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Philosophe de formation, Sophia Kuby, d’origine allemande, vit à Bruxelles, où elle est directrice du bureau Europe pour ADF International, une ONG qui apporte une perspective chrétienne sur les grandes questions de société. Après avoir vécu une conversion fulgurante à l’âge de 18 ans, elle a pris soudainement conscience que Dieu était la réponse à toutes ses questions, la Source venant combler tous ses manques.
Dans cet essai sur le manque et le bonheur, intitulé Il comblera tes désirs, à paraître le 19 juin aux Éditions de l’Emmanuel, la philosophe chrétienne se fait, selon ses mots, « l’avocat du désir ». À travers une réflexion philosophique, un questionnement spirituel et son expérience personnelle, elle soulève la question du désir : les désirs sont-ils un obstacle à la vie chrétienne ? Et de relever le paradoxe suivant : Dieu nous demanderait-il de nous couper de nos désirs pour nous éviter d’être tentés et de tomber ? L’auteur invite à leur donner une juste place, entre leur satisfaction immédiate et leur étouffement, qui consiste à accepter nos désirs profonds tels qu’ils sont, à les purifier, et à les réorienter, vers Celui qui seul peut nous combler pleinement.
Désirer est le propre de l’homme
Le manque n’est pas réservé aux célibataires à la recherche de l’âme sœur. Quel que soit son état de vie, l’homme est toujours en quête du bonheur, jusqu’à ce qu’il réalise que son désir profond ne peut être totalement satisfait ici-bas.
“Un grand malentendu chez certains célibataires est qu’ils pensent souvent être les seuls à avoir des désirs non comblés. Une fois mariés, une fois leur état de vie trouvé, le manque disparaîtrait. C’est un malentendu aussi tragique que répandu. Tragique, car il enferme dans la pitié sur soi et rend incapable de répondre pleinement à l’appel de Dieu, ici et maintenant. La réalité est heureusement bien différente, car désirer est le propre de l’homme, peu importe son état de vie. Sans désirer plus, en effet, nous serions condamnés à une existence bien triste et incolore. Et ceci est vrai pour tous. Des époux, une consacrée, un prêtre qui ne désireraient pas profondément plus que ce qu’ils vivent déjà seraient des hommes et des femmes à moitié morts. Pourquoi se mettre en route, pourquoi grandir, avancer, se convertir si plus aucun désir ne nous y pousse ? Le désir n’est donc pas réservé à un état de vie, trop souvent seulement attribué aux célibataires qui n’auraient pas encore « trouvé ».
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Quelle tristesse si tout désir s’arrêtait le jour où nous entrions dans un état de vie définitif ! Au contraire, plus l’homme vit sa vocation spécifique, plus il entre dans les profondeurs de son cœur, plus il y découvre des désirs qui ne peuvent être comblés facilement. Et la nature humaine veut que, quand un projet de vie se réalise (mariage, vie consacrée, prêtrise et bien d’autres), l’homme expérimente, après un premier temps qui peut ressembler à un accomplissement total, que, hélas ! les désirs de son cœur sont toujours là, qu’il n’est toujours pas arrivé au terme de sa recherche existentielle du bonheur. Il comprend alors que son désir ne trouve sa satisfaction que dans l’infini, dans l’absolu, mais jamais entièrement ici-bas.”
Laisser Dieu entrer au cœur de nos désirs
Une invitation à laisser entrer Dieu dans notre vie, au cœur de nos désirs, et à le reconnaître comme la véritable source qui peut nous abreuver.
