Pour qu'Aleteia poursuive sa mission, faites un don déductible à 66% de votre impôt sur le revenu. Ainsi l'avenir d'Aleteia deviendra aussi la vôtre.
*don déductible de l'impôt sur le revenu
“La fonction de l’art n’est pas, comme le croient même certains artistes, d’imposer des idées ou de servir d’exemple. Elle est de préparer l’homme à sa mort, de labourer et d’irriguer son âme, et de la rendre capable de se retourner vers le bien”, écrivait le cinéaste russe Andreï Tarkovski. Lui qui considérait comme un devoir que le spectateur, à la sortie de ses films, “ressente le besoin d’aimer, de donner son amour et qu’il perçoive l’appel de la beauté”, Tarkovski résumait ainsi la valeur éducative du cinéma, et bien plus, sa capacité d’élever. Sabine de la Moissonnière, elle aussi persuadée de la force du cinéma et de l’art en général pour éduquer les jeunes, a rassemblé son expérience de plusieurs années dans l’animation de ciné-clubs jeune public dans son récent ouvrage Éduquer par le cinéma, préfacé par l’académicien Xavier Darcos. Un moyen de tenir tête au divertissement et aux flux d’images souvent dénués de sens et de bien-fondé auxquels sont soumis les jeunes d’aujourd’hui.
Aleteia : Pourquoi avoir choisi de vous orienter vers l’éducation par le cinéma et ensuite d’avoir consacré un ouvrage à la question?
Sabine de la Moissonnière : Lors de ma formation de professeur de Lettres, j’ai choisi une option intitulée « lecture de l’image » qui m’a profondément intéressée d’un point de vue pédagogique, car j’ai rapidement vu quel lien je pouvais faire entre le cinéma et la littérature. Par la suite, ma paroisse — Saint-Ferdinand-des-Ternes dans le XVIIe à Paris — m’a demandé de reprendre le ciné-club du patronage pour les collégiens de 4e et 3e. Je me suis donc lancée dans l’élaboration de programmes à l’année, en veillant bien à créer une progression en fonction de la maturité des enfants, du style et de l’époque des films, et aussi de l’année liturgique. Je proposais une séance tous les quinze jours. Au vu de l’enthousiasme des collégiens, j’ai ouvert un deuxième ciné-club pour les lycéens, avec moins de séances car ils sont plus occupés par leur travail scolaire, et suivant une autre formule : je propose un thème à l’année. Par exemple, cette année, j’ai réuni des films sur le thème « choix de vie » qui permet d’élargir le débat.
Pendant plusieurs années, j’ai travaillé sur une dizaine de films par an et affiné ma méthode d’analyse et d’enseignement. Il est devenu assez évident que ce travail devait servir plus largement qu’à un seul patronage. D’autant plus que je recevais beaucoup de demandes d’aumôneries, écoles, familles etc., qui souhaitaient obtenir mes programmes et mes analyses de films. L’image étant aujourd’hui inévitable dans le monde de l’adolescence, on doit y éduquer très sérieusement. Tout éducateur en a bien conscience et beaucoup cherchent une méthode. D’où l’idée de ce livre qui réunit une quarantaine d’analyses détaillées de films de toutes époques, genres et nationalités, classés par chapitres thématiques. Pour chaque film je propose des éléments techniques (cadrage, travelllings, plans, lumière, musique, etc.) à donner aux jeunes spectateurs avant la projection, puis une dizaine de questions à leur poser après le film. J’y ajoute quelques scènes à étudier plus en détail, les thèmes principaux traités par le film et pour conclure, une lecture chrétienne du film.
Lire aussi :
Les nouveaux films à voir et à revoir chez soi en famille
À quoi est particulièrement sensible un enfant, un adolescent et pourquoi le rendre sensible à l’art du cinéma ?
Un adolescent est sensible aux écrans, quels qu’ils soient. Si vous tendez un peu l’oreille aux sorties des écoles, collèges, lycées, dans les transports, c’est l’unique sujet qui les réunit tous. Or les écrans véhiculent du bruit, du mouvement ; ils isolent et manipulent. Mon objectif de professeur est de transformer cette attirance un peu brute pour l’image en ouverture au beau et en goût pour la contemplation ; d’éveiller ainsi l’esprit critique du jeune public. Il est frappant lorsqu’on analyse une publicité avec des collégiens de constater qu’ils sont la cible idéale : ils subissent l’image et s’imprègnent inconsciemment de son message caché. Le but est de leur apprendre à regarder et décrypter les intentions du publicitaire. C’est le même travail avec le cinéma : que veut dire ce réalisateur, quel message cherche-t-il à faire passer ?
En quoi le cinéma peut-il apporter un supplément d’âme dans la transmission auprès d’un jeune public ? De quoi les jeunes ont-ils besoin?
