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Après deux semaines d’audition, la commission spéciale de l’Assemblée nationale, en charge de la révision des lois de bioéthique, examine jusqu’à ce vendredi soir les 32 articles du texte de loi ainsi que les quelque 2.000 amendements déposés. Le projet de loi bioéthique sera ensuite débattu à partir du 24 septembre à l’Assemblée nationale. « Par moment, on sent que le projet de loi se veut simplement pragmatique dans l’usage des techniques. Mais on ne voit pas où se trouve la cohérence dans le projet de société », reconnaît auprès d’Aleteia Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes, responsable du groupe de travail sur la bioéthique de la Conférence des évêques de France (CEF) et qui participera, lundi 16 septembre, à une conférence au Collège des Bernardins afin de présenter la position de l’Église catholique sur ces questions-là. « On a l’impression que l’équilibre entre les usages des techniques ont tendance à dominer ainsi qu’entre divers désirs ».
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Aleteia : Que retenez-vous de votre audition par la commission spéciale bioéthique la semaine dernière ?
Mgr d’Ornellas : Une atmosphère bienveillante sans pour autant que la méthode permette un vrai dialogue. Car une fois qu’un député a posé la question, il ne peut réagir à ce que nous lui disions. Cependant, des points importants ont pu être dits comme le non au transhumanisme, l’importance essentielle de la recherche sur l’infertilité, la signification de l’altérité sexuelle, le danger de toucher au principe de gratuité de tous les éléments et produits du corps humain. Avec Haïm Korsia et François Calvairoly, nous étions dans la même cohérence. Les questions à partir de la Bible de certains députés sont assez ahurissantes, non seulement sous les ors de la République, mais sur leur manière de la lire ! La Bible a une signification infiniment plus riche que ce qu’ils imaginent. J’en découvre chaque jour un sens plus profond que ce que j’imaginais moi-même.
“Comment se fait-il que le principe de précaution existe pour des OGM dans la nature et qu’on ne l’applique pas à propos de l’être humain ?”
Quelles sont vos principales inquiétudes sur cette loi ?
Pourquoi me parlez-vous tout de suite d’inquiétudes ? J’aurai aimé qu’on puisse parler de gratitude pour la bioéthique. Soigner avec des thérapies innovantes grâce aux avancées de la science est source de gratitude. Cependant, vous avez raison, j’ai des inquiétudes ! Tout d’abord, l’ouverture de l’accès de l’Assistance médicale à la procréation (AMP) à toutes les femmes, ce qui crée la possibilité légale de concevoir et faire naître un enfant en le privant totalement de père, crée en soi une grave injustice sur les enfants. Mais le projet de loi banalise la technique d’AMP. Du coup la recherche est focalisée sur le progrès de cette technique qui ne marche qu’à 17%. Pourquoi le projet de loi est-il totalement silencieux sur la recherche sur l’infertilité ? Par ailleurs, toujours au nom de la recherche, l’autorisation d’embryons humains transgéniques est inquiétante car on va vers la banalisation du changement de génome de l’embryon humain. Comment se fait-il que le principe de précaution existe pour des Organismes Génétiquement Modifiés dans la nature et qu’on ne l’applique pas à propos de l’être humain ? Autre inquiétude : la création d’embryons chimériques en mettant des cellules humaines dans l’embryon animal est une transgression de la frontière éthique et symbolique entre l’homme et l’animal. Il en va du respect dû à l’intégrité de l’espèce humaine. De même le projet de loi est-il suffisamment précautionneux vis-à-vis des examens génétiques qui peuvent révéler des pathologies sans que celles-ci soient d’ailleurs certaines puisque si, en génétique, on sait beaucoup, on ne comprend pas beaucoup, comme le dit l’expression « variants génétiques à signification inconnue ».
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« L’écologie nous apprend, en effet, notre grave responsabilité à l’égard des générations futures et nous oblige à vérifier la justesse de nos comportements envers la planète et envers les personnes les plus vulnérables. Il me semble que ce regard écologique, qui est entre autres celui de l’Église, devrait inspirer notre regard bioéthique », avez-vous déclaré lors de votre audition. Trouvez-vous qu’il y a une incohérence dans l’attitude de notre société entre sa position sur l’environnement et celle sur la bioéthique ?
En tout cas, la réflexion qui sous-tend ce projet de loi ne fait pas le lien. Là-dessus, il y a un retard considérable car nombreux sont les citoyens qui ont compris qu’il était urgent de prendre à bras le corps la question de la sauvegarde de notre maison commune. L’affirmation du pape François, selon laquelle « tout est lié » est fondamentale. On ne peut éprouver un appel à entrer dans une juste relation avec la nature de la planète pour la respecter telle qu’elle est en tentant de ne pas démolir ses écosystèmes qui nous sont propices, sans en même temps éprouver, aussi, un appel à respecter l’homme tel qu’il est dans toute sa complexité et sa profondeur. Se faire mal les uns aux autres dans l’usage désordonné ou peu réfléchi de la technique ne conduit pas à une attitude juste vis-à-vis de la planète. Et réciproquement. La planète est fragile. L’Homme aussi. Se donner la priorité de respecter ce qu’il y a de fragile et d’en prendre soin ne peut aller à sens unique. Il n’y aura pas de véritable écologie, c’est-à-dire de soin de la planète s’il n’y a pas en même temps le soin de l’humain le plus fragile. Nous avons à découvrir une attitude humaine intérieure qui prend conscience de la fragilité et qui renonce alors à la tentation de la force et de la domination. C’est cette attitude-là, et elle seule, qui nous faire entrer dans le soin de la fragilité. D’ailleurs le transhumanisme n’est pas écologique car il est du côté de la toute-puissance ! La bioéthique devrait renoncer à la domination par la technique et avoir la belle visée de prendre soin du plus fragilisé.
