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Comme en témoignent les passions déchaînées par des situations comme celle de Vincent Lambert, nous avons tous le souci de ce qui est bon et juste. Pour les uns, il est bon et juste de maintenir Vincent Lambert en vie, par la nourriture et l’hydratation qu’il reçoit. Pour les autres, il serait bon et juste de cesser ces soins qui le maintiennent en vie. La virtualisation de nos échanges fait que nous ne parlons plus avec des personnes dont l’humanité est là, sous nos yeux. Nous exposons au monde entier notre avis catégorique, et nous combattons ensuite avec véhémence tous ceux qui mettent en péril notre ego en rejetant notre avis. Au-delà de ces crispations affectives qui affectent tout le monde, il peut être utile de discerner les grandes postures morales qui s’affrontent en un duel qui semble interminable.
Le bien absolu ou le bien préférable ?
Ce qui est commun à toute recherche morale, c’est le souci du bien qui l’anime. Il n’y a de souci moral que parce que nous savons que le bien n’est pas simplement l’utile (sans quoi la morale se réduirait à l’économie) ni simplement ce qui nous plaît. Mais le bien n’est pas une simple idée, car il ne semble rien y avoir dont on puisse dire : « ceci est le bien absolu ». Nous sommes donc, fréquemment, dans le registre de la préférence : préférer la mort à la souffrance, ou la souffrance à la mort. Préférer la liberté à l’égalité, ou l’égalité à la liberté… Préférer, c’est refuser de se situer dans une logique trop binaire, comme si nous n’avions le choix qu’entre le bien et le mal. Préférer laisser mourir Vincent, ou préférer le maintenir en vie. Les deux options peuvent paraître préférables. Que préférer entre la fin de la souffrance et la vie ?
La morale du consentement individuel
Au-delà des postures idéologiques, la première question qui se pose est de savoir d’où nous tirons notre idée de ce qui est préférable ? Préférer n’est-il pas un acte très subjectif ? Faut-il dire que c’est ma préférence qui me fait juger que quelque chose est bon ? Ou bien faut-il admettre que certaines choses méritent d’être préférées à d’autres ? Selon la réponse que l’on donnera à cette question, plusieurs postures morales vont se dessiner : l’une considère que c’est la volonté qui définit la valeur des choses. Si j’ai très envie d’un verre d’eau, je le paierai un bon prix. Je peux préférer un verre d’eau à un billet de 50 euros. Si Vincent voulait mourir, ou si sa tutrice veut l’arrêt de son alimentation, alors sa mort est préférable. C’est sur cette posture morale que repose notre conception de la loi comme « expression de la volonté générale ».
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Selon cette posture morale, que l’on définit comme un volontarisme, est bon ce que l’individu veut de façon autonome. Le consentement est alors la règle absolue. On connaît les débats autour du consentement sexuel. À partir de quel âge pouvons-nous consentir ? À quelles conditions un consentement est-il véritable ? Peut-on consentir à tout ? Après tout, l’esclave ne consent-il pas à sa servitude parce qu’il la préfère à la mort ?
La morale de la règle collective
Une autre posture morale consiste à se rabattre sur des règles : tu ne tueras pas… La règle exprime une volonté, divine ou sociale. Mais les règles abstraites rebutent l’homme moderne, sensible à la complexité de toutes les situations. Tu ne tueras pas, oui, mais cette vie que vit Vincent, qui la voudrait ? Tu ne mentiras pas, oui, mais à un tyran ? Face à une telle posture, nommée souvent « éthique de conviction », on oppose souvent une « éthique de la responsabilité » : ne faut-il pas juger en fonction des conséquences ? Ne plus nourrir Vincent, n’est-ce pas des souffrances en moins ? Mais on voit bien que ce n’est pas satisfaisant, car nous ignorons l’ensemble des conséquences de nos actes. Après tout, le meurtre le plus horrible n’aura-t-il à long terme aucune conséquence bonne : et si un bandit avait tué Hitler pour lui dérober sa bourse ?
