Il faut savoir, cher Aznavour, il faut savoir
Rester debout, de marbre,
Lorsque l’adieu remplace, un beau jour, l’au revoir ;
Rester fier comme un arbre.
Il faut savoir, cher Aznavour, ne plus revoir,
Partir, céder la place,
Regarder sans rougir l’ombre dans le miroir,
Et le Regret en face.
Il faut savoir chanter ton autre « Désormais »
Et, grâce à toi, poursuivre,
Tout seul ou bien ensemble, à fond, à tout jamais,
Ton envol qui enivre.
Il faut savoir, tout comme toi, défier le temps,
Et prolonger l’histoire,
Remonter son faux cours, planter d’autres printemps,
Et fleurir sa mémoire.
Il faut savoir, chanteur d’amour, semer les champs
De ses vers d’espérance ;
Semer aux quatre vents les notes de ses chants
Pour que le monde danse.
Il faut savoir, grand voyageur, se promener
Au-delà de sa sphère,
Choisir un nouveau port, se laisser emmener
Tout « au bout de la terre ».
Il faut savoir, pouvoir, aérer sa raison
De ta voix qui envoûte,
Fixer ta gestuelle, au loin, à l’horizon,
Et se remettre en route.
Lire aussi :
Au seuil d’un amour éternel : les Ave Maria d’Aznavour
Il faut savoir, flûteur charmeur, répondre un jour
À l’appel de ton large,
À l’appel du grand ciel, dans une mer d’amour,
Et monter sur ta barge.
Il faut savoir jeter l’ancre dans l’encrier
Et rompre les amarres ;
Naviguer dans ton rêve, entendre s’écrier
Ton vent, qui redémarre !
Il faut savoir, pouvoir, dire bonjour au soir,
Bonjour au crépuscule,
Aller à sa rencontre, à son gîte, et le voir
Peu à peu qui recule.
Il faut savoir, très cher, posséder tes vingt ans,
Ton cœur, qui s’émerveille ;
Accoster ton rivage et résider longtemps
« Au pays des merveilles ».
Il faut savoir plonger et noyer ses hiers
Dans ton chant de jouvence,
Duquel émergeront des lendemains tout fiers,
Vibrant de survivance !
Il faut savoir donner, et fredonner partout,
Y rouler sa bohème,
Braver le désamour et savoir, malgré tout,
Dire encore « je t’aime ».
À la pâle passion que longtemps on pria
De nous rester fidèle,
Il faut savoir lui dire un Ave Maria
Envolé de tes ailes !
Il faut savoir se taire, et non point déchanter,
Mais marquer une pause
Entre deux chants d’amour, puis se mettre à chanter
Pour une juste cause.
Apprends-moi à savoir, comme toi tu as su
Cher grand maître, cher Charles ;
Toi qui souffles ton air, parfois à mon insu,
Toi qui, du Ciel, me parles.
Lire aussi :
Charles Aznavour, géant de la chanson française, s’en est allé