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Les occasions de tristesse ne manquent pas dans la vie spirituelle. Il suffit de peu de chose pour nous faire glisser vers une stupeur qui est comme une paralysie face à la noirceur du monde et à la médiocrité de notre âme. Nous guette alors le piège de l’acédie qui peut nous conduire, bien au-delà d’un pessimisme ponctuel, à désespérer franchement et une fois pour toutes. L’état du monde, de notre pays et de l’Église est tel que nous avons bien des raisons d’être ainsi les victimes faciles de ce broiement de l’âme. En ce qui concerne l’Église — ce qui sera l’unique propos de ces quelques lignes, combien de fidèles catholiques sont aujourd’hui, non seulement désorientés mais aussi anéantis par l’image qu’Elle présente, par l’enseignement qu’Elle prétend dispenser ! Des âmes sont souffrantes car elles ne peuvent plus comprendre alors que tout semble s’effriter et s’écrouler de ce qui pouvait demeurer stable et sûr. Nombreux sont ceux qui pleurent sur l’Église et à cause d’Elle.
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Pour dépasser ces déceptions, ce sentiment d’abandon de la part d’une mère occupée souvent à d’autres tâches que le soin de ses enfants, cette déréliction, sans doute faut-il remettre calmement l’Église dans notre perspective, avec notre regard qui a constamment tendance à déformer ce qui est et surtout à ne percevoir qu’une part de la réalité. Remontant un peu dans le temps, pas très loin — celui de l’enthousiasme pour la crise dans les années 1970, le texte d’une conférence du jeune professeur Joseph Ratzinger, à Münich, devant une assistance considérable, à l’invitation de l’Académie catholique de Bavière, le 4 juin 1970, sur le thème : “Pourquoi sommes-nous encore de l’Église ?” est éclairant. Dans le contexte révolutionnaire de l’époque, alors que le clergé se laissait emporter par toutes les audaces et les provocations liturgiques et dogmatiques, la voix de ce jeune théologien ayant eu le temps de réfléchir sur tous ces débordements, est pleine de sagesse car enracinée dans la symbolique des Pères de l’Église : “Une Église qui, contre toute sa propre histoire et sa propre nature, est envisagée seulement d’un point de vue politique, n’a aucun sens, et la décision d’y rester, si elle est purement politique, n’est pas loyale, même si elle se présente comme telle”.
La tentation de croire que l’Église posséderait sa lumière d’elle-même
Pourtant, face à la situation présente, comment peut-on justifier le fait de rester dans l’Église ? En d’autres termes : le choix en faveur de l’Église, pour avoir un sens, doit rester spirituel ; mais sur quels motifs ce choix peut-il aujourd’hui se fonder ? Il appelle alors à la rescousse la richesse patristique : “Dans le monde matériel la lune est l’image de ce que l’Église représente pour le salut dans le monde spirituel. […] La lune, en tant que symbole de la fertilité et de la fragilité, de la mort et du caractère caduque des choses, mais aussi de l’espoir en la renaissance et la résurrection, [est] l’image, “pathétique et en même temps consolante” de l’existence humaine.”
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Sans vouloir exagérer l’aspect symbolique, le futur pape nous prévient d’une tentation à éviter, celle de considérer que l’Église posséderait sa lumière d’elle-même. Elle transmet bien la lumière puisqu’elle est Corps du Christ, mais toujours, par les hommes qui la composent, risquant de plonger dans les ténèbres sans l’exercice efficace de la grâce : “La lune resplendit, pourtant sa lumière n’est pas la sienne, mais celle d’un autre. Elle est ténèbre et dans le même temps lumière ; tout en étant en elle-même sombre, elle resplendit en vertu d’un autre dont elle reflète la lumière. Précisément pour cette raison, elle symbolise l’Église, laquelle resplendit également, même si, en elle-même, elle est sombre ; elle n’est pas lumineuse en vertu de sa lumière propre, mais du vrai soleil, Jésus-Christ, de sorte que, tout en étant seulement terre (la lune n’est rien de plus qu’une autre terre), elle aussi est également en mesure d’éclairer la nuit de notre éloignement de Dieu — La lune raconte le mystère du Christ.”
