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L’apprentissage de la pudeur, notamment dans un monde envahi par les images érotiques, est un enjeu majeur dans l’éducation des enfants. Béatrice Bergeras, mariée et mère de sept enfants, formée à l’accompagnement des adolescentes, titulaire d’un master de l’Institut Jean-Paul II à Rome, et fondatrice de l’association “Aimer, ça s’apprend“, confie à Aleteia en quoi la pudeur, enseignée dès le plus jeune âge, participe à la construction de la personne, et la rend capable de se donner dans un amour vrai ensuite.
Aleteia : Comment définissez-vous la pudeur ?
Béatrice Bergeras : « La pudeur est la vertu naturelle qui cache à la curiosité ce qui appartient à l’intimité de la personne », écrivait l’Abbé Guy Pagès. Tous les mots sont importants ! Quand je m’adresse à des petits, je leur dis que la pudeur est naturelle, qu’elle appartient à notre nature d’homme ou de femme, sans forcément parler de vertu, mais plutôt d’habitude, et que la pudeur, ça s’apprend ! Pour la curiosité, je souligne qu’il y en a de deux sortes : celle, naturelle, que l’on a envers soi-même ou envers l’autre, qui est de l’ordre de la connaissance, de soi ou de l’autre. Et puis il y a la curiosité moins naturelle, de l’ordre de l’indiscrétion, voire malsaine, et qui va à l’encontre de la pudeur. L’intimité, c’est le cœur profond de la personne humaine, son jardin secret, là où se trouve l’âme pour les chrétiens, le centre de la volonté éclairée par l’intelligence. Et une personne humaine se distingue des animaux par son intelligence, sa volonté, sa mémoire et sa conscience, et sa capacité à accéder au Vrai, au Beau et au Bien. Elle est créée à l’image et à la ressemblance de Dieu, elle a la capacité à entrer en relation avec les autres, à les aimer. Elle a aussi le pouvoir d’entrer en relation avec Dieu. Dieu a créé l’homme par amour et pour aimer, et de ce fait, l’homme ne peut vivre sans aimer, ni sans être aimé.
On a tendance à définir la pudeur comme une retenue dans sa tenue vestimentaire. Est-ce plus que cela ?
Oui on associe souvent la pudeur à la tenue vestimentaire, mais ce n’en est qu’une expression. La pudeur est beaucoup plus large que cela. Elle n’existe que parce que notre regard est perverti, qu’il voit l’autre non plus pour vivre une relation d’amitié ou d’amour, mais pour en tirer profit égoïstement. Le propre de l’amour vrai est d’être capable de se donner totalement à l’autre, dans toutes les dimensions de sa personne, et non d’utiliser l’autre comme un objet pour son plaisir égoïste.
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Quel est l’intérêt d’enseigner la pudeur aux enfants et aux adolescents ?
L’intérêt, c’est « de les éveiller au respect de la personne humaine ». C’est de les faire grandir vers le Vrai, le Beau et le Bien tout à la fois, en restant unifié : la pudeur empêche que le corps soit séparé de l’âme. La pudeur se trouve à la frontière entre les deux et agit comme une protection de l’intimité de la personne. Ils grandiront vers la vérité de l’amour, vers la beauté du corps et de l’amour, et vers le Bien, dans le sens de la construction personnelle d’abord, puis dans leur capacité à se donner dans un amour vrai ensuite. L’enjeu est énorme ! En effet, dans la construction de la personne, et de l’enfant en particulier, la pudeur est directement liée à l’apprentissage de l’amour, à travers l’estime de soi, la maîtrise de soi, la compréhension et l’intégration de l’altérité, la pureté, et la chasteté. La pudeur nous amène à avoir un regard sur soi, et plus un enfant comprendra dans son cœur le respect qu’on lui doit en tant que personne, plus il sera pudique et plus il sera capable d’une vie intérieure. Ce n’est que dans le cœur d’une personne unifiée que peut naître un amour vrai. Pour une vie chrétienne, c’est aussi le début d’une vie de prière que d’être capable d’aller à l’intérieur de soi.
A partir de quel âge peut-on inculquer la pudeur ?
La pudeur doit naître naturellement et peut se manifester dès 3- 4 ans. Si elle doit être accompagnée et encouragée, elle ne doit pas être imposée, cela n’aurait pas de sens. Avant 2 ans, l’enfant découvre son propre corps et ne ressent aucune gêne à exposer sa nudité. Il découvre son corps et les sensations associées à certains touchers mais il n’y a aucune impudeur : il est juste curieux, et c’est une saine curiosité ! Vers 3 ou 4 ans, il commence à être curieux de l’autre. Il peut comparer son corps avec celui de ses frères et sœurs dans le cadre familial et de celui de ses camarades du même âge. C’est l’âge où il prend vraiment conscience de la différence des sexes et posent des questions. Il faut y répondre avec des mots adaptés mais éviter les mots grossiers ou trop infantiles. Il doit s’émerveiller de la beauté du corps ! Si on sous-entend qu’il y a quelque chose de sale derrière ces sujets, cela restera dans sa mémoire. À partir de 4 ans, il commence à s’ouvrir davantage à l’univers de l’autre et à prendre conscience de son identité propre. C’est pendant cette période que la pudeur apparaît. À partir de 6-7 ans, mais cela peut être avant, l’enfant devient de plus en plus pudique. Il comprend bien ce qu’est l’espace intime et sait respecter les limites entre lui et les autres. Cette découverte de la pudeur est directement en lien avec la conscience d’être une personne à part entière et l’enfant fait le lien plus ou moins consciemment entre son corps et son cœur.
