« Il est possible de restituer les grands traits de la vie publique de Jésus et d’en donner des repères chronologiques », assure à Aleteia l’historien et écrivain Jean-Christian Petitfils, qui a récemment collaboré à l’ouvrage collectif dirigé par Jean Sévillia, « L’Église en procès ».
Que sait-on de Jésus ? S’il est impossible de prouver l’existence de Dieu, il n’en va pas de même pour celle de son Fils. « Indépendamment des sources chrétiennes, son existence se trouve attestée par plusieurs auteurs extérieurs au christianisme », affirme à Aleteia Jean-Christian Petitfils, historien et écrivain français. « Tacite, ancien gouverneur de la province d’Asie, Pline le Jeune, proconsul de Bithynie au début du IIe siècle, Suétone, chef du bureau des correspondances de l’empereur Hadrien un peu plus tard… ».
Aleteia : Quelles preuves a-t-on, sur le plan historique, de l’existence de Jésus ? Jean-Christian Petitfils : L’existence historique au Ier siècle de notre ère d’un rabbi juif nommé Ieschoua (Jésus) — contraction de Yehoshoua (Josué), « Dieu sauve » —, qui attirait les foules par son charisme et son enseignement, et sa crucifixion à Jérusalem par ordre de Ponce Pilate, préfet de Judée de 26 à 36, à la demande des grands prêtres Hanne et de son gendre Joseph dit Caïphe, est un fait que tout historien sérieux, qu’il soit croyant ou non, juif, agnostique ou athée ne peut nier. Indépendamment des sources chrétiennes, son existence se trouve attestée par plusieurs auteurs extérieurs au christianisme : Tacite, ancien gouverneur de la province d’Asie, Pline le Jeune, proconsul de Bithynie au début du IIe siècle, Suétone, chef du bureau des correspondances de l’empereur Hadrien un peu plus tard…
Un texte très important est celui d’un écrivain juif romanisé du Ier siècle, Flavius Josèphe, qui avait connu à Jérusalem les premières communautés judéo-chrétiennes : il parle d’un « sage » nommé Jésus qui fit un grand nombre d’adeptes. « Pilate le condamna à être crucifié et à mourir. Mais ceux qui étaient devenus ses disciples continuèrent de l’être. Ils disaient qu’il leur était apparu trois jours après sa crucifixion et qu’il était vivant : ainsi, il était peut-être le Messie au sujet duquel les prophètes ont raconté des merveilles. » Le Traité Sanhédrin du Talmud de Babylone évoque également son nom : « La veille de la Pâque, on pendit (à la croix) Yeshû ha-notsri (Jésus le Nazaréen) parce qu’il a pratiqué la sorcellerie, a séduit et égaré Israël. » Même le philosophe platonicien Celse (IIe siècle), violent polémiste qui haïssait le Christ, ne contestait nullement son existence.
“Le christianisme, religion de l’Incarnation, se fonde bien sur l’existence d’un homme véritable et le témoignage de ses disciples.”
Quelques écrivains n’ont pourtant pas hésité à nier l’existence de Jésus…
À partir du XIXe siècle, il est vrai, quelques écrivains qu’on appelle « mythistes », Bruno Bauer, Prosper Alfaric, Arthur Drews, Paul-Louis Couchoud et aujourd’hui Michel Onfray ont nié l’existence de Jésus : celui-ci ne serait qu’une allégorie, un symbole, accomplissant fictivement les prophéties de l’Ancien Testament. Leur théorie ultra-minoritaire traduit en réalité une méconnaissance profonde de l’exégèse moderne, des dernières découvertes archéologiques et, de façon plus générale, de la méthode historique. Comment imaginer que de pauvres pêcheurs du lac de Tibériade, troupeau de fuyards apeurés à la mort de leur maître, aient soudainement lâché leurs filets, abandonné femmes et enfants et parcouru le monde pour un simple mythe, préparé par quelques individus dans l’arrière-salle d’une taverne de Judée ? Le christianisme, religion de l’Incarnation, se fonde bien sur l’existence d’un homme véritable et le témoignage de ses disciples.
Les Évangiles évoquent l’histoire de l’étoile de Bethléem, le massacre des Innocents, le tombeau vide… Ces éléments sont-ils vérifiables ?
L’étoile des mages n’est peut-être pas un pur symbole. Son existence se rattacherait à un phénomène astronomique survenu en l’an 7 avant notre ère. En effet, des tablettes cunéiformes, découvertes sur le site de l’antique Sippar en Mésopotamie (Iraq du Sud), attestent que, cette année-là, une conjonction très rare des planètes Jupiter (symbole de royauté) et Saturne (symbole d’Israël) s’était produite à trois reprises dans la constellation des Poissons (symbole d’Amarru, le pays des Amorrhéens, Syrie et Judée). Le calcul astronomique moderne est venu confirmer cet événement, établi dès le début du XVIIe siècle par l’astronome Kepler. Or, l’évangéliste Matthieu, à propos de l’étoile des mages, parle d’un astre qui apparaît, disparaît puis réapparaît… Cela semble coïncider. À noter aussi qu’au XVIe siècle, le rabbin portugais Isaac Abravanel qui, comme tout maître juif, attendait le Messie, annonçait sa venue lorsque se produirait dans le ciel une telle conjonction planétaire. Bref, dans cette hypothèse, Jésus serait né sept ans avant notre ère.
L’histoire du massacre des Innocents rapportée pareillement par Matthieu n’est pas étayée par un témoignage extérieur, mais elle n’a rien d’impossible si l’on sait qu’Hérode le Grand fut un tyran cruel, rêvant de se faire reconnaître par le peuple juif comme le Messie. La mort d’une dizaine ou douzaine d’enfants de Bethléem et de ses environs a fort bien pu échapper aux observateurs du temps, vu la psychopathie paranoïaque du personnage à la fin de son règne : ne fit-il pas décapiter l’une de ses femmes, Mariamne, son frère Jonathan, sa belle-mère Alexandra, deux de ses propres fils, Alexandre et Aristobule, et nombre d’officiers de sa cour ?
Quant au tombeau vide, il est attesté par les Évangiles comme une expérience forte, réelle, vécue par les apôtres, les disciples et les saintes femmes. La disposition des linges dans le tombeau, restés à plat, selon Jean, comme si le corps du Maître avait disparu de l’intérieur, introduit au mystère même de la Résurrection. La vénération du tombeau au Saint-Sépulcre, redécouvert au temps de l’impératrice Hélène (vers 326-328), montrent l’importance capitale que les chrétiens ont toujours attaché à ce lieu.
Plus largement, comment lire ces Évangiles ? Constituent-ils des reportages ou sont-ils plutôt à considérer comme des textes romancés ?
Non, les évangiles canoniques ne sont pas des reportages. Ce ne sont pas pour autant des ouvrages romancés, comme les évangiles dits apocryphes (littéralement secrets, cachés), textes tardifs, imprégnés de gnose ou de traditions discutables cherchant à combler les lacunes des évangiles canoniques. Certains relatent des faits manifestement légendaires, des miracles gratuits et superflus. Même la comparaison avec les biographies de l’Antiquité, évoquant la figure d’un maître qui n’est plus et que vénèrent ses disciples, n’est pas adéquate. Les évangiles canoniques sont des témoignages écrits pour susciter ou confirmer la foi des croyants, des catéchèses destinées à montrer que ce Jésus exécuté comme un misérable au moment de la Pâque juive est bien ressuscité le troisième jour et toujours vivant, présent au milieu des siens. Par lui la mort a été définitivement vaincue, et ses disciples sont appelés à le rejoindre dans le royaume de Dieu.