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Repenser l’Otan 70 ans après sa création

NATO-ITALY-ARMY

Dursun Aydemir / ANADOLU AGENCY

Un exercice de l'Otan, le 25 février 2019, au large de la Sicile (Italie)

Agnès Pinard Legry - publié le 03/04/19

Alors que l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) fête ce 4 avril son 70e anniversaire, de nombreuses voix s’interrogent sur son avenir. « Créé en réaction à la menace que faisait peser l’armée rouge sur l’Europe, le mérite de l’Otan est d’avoir réussi à ‘vaincre’ l’URSS sans la combattre », reconnaît le général Jean-Paul Perruche, ancien directeur de l’état-major de l’Union européenne. Mais à l’heure où les menaces évoluent et les intérêts des pays divergent, son rôle et sa place doivent être repensés. Entretien.

Sa naissance a eu lieu durant l’un de ces tournants qui font l’Histoire. C’était en 1949, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Cette année-là, dans une Europe exsangue et ruinée, l’armée rouge est à la frontière interallemande et attend, patiemment, les ordres de la Russie. « À la différence des autres alliés, la Russie ne démobilise pas son armée à la fin de la guerre et maintient un très grand nombre de soldats dans les pays européens qu’elle a occupé ainsi que sur la frontière avec l’Ouest », explique à Aleteia le général Jean-Paul Perruche, ancien directeur général de l’état-major de l’Union européenne, de 2004 à 2007.




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Ne pouvant plus se défendre individuellement, les pays européens comprennent vite la nécessité de se regrouper. Il y a d’abord le traité de Dunkerque en 1947 entre la France et le Royaume Uni. « Une première amorce », souligne le général Perruche. Puis le traité de Bruxelles en 1948 avec les pays du Benelux et l’Italie. Finalement, après des négociations plus ou moins houleuses, c’est la signature du traité de l’Atlantique nord en 1949 avec les États-Unis. « Le congrès américain a fini par voter en faveur d’une garantie de sécurité américaine à la partie de l’Europe restée libre qui allait de pair avec le plan Marshall de remise à niveau des économies des pays européens ruinés par la guerre. Cela aboutit à la création de l’alliance atlantique : une alliance politique qui se dote d’un bras militaire : l’Otan ».

L’article 5 du traité de l’Atlantique Nord précise ainsi que si un pays de l’Otan est victime d’une attaque armée, chaque membre de l’Alliance considérera cet acte de violence comme une attaque armée dirigée contre l’ensemble des membres et prendra les mesures qu’il jugera nécessaires pour aider le pays attaqué. « Créé en réaction à la menace que faisait peser l’armée rouge, le mérite de l’Otan est d’avoir réussi à “vaincre” l’URSS sans la combattre », reconnait le général Perruche. « C’est le rêve de tous les chefs de guerre ! La question de maintenir l’Otan après la disparition de la menace soviétique s’est posée. » À l’époque, des éléments de réponse et arguments ont été apportés pour son maintien. 70 ans après, face à une évolution des menaces et une divergence des intérêts entre les pays qui la compose, la question se pose à nouveau.

Aleteia : 30 ans après la chute du mur et l’effondrement de l’URSS, l’Otan a-t-elle encore une justification ?
Général Perruche : la question s’est posée dès la Chute du Mur de Berlin en 1989. Puisque la menace soviétique s’estompait, fallait-il maintenir l’Otan ? Les pays concernés ont estimé qu’il y avait deux bonnes raisons de maintenir l’Otan. La première était que si le contexte sécuritaire s’était apaisé en Europe avec la disparition de l’union soviétique en 1991, il pouvait toujours y avoir des dangers persistants, des menaces que l’on ne percevait pas. Le maintien d’un instrument permettant de les contenir et de fédérer les énergies des pays membres apparaissait donc pertinent. La deuxième raison, et la plus importante à mon sens, était que son maintien ne coûtait pas cher ! L’Otan est la garantie de sécurité américaine offerte sur un plateau aux Européens. C’est d’ailleurs tellement vrai qu’à partir des années 1990 les budgets de défense ont décru et de manière beaucoup plus forte au sein des pays européens. C’est ainsi que durant trente ans, une culture de dépendance s’est créée entre les pays européens à l’égard des États-Unis. Cette question de dépendance est d’ailleurs apparue assez rapidement avec la décision du général de Gaulle en 1966 de quitter le commandement intégré (tout en continuant à siéger au Conseil).