Des phases plus ou moins lumineuses
Saint Ambroise exprime cela de façon concise : Fulget Ecclesia non suo sed Christi lumine, “L’Église ne resplendit pas de sa propre lumière mais de celle du Christ”. Les Pères ont été ici inspirés par certaines affirmations des philosophes de l’Antiquité grecque. La parole d’Empédocle rapportée par Plutarque va dans ce sens : “Le soleil nous embrase de ses rayons, la lune nous éclaire par sa grâce”. Hugo Rahner consacrera une partie de ses recherches patristiques à cette triple image de la lune mourante, qui enfante et rayonnante telle que développée par les Pères. Saint Cyrille d’Alexandrie écrit : “L’Église est auréolée par la lumière divine du Christ, qui est la seule lumière dans le royaume des âmes. Il y a donc une seule lumière : mais dans cette unique lumière, l’Église resplendit aussi, sans pour autant être le Christ lui-même.” L’Église ne peut pas mourir mais Elle connaît des phases plus ou moins lumineuses.
Dans les périodes les plus sombres, celles où l’Église, de par son mysterium lunae, semble ne plus beaucoup refléter la lumière du Christ, il est bon de se souvenir de cette symbolique patristique pour ne pas perdre l’espérance et pour demeurer fidèles à ce que l’Église a toujours tenu pour vrai à cause de sa conformité avec l’enseignement du Christ. Si des paroles d’hommes d’Église se détournent du message évangélique, par des interprétations et des adaptations douteuses, elles ne doivent pas être occasion pour nous de tristesse incontrôlée mais invitation à renouveler notre propre vie spirituelle, à demeurer fidèles à ce qui appartient à jamais à la lumière du Christ.
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L’Église est celle de Dieu, pas notre propriété
L’abbé Joseph Ratzinger repère une dérive lorsqu’on commence à parler de “notre” Église, et non plus de “Son” Église (celle de Dieu). À la fin de l’offertoire, les fidèles répondent à l’invitation de la prière par le prêtre : Ad utilitatem quoque nostram, totiusque Ecclesiae suae sanctae — “Pour notre bien et celui de toute sa sainte Église”. L’Église est celle de Dieu, pas notre propriété, sinon elle devient politique et sociale. Joseph Ratzinger avertit : “On voit ici réapparaître tout notre problème et la déviation de perspective opérée dans la période récente. À la place de “son” église, s’est substituée la nôtre, et avec elle les nombreuses églises ; chacun a la sienne. Les églises sont devenues nos entreprises, dont nous sommes fiers ou honteux, petites et innombrables propriétés privées disposés côte à côte, églises seulement nôtres, notre œuvre et notre propriété, que nous conservons ou transformons selon notre bon plaisir. Derrière le “notre église”, ou même le “votre église”, a disparu “son église”. Mais c’est précisément et seulement cette dernière, qui nous intéresse ; si elle n’existe plus, alors la “nôtre” doit abdiquer. Si elle était seulement la nôtre, l’Église serait un inutile jeu d’enfant.”
Il ne faut ni écouter, ni suivre ceux qui essaient de manipuler le message de salut du Christ dans un sens contraire à celui de la tradition millénaire de l’Église. Nous savons que leur acharnement à vouloir détruire ou déformer ne peut être que lettre morte à la longue, même si, apparemment, ils sèment le trouble et le chaos. L’Église demeurera toujours la lune qui a besoin du soleil du Christ. Il ne faut pas se laisser affecter et déstabiliser, se laisser envahir par la tristesse ou le découragement. Notre regard doit toujours se porter au-delà, vers le Christ qui, Lui, ne déçoit pas et ne trompe pas et qui corrige les erreurs et les infidélités des hommes de son Église.
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