La morale du bien objectif
Enfin, il y a une posture morale qui cherche le bien dans la nature des choses elles-mêmes : les êtres qui nous entourent ont leur nature et leurs finalités naturelles. Ils ont en effet leur nature : un enfant n’est pas un lapin, un lapin n’est pas une plante. Selon sa nature humaine, l’enfant est meilleur qu’un lapin, et doit donc lui être préféré. Ils ont aussi leurs finalités naturelles : l’enfant désire naturellement vivre, se cultiver. Le lapin désire vivre lui aussi, et se reproduire. La question morale qui se pose consiste à se demander comment ces êtres, selon leur nature et selon leurs finalités naturelles, peuvent poser devant nous des exigences morales, c’est-à-dire nous obliger : nous obliger à aider cet enfant à grandir, nous obliger à permettre aux animaux d’accomplir leurs finalités naturelles.
Morale de la volonté et morale de l’intelligence
Plusieurs aspects distinguent radicalement une morale de la volonté et une morale de l’intelligence. La morale de la volonté est individualiste, car chacun veut son propre intérêt. Autrui lui apparaît comme une volonté rivale (L’enfer, c’est les autres). Cette approche morale considère que la volonté individuelle ne trouve sa limite que dans une autre volonté : la volonté générale, qui est souveraine. Mais dans la vraie vie, aucune volonté n’est souveraine. Car nous ne voulons une chose que pour autant que notre intelligence nous en montre la bonté. Dans la vraie vie, nous avons besoin de connaître la vérité de ce qui est bon afin de choisir ce qui nous paraît bon. Il en résulte que nous n’avons pas à respecter religieusement tout choix volontaire.
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Le malaise provoqué par les débats autour du consentement sexuel a commencé à montrer la faiblesse d’une morale de la volonté : qu’une fillette de 13 ans consente à une relation sexuelle avec un adulte ne suffit pas à nous convaincre que nous devrions l’approuver. Le consentement se manipule, s’extorque, voire s’achète.
La sacralisation de la volonté
C’est un fait que nous avons tendance à sacraliser la volonté individuelle, au mépris souvent du bien commun. Cette tendance s’aggrave devant les volontés souffrantes, celles qui s’identifient comme victimes. Mais cette sacralisation ne conduit qu’à dresser les volontés les unes contre les autres, chacun cherchant à s’identifier au modèle victimaire le plus emblématique : « Ce que l’on nous fait est similaire à ce que l’on a fait aux juifs… », sans toujours se rendre compte de ce que la comparaison peut avoir d’indécent. La morale de la volonté est celle de la toute-puissance, qui correspond à un stade infantile. Comme le petit enfant, il s’agit de se croire tout-puissant pour échapper à l’angoisse de la vulnérabilité.
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Les exigences du réel
Une morale de l’intelligence reconnaît d’abord que le réel s’impose à nous : il a son ordre propre, ses finalités propres. Le monde n’est pas un mécanisme qui serait à notre simple disposition. Une pensée de l’écologie trouve un solide appui dans une telle morale, parce qu’elle reconnaît à la nature une légitimité indépendante de notre volonté. Le réel pose donc devant notre intelligence un certain nombre d’exigences morales, qui répondent au souci de bien faire qui nous habite. Cela nous contraint, certes, à renoncer à la toute-puissance qui nous consolerait de notre vulnérabilité en l’esquivant. Qui ne voit aujourd’hui la nécessité de dominer notre domination du monde, et pas seulement envers les forêts et la biodiversité ?
La morale volontariste étouffe en réalité l’exigence éthique en lui substituant l’exigence du sujet. Ce qui fait illusion dans nos démocraties modernes, c’est que nous croyons que la loi est l’expression de la volonté générale, et que la volonté générale est toujours bonne. Or nous savons maintenant que le peuple peut se tromper, et que la loi peut n’être que le résultat d’un rapport de force dans lequel une minorité a su trouver les moyens de s’emparer des leviers du pouvoir.