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Quelles sont les grandes réalisations de l’Otan depuis la fin de l’URSS?
Il y en a plusieurs. Hier comme aujourd’hui, son existence garantit d’abord l’existence d’une structure militaire intégrée permanente qui fait qu’à tout moment on est capable de planifier et de conduire des opérations, que ce soit en Europe ou hors d’Europe. On l’a vu en Afghanistan, au Kosovo… Quand il faut réagir rapidement l’Otan sait faire. À la différence de l’Union européenne, qui n’a pas été dotée de ces structures permanentes, l’Otan ne perd pas de temps dans la mise en place d’une chaine de commandement par exemple. L’Otan permet aussi de fédérer les énergies et d’échanger sur les questions de défenses et de sécurité. Une autre de ses réalisations est l’interopérabilité. Vous avez un bureau de l’Otan qui, dans tous les domaines, édicte des normes d’interopérabilité que les pays membres s’engagent à respecter. Cela a permis d’unifier les doctrines, les concepts et puis les normes d’armement de façon à faire que la plupart des armements soient interopérables entre les pays membres de l’alliance.

Que penser des propos de Donald Trump concernant le « poids » que représente l’Otan pour les États-Unis ?
Il faut un peu corriger cette contre-vérité consistant à penser que les Américains payent pour les autres dans l’Otan. C’est faux. Il y a un budget de fonctionnement de l’Otan qui avoisine les 2 milliards de dollars par an et les Américains payent au prorata de leur PBI, comme c’est le cas dans toutes les organisations intergouvernementales. Les Américains sont donc les premiers payeurs dans le budget de fonctionnement de l’Otan. Là où Donald Trump dit que les Américains payent pour les Européens, c’est dans l’engagement des systèmes d’armes. Les Américains sont plus puissants que les Européens et sont censés mettre à la disposition de l’Otan plus de moyens et de capacités. C’est l’engagement des forces. Les Américains payent plus car dans une opération de l’Otan, comme en Afghanistan, leur contribution en moyen de communication, de renseignement, logistique est très supérieure à celui des autres…

L’Otan ne constitue-t-elle pas un frein à certaine autonomie stratégique de l’Europe ?
Cette culture de dépendance à l’égard des États-Unis revient un peu au syndrome des délices de Capoue. Elle ne correspond plus du tout à la nouvelle réalité stratégique, au contexte stratégique actuelle. Les deux précédents présidents américains avaient déjà annoncé la couleur en expliquant — de manière plus diplomatique — que le centre de gravité de leurs intérêts de sécurité n’était plus sur l’Europe et se déplaçait vers l’est, au Moyen-Orient et surtout en Asie. Si les Européens avaient bien voulu être plus clairvoyants à cette époque ils en auraient déduit que l’engagement américain pour les questions de sécurité en Europe n’était plus automatique. Mais les pays européens préfèrent dépendre d’un pays très fort militairement situé loin de leurs frontières plutôt que de dépendre de plusieurs pays moins forts près de leurs frontières. C’est pour cela qu’ils ont tant de mal à aller vers l’autonomie européenne que leurs chefs d’état et de gouvernement proclament pourtant à chaque conseil européen.


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Quelle Europe de la défense aujourd’hui ?
L’Europe a réussi un embryon de capacité militaire qu’est l’Europe de la défense au sein de l’Union européenne depuis les années 2000 et le traité de Nice mais en excluant la responsabilité de la défense territoriale (réservée à l’Otan). La plupart des petits pays craignent qu’un développement des capacités européennes incite les Américains à se retirer. Les Européens ont réussi néanmoins à faire quelque chose mais il s’agit d’opérations peu ambitieuses, qui ne durent pas longtemps avec un faible niveau de risque. C’est le cas par exemple de la relève de l’Otan en Bosnie en 2004, les opérations au Tchad et en Centrafrique de 2008… Finalement, l’Otan est un obstacle à la réalisation d’une capacité européenne stratégique par la faute des Européens et des Américains.

En 2019, à quoi sert l’Otan ?
En apparence je dirais que l’Otan en 2019 remplie le même office qu’en 1950 mais en réalité les choses sont différentes, relativement à l’automaticité du soutien américain. Le contexte sécuritaire a changé et ce qui est moins sûr qu’avant est l’automaticité du soutien des États-Unis. Je pense aux menaces hybrides, au terrorisme… Les intérêts des États-Unis n’ont plus rien à voir avec l’invasion des plaines polonaises par les blindés russes. Et les Européens sont relativement démunis face à cela. Un désarmement d’autant plus fort que les pays européens n’ont cessé de baisser leurs dépenses militaires dans un monde qui s’arme de plus en plus.

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