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« Il faut, avec des critères stricts, autoriser le suicide assisté et l’euthanasie avec l’assistance de membres du corps médical ». Ces mots sont ceux d’une pétition signée quelques 263 000 personnes. Parmi les signataires figurent les écrivains Noëlle Chatelet et Olivier Adam, le médecin Etienne-Emile Beaulieu, Guy Bedos, le philosophe André-Comte Sponville et les journalistes Bruno Masure et Ariane Mnouchkine. Elle fait écho à une tribune publiée, ce mercredi 28 février, dans Le Monde dans laquelle plus du quart des députés demandent de légiférer en faveur de l’euthanasie afin de « donner aux malades en fin de vie la libre disposition de leurs corps ».
À la frontière entre la science et la vie privée, la question de l’euthanasie revient régulièrement sur le devant de la scène politico-médiatique. Le docteur Claire Fourcade, responsable du pôle de soins palliatifs à la polyclinique Le Languedoc de Narbonne revient pour Aleteia sur cette proposition.
Aleteia : Quelle a été votre réaction à la lecture de cette tribune signée par 156 députés qui prône le droit à l’euthanasie et une légalisation d’ici à 2019 ?
Claire Fourcade : Je ne suis pas très surprise, il y a une pression très forte sur ce sujet et elle s’accentue chaque jour un peu plus. Dans cette tribune, beaucoup de choses seraient à reprendre avec les signataires car les situations décrites correspondent rarement à ce que l’on vit dans la pratique, avec nos patients et leurs familles. Le plus dommage est que ce texte réduit les débats sur la fin de vie… à l’euthanasie. Exerçant ce métier depuis 20 ans, je commence à avoir assez de recul et la question de l’euthanasie est loin d’être centrale pour nous. La priorité est l’accès des patients aux soins palliatifs et à l’accompagnement dont ils ont besoin. Le mal mourir en France, c’est cela le vrai sujet, pas l’euthanasie ! Nous avons les moyens de soulager ces patients, de les aider à donner du sens au temps qui passe… Le problème c’est que les trois quarts des patients qui en auraient besoin n’ont pas accès à ces soins palliatifs.
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Les États généraux de la bioéthique, la tribune du Monde, la pétition signée par plus de 260 000 personnes… Cette offensive sur l’euthanasie vous semble-t-elle savamment orchestrée ?
Cette convergence d’éléments n’est pas un hasard, cela correspond à une opportunité politique. Cela tranche avec la position d’Emmanuel Macron et la réserve qu’il affiche sur ce sujet. La ministre de la Santé a également fait savoir qu’elle ne voulait pas de nouvelle législation sur ce sujet qui est « éminemment compliqué ». La question est : ceux qui y sont favorables, qui sont bien organisés et puissants, seront-ils capables de faire bouger le gouvernement au-delà de ce qu’il souhaiterait ? Au-delà de ces éléments et de l’apparente volonté des Français de légaliser l’euthanasie, ce qui m’interpelle est cet écart entre les craintes des Français et celles des patients qui, bien qu’en fin de vie, évoquent extrêmement rarement l’euthanasie. D’où vient cet écart entre les craintes que les gens expriment quand ils sont en bonne santé et la réalité qu’ils vivent une fois que la maladie est là ? Le vrai défi pour nous, les soignants, est d’apaiser les craintes de nos concitoyens.
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Que dirait de notre société une légalisation de l’euthanasie?
L’euthanasie, c’est la position des gens forts, c’est leur réponse face à la mort. Nos patients, eux, sont beaucoup plus fragiles. Voulons-nous vraiment une société qui privilégie la possibilité de choisir sa mort à une société qui permette à tous l’accès aux soins palliatifs et à un accompagnement individualisé ? Si une loi autorise l’euthanasie, cela envoie un message au patient et l’oblige à envisager cette solution. Il va se demander : est-ce que, pour le bien de mes proches, je devrais faire ce choix-là ? Les signataires de cette tribune défendent « une liberté, un droit aux choix » des malades en fin de vie. « C’est le type même de la liberté personnelle qui ne déborde pas sur la liberté d’autrui », écrivent-ils. C’est bien là leur erreur. La légalisation de l’euthanasie est une contrainte, elle les prive d’une liberté : celle de vivre dignement leur fin de vie. Vivre dans la dignité jusqu’au bout c’est possible et choisir sa mort n’est pas la seule façon de mourir dignement.
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L’argument « mourir dans la dignité » est désormais remplacé par cette notion de “liberté”. Comment l’expliquez-vous ?
Ce glissement sémantique vient du fait que le discours sur la dignité est de moins en moins audible car les soins palliatifs ont montré qu’il était possible de vivre dignement jusqu’au bout. Ce changement d’argument est le signe d’une société plus individualiste dans laquelle on érige le « je décide pour moi » en principe fondamental, sans tenir compte de l’impact que ce choix peut avoir pour les autres. Mais notre société est interdépendante, notre société doit être vigilante à la protection des plus faibles !
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La législation française sur ce sujet est une ligne de crête entre le refus de l’acharnement thérapeutique et le refus de l’euthanasie. Dans cette tribune, les députés évoquent le cas de médecins qui pratiquent l’euthanasie. Une loi la légalisant ne permettrait-elle pas simplement de mettre un terme à une situation un peu… hypocrite ?
Dans les unités de soins palliatifs, vous nouez des liens très forts avec les patients. Ce n’est jamais formulé comme tel mais les euthanasier, cela veut dire les tuer. En écoutant les débats sur ce sujet, j’ai l’impression que certains considère cela comme une suite logique. Mais c’est une rupture. Une rupture immense. Que des médecins pratiquent l’euthanasie au cas par cas, je le comprends et l’accepte. Mais symboliquement, l’euthanasie doit rester une transgression. Légaliser cette transgression aurait des conséquences anthropologiques que nous ne sommes pas capables de mesurer. Ces effets, sur les patients, les familles et les soignants, viendront dans la durée, par la répétition et la banalisation de l’acte. Cette espèce de de toute puissance de l’homme sur lui-même est un risque que je ne suis pas prête à prendre.
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