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On peut avoir l’impression ces temps-ci que l’Église est mise au pilori sur cette moderne place publique que sont les médias : elle est bombardée de fruits avariés et de déchets nauséabonds, assaisonnés de ricanements et de quolibets. Et l’on n’entend guère que deux questions : quelle est la prochaine immondice qu’elle ne pourra esquiver ? Et saura-t-elle s’en remettre ? La première interrogation ne disparaîtra sans doute qu’au jour (non programmable) où personne ne pourra plus prendre l’institution ecclésiale en défaut.
Coupable ou victime ?
Mais la réponse à la seconde question ne peut déjà être que « oui ». L’exposition à l’opprobre est une humiliation, pas une exécution capitale, bien que l’objet de dérision serve de bouc émissaire. Il n’est besoin d’invoquer ici ni les persécutions de l’Antiquité ni, à l’inverse, les prélats corrompus de la Renaissance, qui montrent que l’Église n’a pu ni être détruite ni se détruire elle-même. Un exemple profane suffira : Daniel Defoe fut condamné au pilori. Cette honte ne l’empêcha pas d’être plus tard l’immortel auteur d’une belle histoire de survie : Robinson Crusoé. Le vrai problème est toujours de savoir si la peine est méritée.
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Aujourd’hui, la solution n’est pas évidente. Dans la majorité des cas, les abus sexuels reprochés à des prêtres sont avérés (certains accusés ont tout de même été innocentés) et les perpétrateurs, quand ils sont encore de ce monde, ne nient pas (mais il en est qui s’en défendent). Or il ne s’agit pas là seulement de crimes humainement condamnables, car ce sont aussi des trahisons de tout ce que prêche l’Évangile. De ce point de vue, l’Église n’est pas coupable, mais victime. Elle est néanmoins soupçonnée de minimiser ces graves dysfonctionnements, et même de se salir elle-même, de l’intérieur, comme c’est constatable de l’extérieur, où il est vain d’espérer qu’on n’y fasse plus attention — ce qui, soit dit en passant, serait presque réconfortant : qu’on se réjouisse de la trouver en contradiction avec elle-même ou qu’on attende qu’elle se conforme à la morale dominante, cela prouve qu’on ne réussit pas à s’en débarrasser.
L’erreur de l’angélisme
Le premier grief est donc l’insensibilité au traumatisme subi par celles et ceux qui ont subi des agressions sexuelles et le souci d’étouffer les « affaires » pour ne pas scandaliser les fidèles ni alimenter l’anticléricalisme. Or sous-estimer le mal fait peut venir d’une difficulté « naturelle » à se représenter la pédophilie et le viol. La réalité en est refoulée. On n’alerte pas les autorités civiles. On incite les victimes à pardonner, à oublier, et le criminel à ne plus recommencer une fois muté. Cet aveuglement est assurément indéfendable et en tout cas préjudiciable. La hiérarchie, pape en tête, le sait désormais. La volonté de ne plus rien cacher ni même ignorer, d’écouter les plaignants, la « tolérance zéro », les sanctions canoniques contre les prêtres indignes et leur dénonciation conformément aux lois devraient permettre de ne plus persévérer dans cette espèce d’angélisme. D’aucuns trouveront que c’est trop tard et pas assez. Il est seulement à souhaiter que toutes les institutions en fassent autant.
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Quant à l’escamotage finalement vain des esclandres, il repose sur une interprétation erronée de Matthieu 18, 6-7. On en retient : « Malheur à celui par qui le scandale arrive ». Or cela ne veut pas dire qu’il suffit de dissimuler l’ignominie pour désarmer la malédiction. Car le scandale n’est pas l’indignation dans l’opinion publique, mais les « petits » dont la foi est trompée et qui la perdent. Le Christ est très clair là-dessus. Il prévient de surcroît qu’« il est inévitable que des scandales arrivent » — c’est-à-dire que Judas ait des imitateurs, que Dieu soit renié par les siens et que des innocents qu’ils ont abusés ne puissent plus croire en lui.
Non au masochisme
C’est une vérité de plus qu’il n’est pas si facile d’admettre. Mais en être conscient, en veillant à la transparence (y compris rétrospective), à la prévention et à ce que les prédateurs soient traités aussi justement que leurs proies, selon ce qui est dû à chacun, cela n’oblige nullement ni à être impatient de retourner au pilori, ni à mettre les successeurs des onze apôtres qui n’ont pas perçu assez tôt l’ampleur du mal dans le même sac que le douzième qui est allé se pendre, ni à applaudir aux mises en scène médiatiques ou cinématographiques des « affaires », ni à accepter que l’Église produirait structurellement ce qu’elle réprouve.
Le second grief est en effet que le catholicisme pose, en vertu d’idéaux dangereusement exaltés, des exigences excessives qui forcent à la duplicité une bonne partie de ceux qu’il embrigade. Il y a la fidélité dans le mariage, jugée quasiment inhumaine, et bien sûr le célibat sacerdotal, accusé de procurer en contrepartie des pouvoirs qui attirent et promeuvent des tordus ou des tartuffes menant une double vie — un peu comme le bon docteur Jekyll qui est aussi l’affreux M. Hyde dans la nouvelle de Robert Louis Stevenson, ou comme le Dorian Gray du roman d’Oscar Wilde, extérieurement brillant et intérieurement pourri.
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Pour pousser le réalisme
Dans ces deux fictions du crépuscule de l’ère victorienne, ce n’est pas un hasard si l’homosexualité est plus ou moins implicitement latente. Une propagande acharnée s’efforce aujourd’hui de la faire tenir pour « normale » et a déjà obtenu le mariage « pour tous ». Qu’existe chez quelques-uns une attirance pour leur propre sexe, c’est indéniable. Mais est-ce si simple ? N’y a-t-il qu’à inscrire dans les lois et ainsi protéger tout ce qui est irrépressible chez certains ? Mais alors pourquoi tel comportement statistiquement minoritaire serait-il légitime et tel autre pas ? Céder à ses pulsions sexuelles (et/ou à celles d’autrui) est-il du même ordre et sans plus de conséquences que la consommation nécessaire à la vie ou que le plaisir esthétique ? Est-ce la condition sinon du bonheur, au moins de l’épanouissement de la personne ? Est-ce indispensable à la pérennité d’une société ?
Poser ces questions n’est pas se défendre et contrattaquer en pointant d’autres problèmes que les siens propres. C’est simplement pousser au-delà des constats sélectifs, superficiels et passifs le réalisme ou la vérité au nom desquels on critique l’angélisme et l’hypocrisie. C’est même un service à rendre. Les catholiques (et leur hiérarchie) auraient sans doute tort de rester penauds et silencieux. Engager la réflexion sur la sexualité sous tous ses aspects et sur l’anthropologie qui en sous-tend la compréhension est sans doute urgent. Et l’Église aurait encore intérêt non seulement à rappeler sans relâche pourquoi les critères du pouvoir, de l’argent et du sexe ne suffisent pas à l’expliquer, mais encore à ne pas oublier les tentations et les risques des missions que reçoivent ses membres.
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