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Quand la temporalité chrétienne réintroduit le vrai sens du temps

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Laurent Fourquet - publié le 22/01/19

Dans une société qui vit dans le totalitarisme de l’instant, la temporalité chrétienne réintroduit le sens du temps. Elle aide à saisir le principe de continuité et la trajectoire de chacune de nos existences au sein du temps.

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Le temps constitue, a priori, l’expérience la plus commune et la plus partagée. On pourrait donc croire que notre relation au temps est, partout et toujours, identique. Or il n’en est rien. Chaque civilisation, chaque époque entretient avec le temps un rapport singulier. Il est dès lors légitime de s’interroger sur la relation au temps qui caractérise notre société et, d’autre part, sur l’articulation entre la temporalité contemporaine et la temporalité du chrétien, puisqu’être chrétien, c’est aussi ressentir le temps en conformité avec le Christ.

Notre société ne connaît pas le temps

Un premier constat qui s’impose étonnera peut-être par sa radicalité : notre société ne connaît pas le temps. Comme l’a bien montré, en particulier, Bergson, le temps c’est d’abord de la durée : un écoulement continu qui ne cesse de s’écouler, venant du passé pour se projeter vers le futur, et qui cesse d’être temps dès lors que l’on prétend le figer. Précisément, notre société rejette cette coulée du temps. Elle sait bien, en théorie, qu’il y a un passé et qu’il y a un futur, mais elle n’y croit pas. Car, pour elle, seul compte l’instant présent. Saturant la conscience, au point que celle-ci oublie qu’il y avait un avant et qu’il y aura un après, l’instant s’expose comme s’il était là de tout temps, et pour toujours. Il est donc l’anti-durée puisqu’il nie le principe d’écoulement, qui lie entre eux tous les moments du temps, faisant de chacun d’eux des passeurs de temps.


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Cette négation du temps interdit, par là même, de se sentir des héritiers d’une histoire, d’une civilisation et, au-delà, de ce legs que toutes les générations nous ayant précédés nous ont transmis. Nous vivons dans le mythe d’un présent sans passé où tout est à nous puisque nous ne sommes redevables de rien à personne. De façon symétrique, nous ne saurions nous sentir responsables de l’avenir puisque l’avenir n’existe pas. Nous pouvons bien formuler des proclamations vertueuses sur le développement durable et la nécessité de protéger la terre et le ciel. Ceci n’imprime pas, comme l’on dit, car l’avenir n’est pour notre conscience qu’une abstraction que contredit notre expérience sensible. Pour nous, l’instant présent est tout, et, à ce titre, il efface en nous toute sensation de provenance et de destination. Par là-même, il nous empêche de trouver un sens à la trajectoire générale du temps et à la trajectoire de chacune de nos existences au sein du temps. Puisque, croyons-nous, il n’y a pas de temps, il ne peut non plus y avoir de destinée, individuelle ou collective.

Nous basculons d’instant en instant

Pourtant, le temps ne cède pas à nos efforts pour l’éteindre. Il avance, que nous le voulions ou non. Dès lors, pour ne pas avoir à affronter la contradiction entre notre croyance en la pérennité de l’instant présent et la réalité de l’avance du temps, nous sommes tenus de renoncer au principe de continuité. Pour nous, l’instant qui passe ne s’écoule pas continûment dans l’instant qui advient. Comme les images des premiers temps du cinéma, nous fonctionnons par sautillements. Un instant est là et nous croyons de bonne foi qu’il est là pour toujours ; et puis un autre instant advient, sans que nous sachions comment, et, à nouveau nous croyons qu’il est là pour toujours parce que notre mémoire profonde a déjà effacé l’instant qui précède. Nous basculons ainsi d’instant en instant, oubliant à chaque fois tous les instants précédents, pour être tout entier avalé, à nouveau et pour un instant, par l’instant qui vient. Et ainsi de suite…

Les trois moments de la temporalité chrétienne

On pourrait croire que cette représentation moderne du temps est dépourvue de conséquence théologique. On aurait bien tort. Il est difficile, en effet, d’imaginer opposition plus frontale que celle entre la conscience actuelle du temps et la temporalité chrétienne. Celle-ci présente trois caractéristiques qui, chacune d’elles, réfute le rapport au temps de notre monde. En premier lieu, le christianisme est, comme le judaïsme avant lui, une religion de l’histoire : ce qu’il nous dit ne se situe pas dans l’empyrée immobile des idées, ni même dans le temps flou du mythe, mais raconte une histoire qui s’est manifestée dans le temps des hommes, l’histoire d’une alliance et d’une incarnation.



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En second lieu, dans cette histoire, il existe des avant et des après. L’un des paradoxes fondamentaux de la temporalité moderne est, en effet, que, malgré nos éloges hyperboliques du mouvement, malgré notre sensation superficielle que tout change, en réalité rien ne change véritablement : sous la violence de plus en plus hystérique de nos sautillements, c’est toujours le même instant qui revient et qui, en profondeur, n’a rien de plus à nous dire que l’instant précédent et que l’instant suivant. D’où, du reste, coexistant avec le “bougisme” qui constitue la raison d’être officielle de notre modernité, la sensation, caractéristique de notre époque, d’un piétinement général, comme si l’histoire des hommes avait cessé d’avancer. Le christianisme, quant à lui, sait bien que l’histoire des hommes est rythmée par des passages, comme celui de la Pâque, des révélations, qui font que, ce qui vient ensuite, ne sera jamais comme avant.

En dernier lieu, la temporalité chrétienne sait aussi que le temps ne nous mène pas nulle part. Depuis l’origine, la Providence agit, de sorte que, même si Dieu écrit droit avec des lignes courbes, nous allons, suivant un sens, dans une direction qui sera à la fois l’accomplissement du temps et sa récapitulation.

Le sens de la liturgie

Ces trois moments de la temporalité chrétienne se retrouvent dans la liturgie de l’Église qui, à travers ses grands cycles, nous rend pleinement sensibles l’historicité du temps, sa progression et sa destination. Autant de réalités du temps incompréhensibles pour une conscience immergée dans la dictature de l’instant qui, à chaque fois, fait croire qu’il est l’unique, le commencement et la fin, de sorte qu’à lui seul doit être rendu un culte. Notre société pratique en effet une idolâtrie de l’instant, incompatible avec la foi au Dieu vivant et qui, du reste, tolère de plus en plus mal cette foi.


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Engager la lutte pour le temps, dans le contexte de notre société, n’est donc pas une perte de temps. Réapprendre que l’instant n’est pas tout, prendre de la hauteur, redécouvrir qu’il y a un passé, qu’il y a un futur, redonner le temps à nos vies, autant d’actes de résistance au totalitarisme de l’instant et à tout ce qu’il charrie d’obsessions consommatrices pour passer le temps

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