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Vous disiez que le préalable à la notion de pudeur est d’enseigner l’unicité du corps et de l’âme. Comment faire prendre conscience à un jeune enfant de l’unicité de sa personne ?
Quand j’interviens dans les classes des enfants de primaire, j’ai toujours avec moi une jolie poupée russe (on voit la poupée extérieure mais pas celles qui sont à l’intérieur) qui aide les jeunes enfants à comprendre ce qu’est une personne dans toutes ses dimensions : corporelle, émotionnelle, intellectuelle et affective. (Dans un premier temps, je laisse la dimension sociale de côté.) La première idée consiste à leur montrer que la pudeur est liée à la notion de personne. Je leur demande quelle est la première chose qu’ils vont regarder dans le corps de quelqu’un qu’ils rencontrent et ne connaissent pas, et qui va leur donner des informations sur ce qu’elle est vraiment. Autrement dit, ce qui, dans le corps humain, est le plus personnel. Ce qui révèle l’âme. Même les petits trouvent tout de suite la bonne réponse : c’est le visage ! et dans le visage, les yeux, le regard ! Le regard révèle l’âme. Je souligne qu’à l’inverse, le genou ou le pied n’expriment rien de personnel.
Et avec les adolescents ?
On peut aller plus loin en relevant que certaines parties du corps suggèrent le plaisir sexuel et que les exposer est une invitation à la génitalité plus qu’à une relation d’amour. C’est pourquoi, nous cachons naturellement nos parties génitales. Nous insistons beaucoup auprès des jeunes filles sur ce qu’elles souhaitent que les garçons regardent chez elles : si elles montrent leurs attributs féminins, vont-elles permettre aux garçons d’entrer en contact avec leur personne ou juste avec leur corps ? C’est à ce niveau-là qu’un centimètre de plus ou de moins dans la tenue vestimentaire va avoir de l’importance. En fait, tout est une question d’intention ! Bien-sûr, au-delà du vêtement, les attitudes, les paroles vont aussi jouer un rôle important.
J’utilise avec les adolescents, les publicités dont nous sommes inondées qui représentent des femmes très dénudées et je leur demande si l’effet serait le même sur eux si le visage de la femme de la publicité était celui de leur mère ? Évidemment l’effet n’est pas le même, car leur mère est une personne qu’ils connaissent et qu’ils aiment. Dans cette situation ou dans d’autres qu’ils ont eux-mêmes connues d’intrusion dans leur intimité, je les invite à me dire qu’elle a été leur réaction immédiate ? Ils me répondent tous sans exception qu’ils ont éprouvé un sentiment de honte : cette rupture d’unité peut provoquer chez un enfant comme chez un adulte, au-delà de la honte, un sentiment de culpabilité et un trouble très profond. Il y a aussi une anecdote que je raconte aux adolescents, c’est celle de l’expérience vécue par des prisonniers dans les camps nazis, mais ailleurs aussi. Que fait-on pour retirer à une personne sa dignité ? On l’oblige à se mettre nu ! Il ou elle est ainsi réduit au rang d’animal. Les animaux n’ont pas de pudeur …
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Comment, concrètement, amener les enfants à unifier les 3 C : corps – cœur – cerveau ?
Il faut les aider à rentrer en eux-mêmes, à écouter leur corps et leur cœur. Le meilleur moyen est sûrement le silence. Cette génération ignore bien souvent ce qu’est un silence intérieur. Nous vivons dans une société du bruit permanent. C’est un très bon exercice que de leur demander des moments de silence, pas forcément très longs, car ce n’est que dans leur cœur profond qu’ils découvriront quels sont leurs vrais désirs et qu’ils pourront faire des choix libres. Pour les plus grands, je leur demande de réfléchir à ce qu’ils veulent vivre : souhaitent-ils être respectés dans leur dignité de personne humaine ou accepteraient-ils d’être réduits à l’état d’objet impersonnel ? Toute la question est là et la pudeur est le meilleur outil pour empêcher que le corps soit séparé de l’âme, que les actes soient séparés de l’intention. C’est très troublant pour moi de constater chez certaines jeunes filles cette désunification, cette séparation qu’elles font entre leur corps et leur intériorité, et que par voie de conséquence les actes qu’elles posent, jusqu’à une relation sexuelle, n’ont pas d’impact sur elle. Or tout acte posé, quel qu’il soit, a forcément des conséquences sur tout l’être.
Que diriez-vous pour conclure ?
Que la pudeur prépare et protège l’amour vrai. Plus une personnalité est riche, plus elle donne de valeur à sa vie intérieure, et plus sa pudeur est grande. Et plus sa capacité à aimer sera grande.
“Aimer, ça s’apprend“, association constituée d’une équipe d’hommes et de femmes accompagnant depuis six ans des jeunes en formation dans des communautés religieuses et des séminaires, et ponctuellement dans les écoles.