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Aleteia : Apparemment, c’est à la demande d’une femme que vous avez décidé de réaliser ce documentaire ? Est-ce le cas ?
Thierry Demaizière : Une de nos amies devait passer dans ma maison du sud de la France. Je l’ai appelée pour savoir quand elle allait passer et à son arrivée, je lui ai demandé pourquoi j’avais eu temps de mal à la joindre avec son mari pendant la semaine. Elle hésitait à nous répondre et a fini par dire : « Ne vous moquez pas de nous. Nous étions hospitaliers à Lourdes, c’est pour cela que nous n’étions pas joignables ». J’étais surpris et lui ai demandé de nous raconter ce qu’ils font là-bas. Ensuite, comme nous sommes portraitistes, elle a évoqué l’incroyable galerie de portraits à faire à Lourdes. Cela nous a intéressés. Nous n’étions jamais allés à Lourdes de notre vie et c’est elle qui nous a donné l’idée de ce documentaire.
Quelle image aviez-vous de Lourdes avant et après avoir réalisé le film ?
T.D : Je suis agnostique et Alban est athée donc nous avons un rapport assez éloigné avec Lourdes. Mes grand-parents y sont allés plusieurs fois dans leur vie, ainsi que mes parents. Mes grand-parents ne partaient jamais en vacances, sauf pour aller à Lourdes. Je me demandais pourquoi des personnes qui ne voyagent jamais prennent leur billet de bus depuis la Bourgogne pour aller là-bas.
AT : Comme Thierry, j’avais une vision assez lointaine. Surtout celle des médias, avec ses rues marchandes, des gens qui arrivent et repartent par bus. J’avais du mal à imaginer où était la spiritualité. Je voyais cela plus comme un passage obligé pour les catholiques, sans qu’il y ait nécessairement une vraie force là-bas. En passant huit mois à Lourdes, nous nous sommes aperçus que c’était bien plus fort et complexe que les propos tenus dans les médias. Nous avons préparé le film pendant six mois depuis Paris avec trois enquêtrices pour trouver nos personnages. Ensuite, nous avons suivi quasiment toute la saison, commençant avec les travestis début avril pour finir par l’accompagnement des pèlerins à la fin de l’automne. Cela représente environ une douzaine de pèlerinages.
Vous avez choisi de filmer des personnes très fragiles, à l’image de nombreux pauvres et malades croisés par Jésus dans la Bible. Pourquoi ce choix ?
T.D. : Pas seulement, nous avons l’exemple de Céline qui souffre d’être harcelée à l’école et dont les jours ne sont pas en danger. On parle aussi des hospitaliers, des Gitans. Donc nous n’avons pas fait uniquement fait le choix de regarder les plus souffrants. Trois millions de pèlerins viennent chaque année. Il y a autant de pèlerinages que d’histoires. Nous voulions raconter celles qui nous semblaient fortes et surtout qui pouvaient résonner de manière universelle.
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La compassion, notamment à travers l’utilisation très forte et très présente de la musique, semble un axe important de votre thématique, plus que l’espérance. Est-ce le cas ?
T.D. Oui, ce sont des valeurs qui nous ont frappés. La compassion, l’empathie, la solidarité mais aussi l’espérance. Ce n’est pas l’espérance que l’on avait imaginée. Par exemple, la prière à la Vierge de celui qui est vraiment condamné à cause de sa maladie de Charcot est d’oser demander le miracle. Il n’ose pas le demander quand il songe à ceux qui sont plus malades que lui. Nous avons donc aussi fait un film sur l’espérance. Ce qui nous a d’ailleurs le plus marqués est la relation entre hospitaliers et malades, où nous sommes effectivement dans la compassion. Nous avons voulu faire un film sur la condition humaine, plus que sur la foi. On est allé au cœur de l’humain qui donne ce concentré d’humanité au film. Notre vision était qu’au pied de la grotte, ou dans les piscines, les gens étaient bénis au sens propre comme au sens figuré, qu’il y avait un rapport assez fort à la vérité, parce que la mort n’est pas loin peut-être. Les gens ont besoin de ne pas être seuls, d’être regardés comme des personnes. C’est cela que nous voulions filmer. Après, chacun a son regard. Les croyants voient dans les personnes sortant des piscines quelque chose de transcendant, d’autres une forme de plénitude.
Selon vous, la foi, qu’est-ce que c’est ?