Le cinéma est un art, donc s’il respecte cette vocation il nous transforme et nous fait grandir. Par ailleurs, comme tout art, il a besoin d’un public. Il est intéressant, au delà du travail de critique que l’on peut faire avec les jeunes, de leur montrer que l’œuvre n’est pas achevée sans leur regard et que, partant de là, ils participent à sa création en la contemplant. Par ailleurs, les adolescents ont besoin d’apprendre d’urgence à ne pas être manipulés. C’est extraordinaire de mener un débat sur un film car ils découvrent, au fur et à mesure du travail d’analyse, la puissance (néfaste ou positive) de l’image, et quel est leur rôle face à cette force. Ils sont très fiers d’être capable de prendre du recul sur un film.
Quelles sont les questions à lui poser pour développer sa réflexion et sa sensibilité ?
Je procède face à un film de la même façon qu’avec un texte de littérature. Mon livre propose des questions propres à chaque film, mais en voici quatre valables pour tout film, que le jeune peut se poser même s’il regarde un film sans animateur :
- Que raconte ce film ? Question essentielle pour être dans un premier temps dans l’objectivité, et pour vérifier que tout le monde a bien compris, sans quoi l’analyse s’avère difficile.
- Quel est l’effet, à chaud, de ce film sur vous ? On est là dans la subjectivité complète. La suite de la réflexion permettra d’expliquer les émotions ressenties et de voir qu’elles étaient peu ou prou prévues par le réalisateur.
- Quelles sont les principales techniques que vous avez pu repérer ? C’est par ces techniques notamment que le réalisateur suscite nos émotions. On les décrypte.
- À votre avis, quel est le message du réalisateur ? Forts des réflexions amenées par les trois questions précédentes, les jeunes spectateurs sont à même de répondre à cette dernière question.
Lire aussi :
Le catholicisme dans l’œuvre de Bourvil
Quels conseils donneriez-vous aux enseignants, éducateurs et parents qui souhaitent transmettre un message par l’intermédiaire d’un film?
Je leur conseillerais d’abord de bien choisir leur film ! Un film comporte toujours un message, mais celui du réalisateur. Il faut donc être bien en phase avec celui-ci. Dans le cas de film chrétiens, je pense aux films évangéliques dont on se sert beaucoup en aumôneries : ils ont le mérite de véhiculer un message très clair, donc sont bien utiles en pastorale. Mais âmes un peu esthètes, s’abstenir ! Ils sont souvent sans grande finesse de jeu ni de mise en scène. Ce sont des films que je considère plutôt comme de bons outils, pas des œuvres d’art.
Dans un cadre plus large où un éducateur souhaiterait — sans nécessaire enseignement doctrinal chrétien — trouver un bon lieu de discussion avec ses jeunes, par exemple tout simplement en famille, il lui faudra toujours se souvenir qu’au sortir d’un film nous sommes assommés par le nombre d’images à la seconde et que par conséquent nous n’avons à chaud aucun recul. Il est donc indispensable, à mon sens, de faire dire aux jeunes ce qu’ils ont vécu pendant le film, puis d’en parler paisiblement, quitte à démonter certaines impressions fausses qu’ils ont pu avoir, et revenir ensuite sur leur première impression. Il est frappant de constater qu’en général, après débat, leur avis sur le film a changé. Si des parents parviennent à apprendre à leurs enfants à dépasser leurs émotions premières face à un film, pour comprendre d’où elles viennent, ils auront accompli un gros travail.
Que pourront-ils trouver dans votre ouvrage d’essentiel pour améliorer leur démarche?
J’ai réuni les films par chapitres thématiques, cela aide à trouver des idées de films. Pour chaque chapitre je propose, en plus de plusieurs films analysés en détail, un certain nombre de critiques et une liste finale de films sur le même thème. Ainsi, un enseignant, un éducateur, un animateur qui cherche une notion à illustrer par le cinéma peut facilement la trouver et même proposer des films complémentaires aux jeunes qui souhaiteraient pousser la réflexion plus avant. Le travail de prospection est ainsi facilité. Par ailleurs la méthode d’animation, décrite étape par étape au début du livre, est guidée par des questions et des thèmes suggérés. Ce manuel propose en fait une quarantaine de séances de ciné-club « clef en main ».
Jean Renoir disait que “l’art du cinéma consiste à s’approcher de la vérité des hommes et non pas à raconter des histoires de plus en plus surprenantes”, la vérité est-elle si importante ?
On ne peut pas éduquer hors de la vérité car elle rend libre. Éduquer c’est bien pousser l’enfant à épouser la vraie liberté, celle qui nous vient de Dieu. Si un film nous fait entrevoir la vérité, c’est qu’il dépasse le simple exercice technique et stylistique et répond à sa vocation d’œuvre d’art : chercher le vrai par le biais du beau. Il est alors une réelle aide éducative.