“La vraie soif de Jésus est de donner une eau différente de celle qui abreuve pour un moment. Il a soif de donner l’eau vive. « Si tu savais [qui te parle], c’est toi qui l’aurais prié et il t’aurait donné de l’eau vive » (Jn 4, 10). Si tu savais… Jésus a soif d’être reconnu comme celui qui nous rassasie en vérité, qui nous donne ce que nous désirons vraiment et que les choses terrestres ne sont pas en mesure de nous donner. Dieu est cette source intarissable et nous fait comprendre qu’il veut nous abreuver réellement. Jésus sait que notre corps et tout notre être languit de cette eau vive. Il sait aussi que l’homme cherche partout sauf à la vraie source et que plus il s’éloigne, plus il est malheureux. C’est donc purement en raison de son amour pour l’homme que Jésus a soif d’être reconnu et de nous donner son eau vive. Et comme il connaît le cœur de l’homme, il emploie une pédagogie très intéressante avec la Samaritaine. Il veut être reconnu par elle, éveiller son désir de la seule vraie source et en même temps lui y donner accès. Il l’invite à s’ouvrir et à se mettre en vérité devant lui, première condition d’une conversion, d’une réorientation de ses désirs.
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C’est donc de notre coeur que Jésus a soif. Rien de moins. Notre coeur est la seule chose que Dieu ne peut pas avoir à moins que nous ne le lui donnions. Dieu se tient à la porte et frappe, mais il ne l’enfonce pas pour prendre notre coeur par effraction. Il respecte absolument notre liberté. Il veut que nous recevions son eau vive librement. Jésus a soif de notre coeur, tel qu’il est, avec tous ses désirs, ses joies, ses souffrances. Il n’attend qu’une chose : que nous le laissions entrer dans notre vie, au coeur nos désirs, et que nous le reconnaissions comme la véritable source qui peut nous abreuver.”
Et quand on est tenté ?
Que faire lorsque nos désirs nous conduisent vers le péché ?
“Lorsque nos désirs semblent nous conduire au péché, prenons l’habitude d’exposer tout de suite au Seigneur pourquoi nous sommes tellement tentés. Quel désir demande puissamment à être comblé, ici et maintenant ? Est-ce que je ressens de la solitude, un manque d’affection ou d’amour, un manque de sens, un manque de joie, de beauté, de paix ? Si le désir profond qui a provoqué telle envie nous apparaît clairement, nous sommes déjà à mi-chemin ! Si ensuite nous renonçons à la tentation d’un bonheur illusoire et immédiat, il nous reste ce manque que nous pouvons déposer aux pieds de Jésus sur la Croix. Supplions-le d’abreuver ce désert (très concret et bien identifié) par son eau vive. Dans une telle situation, pour recevoir l’eau vive comme une réalité, il est indispensable d’augmenter notre temps d’écoute et d’attente, c’est-à‑dire de cœur à cœur avec Dieu dans la prière. Creusons et méditons sa Parole, cette source inépuisable d’eau vive ! Seigneur, purifie ce désir, montre-moi que tu veux mon bonheur, donne-moi le goût de ton eau vive, fais que je perde le goût pour toutes les fausses promesses de bonheur !
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Quand la réponse du Seigneur ne vient pas tout de suite, la tentation est de remettre rapidement un bouchon hermétique sur ce désir en pensant que cela pourrait résoudre le problème. Ne tombons pas dans ce piège. Tout ce processus intérieur — ou son refus — ne se voit d’ailleurs pas forcément à l’extérieur. Nous pouvons prendre un air de sainteté, prier pieusement, avoir une vraie pratique religieuse tout en fuyant constamment notre désir ou notre besoin profond, l’endroit où ça fait mal. Comme avec la Samaritaine à la source de Jacob, Jésus veut que nous entrions dans une plus grande vérité avec nous-mêmes et avec lui. Il nous demande de lui montrer les endroits où nous avons mal, que nous ne voulons pas regarder, où nous avons peut-être même perdu toute espérance ou que nous essayons d’apaiser tant bien que mal. “Quiconque boit de cette eau, aura soif à nouveau” (Jn 4, 13). Cette eau est l’eau de ce monde, les calmants que nous prenons, les pansements que nous mettons sur notre désir d’éternité. “Mais qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif” (Jn 4, 14).”