T.D. C’est ce que dit notre film, nous ne pouvons pas mettre de mots sur nos images. Nous estimons avoir capté des gens qui ont la foi et réussi à filmer l’invisible. Ce qu’attestent les croyants qui ont vu le film. Pour cela, nous avons filmé jusque dans le secret de la prière, dans des moments très intimes. Comme ce militaire qui demande de supporter la mort de son enfant, plutôt que le miracle. Nous ne savons pas ce qu’est la foi, mais nous avons mis en images des gens qui l’avaient. Le prêtre dominicain présent dans le film nous a dit après l’avoir vu : « C’est incroyable à quel point votre film crie Dieu ». Nous, nous répondons que notre film crie l’humain.
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N’avez-vous pas eu peur de la difficulté de montrer en images une démarche spirituelle ?
T.D. Nous aimons bien la difficulté, c’est ce côté-là qui nous plaisait. Nous avons été accueillis avec beaucoup de sympathie à Lourdes par les responsables du sanctuaire. Ils nous ont même autorisé à filmer les piscines, une première ! Nous aurions pu traiter le sujet par les clichés de Lourdes mais nous avons cherché quelque chose de vrai. Car Lourdes ne se passe pas dans les rues marchandes mais bien au pied de la grotte et avec les hospitaliers.
Avez-vous eu des échanges plus personnels, hors caméra, avec des pèlerins ? Cela a-t-il changé quelque chose pour eux d’être suivis par une caméra ?
T.D. Il y a eu des changements dans la vie de certains depuis le film. Serge, le père de Céline, était au chômage depuis cinq ans. Et comme le film a été projeté au Festival de Valenciennes, où il a obtenu deux prix, Serge a reçu une offre d’emploi de la part de la mairie de Valenciennes. Céline, de son côté, n’avait jamais osé dire à ses parents qu’elle était harcelée à l’école. Elle l’a dit pour la première fois devant la caméra. Nous avons été assez surpris qu’elle ose dire des choses grâce à nous. Tout comme Patrick dans sa prière et dans une interview, alors que sa femme nous a dit : “Il vous en dit plus à vous qu’à moi”. Là où nous pensions rencontrer des barrières infranchissables, on s’est aperçu que la présence de la caméra pouvait faire à certains un bien fou.
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Et vous, est-ce que cette expérience du film a changé quelque chose dans votre vie ?
T.D. : La réponse est un peu décevante mais non. Nous faisons du documentaire, non pas que nous ne soyons pas émus ou touchés par les personnes, mais c’est notre métier et on ne peut pas être dans l’émotion en permanence. Nous sommes là pour porter un regard.
A.T. Plus on s’approchait de Lourdes, plus on se sentait s’éloigner du miracle. Car c’est l’image que l’on avait. Mais les gens ne viennent pas pour des miracles, ils viennent pour sentir pendant quelques jours un peu de bienveillance et un autre regard posé sur eux. La plupart sont, le reste du temps, dans des centres ou des EHPAD, ils ont des vies un peu cabossées. On s’est aperçu qu’ils ne viennent pas forcément demander à la Vierge un miracle mais un peu d’attention.
Qu’aimeriez-vous que le spectateur se dise en sortant du film ? Et dans quelle disposition voudriez-vous qu’il entre dans la salle ?
T.D. Nous avons fait beaucoup d’avant-premières, souvent organisées par un public catholique, notamment par des diocèses. Les gens aiment le film, disent qu’ils retrouvent leur Lourdes. Nous sommes donc ravis d’avoir été fidèles à ce que les gens nous ont montré. On aimerait surtout que le film dépasse le champ des catholiques et que les non croyants changent leur regard sur cet endroit, qui ne se réduit pas aux Vierges en plastique. Lourdes est un sujet de vénération pour ceux qui y vont et un sujet de ricanement pour ceux qui n’y vont pas. Nous ne sommes ni dans l’un ni dans l’autre, mais là pour raconter un lieu fort. Notre souhait est que ce film ne soit pas seulement vu par ceux qui ont la foi, mais ceux qui ont des a priori sur Lourdes, pour qu’ils arrivent à dépasser cela et se disent : « Je vais aller voir ». Parler de l’humain dépasse le simple monde catholique.
A.T. : Qu’ils se disent : « Je ne jugerai plus jamais quelqu’un qui va à Lourdes » et mettent de côté un certain regard de condescendance.