de l’espérance. On a souvent l’impression d’être dans une nuit noire mais on ne doit pas oublier que c’est dans cette nuit noire que l’on voit le mieux la lumière.