Alors que l’Algérie sort d’une quatrième semaine de mobilisation pour réclamer le départ d’Abdelaziz Bouteflika, le mouvement est loin de s’essouffler. Si cette mobilisation revêt un caractère inédit, « ce n’est pas un surgissement soudain », souligne auprès d’Aleteia Augustin Jomier, historien et enseignant au département d’Études arabes de l’INaLCO.
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Des milliers d’Algériens étaient à nouveau rassemblés ce vendredi 14 mars pour demander le départ d’Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis 20 ans et très affaibli depuis son AVC en 2013. En début de semaine, le Président algérien a annoncé qu’il renonçait à sa candidature à un 5e mandat et repoussé la présidentielle prévue le 18 avril, jusqu’à l’issue d’une prochaine Conférence nationale devant réformer le pays et élaborer une nouvelle Constitution. Augustin Jomier, historien et arabisant qui enseigne au département d’Études arabes de l’INaLCO, confie à Aleteia que « cette tentative pour prendre en charge la transition, ce n’est rien d’autre qu’une façon pour le clan Bouteflika de sauver son pouvoir ».
Aleteia : Comment analysez-vous l’annonce du report de l’élection présidentielle et du prolongement du mandat d’Abdelaziz Bouteflika ? Augustin Jomier : L’annonce a été faite par une lettre attribuée au Président… qu’on n’a toujours pas vu. Elle était accompagnée d’une vidéo qui date en fait d’octobre 2017. Cette annonce est une manière pour le système, encore plus opaque depuis l’AVC d’Abdelaziz Bouteflika en 2013, de tenter de gagner du temps. Cette tentative pour prendre en charge eux-mêmes la transition, ce n’est rien d’autre qu’une façon de sauver leur pouvoir.
Cette mobilisation est-elle surprenante, inédite ?
Ce n’est pas un surgissement soudain. Il y a régulièrement en Algérie, depuis une dizaine d’années des revendications sectorielles ou régionales dans de petites et moyennes villes. L’État a réussi jusqu’à présent à calmer ces manifestations en redistribuant de l’argent mais ces mouvements se sont multipliés jusqu’à faire l’unanimité aujourd’hui. Il trouve ses origines dans l’incapacité de Bouteflika à gouverner mais aussi dans l’épuisement de la rente (la baisse du prix du gaz, donc des réserves de change moins importantes qu’en 2010) mais aussi dans une pseudo-libéralisation économique qui a entrainé l’enrichissement soudain d’un petit nombre de personnes.
Ces manifestants représentent-ils vraiment la société algérienne ?
C’est justement ce qui me frappe dans ces manifestations. Il n’y a pas un profil type de manifestant. On parle de la jeunesse mais pas que, il y a des gens de tous les âges, des hommes, des femmes… Sociologiquement aussi, les profils sont variés : on trouve des personnes issues de la bourgeoisie occidentalisée mais aussi des personnes plus traditionnelles. Le fait aussi que ces manifestations se déroulent dans l’ensemble du pays dit quelque chose de l’ampleur du mouvement et de sa représentativité. Il n’y a pas qu’à Alger et Oran que les Algériens manifestent. Ils manifestent aussi dans des villes de taille moyenne.