Vous avez largement évoqué le principe de dignité humaine lors de votre audition. Vous semble-t-elle en danger aujourd’hui ?
Non, pas vraiment, même si ce mot est absent de l’exposé des motifs du projet de loi. Mais l’émergence de la technique et la recherche, pour qu’elles fonctionnent toujours mieux, risque de faire passer au second plan ce principe. Pourtant l’affirmation de la dignité humaine est garante de la justice et de la fraternité dans notre société. Au nom de cette dignité, est-il possible d’accepter la « neuro-amélioration » que le projet de loi rend possible sans visée thérapeutique ? De la dignité vient la fraternité. Or, la fraternité a ses exigences de justice et de solidarité sociale, notamment dans l’accès aux soins en commençant par les plus malades. Je ne vois pas comment on peut construire la fraternité si la médecine use de ses compétences et de ses financements pour répondre aux désirs de personnes non malades au détriment des malades parfois en état grave. La priorité du soin au plus faible et au plus fragile est essentielle à la juste compréhension de la dignité humaine. Celle-ci ne se contente pas d’exposer les grandeurs de l’être humain, mais elle indique aussi les grandeurs de son action. La parabole du bon samaritain exprime quelque chose de magnifique sur la dignité humaine : l’homme a demi-mort et le samaritain sont des frères et leur état respectif induit une action l’un vis-à-vis de l’autre, ou plutôt l’un pour l’autre. Et d’ailleurs, l’aubergiste de la parabole est entraîné dans cette fraternité où l’on prend soin du plus malade, en premier !
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Comment trouver le bon équilibre entre ce que permet la technique, le principe de liberté et le respect d’autrui ?
En cherchant et trouvant une cohérence éthique. Je vous donne un exemple. D’un côté, on reconnaît la souffrance des enfants nés grâce à une AMP avec un tiers-donneur. Ceux-ci souffrent de ne pas connaître leurs origines. La levée de l’anonymat va dans le bon sens car cela signifie que la souffrance de ces enfants est reconnue. Mais d’un autre côté, on crée cette souffrance en banalisant la technique de l’AMP avec tiers-donneur et en en favorisant l’usage le plus large possible. Or, cette technique s’appelle assistance « médicale » à la procréation. Elle devrait donc appliquer le principe essentiel de la médecine : en premier ne pas nuire. Comme résoudre cette contradiction ? En posant un regard plein d’attention sur l’être humain dans l’unité de son esprit et de son corps. On ne peut donc détacher dans la filiation l’aspect biologique et l’aspect affectif et éducatif de la volonté. De ce regard naît la considération prioritaire pour le bien de l’enfant !
Lundi 16 septembre vous allez participer à une conférence au Collège des Bernardins durant laquelle vous allez présenter la position de l’Église sur les sujets de bioéthique. Qu’en attendez-vous ? Pourquoi maintenant ?
Mgr Éric de Moulins-Beaufort a estimé qu’il était important de présenter les positions de l’Église en France avant le débat à l’Assemblée nationale. Pour beaucoup de personnes, et donc beaucoup de catholiques, la bioéthique paraît très compliquée. Les avis contradictoires diffusés dans les médias jettent le trouble. Dans le fond, les gens s’interrogent : que faut-il penser de tout cela ? Ces discussions entre élus nationaux, les changements soudains du gouvernement ne rassurent pas. On sent une certaine fébrilité et des passions qui font pressions. Pour de tels sujets, il faudrait de la sérénité. Il est nécessaire de prendre les problèmes de la bioéthique par le bon bout. Non pas par les techniques et leur amélioration, mais par l’éthique qui se construit à partir d’une vision cohérente de l’être humain. Par moment, on sent que le projet de loi se veut simplement pragmatique dans l’usage des techniques. Mais on ne voit pas où se trouve la cohérence dans le projet de société. On a l’impression que l’équilibre entre les usages des techniques ont tendance à dominer ainsi qu’entre divers désirs.
“Il ne s’agit pas d’être contre, mais plutôt de mettre positivement en avant une vision cohérente de l’être humain et de la société, qui soit source de progrès par une juste intégration des avancées de la recherche scientifique.”
En tant que chrétien, que peut-on faire ? Aller manifester le 6 octobre prochain ? Que recommandez-vous ?
Vous savez, la manifestation est un droit reconnu à tout citoyen par la République française. C’est un moyen qui a fait ses preuves. Les manifestations des gilets jaunes l’ont encore montré. Mais la violence n’est jamais un moyen. Cependant, que les chrétiens choisissent le moyen qui leur semble le plus adapté pour exprimer leur point de vue. Mais que ce point de vue ne soit pas une réaction spontanée, purement affective et irréfléchie, parfois blessante pour d’autres. Il ne s’agit pas d’être contre, mais plutôt de mettre positivement en avant une vision cohérente de l’être humain et de la société, qui soit source de progrès par une juste intégration des avancées de la recherche scientifique. Cette vision s’illumine, si je peux dire, quand elle est élaborée à la lumière de la fraternité. On a trop focalisé la bioéthique sur la liberté et sur l’égalité. Or, sans la fraternité, ces valeurs s’étiolent et sont vues de façon réductrice et donc conflictuelle. C’est une telle vision qui peut faire avancer les choses. Que les chrétiens se documentent pour réfléchir, pour échanger, pour arriver à rendre raison de la beauté de l’éthique et de l’Homme, et pour l’exprimer selon les moyens à leur disposition ! Ils sont aux premières loges pour mettre en avant la fraternité ! Ce mot devrait davantage inspirer les parlementaires qui sont normalement des personnes d’écoute et de dialogue, sans partis-pris idéologiques sur des questions aussi essentielles que celles que pose le débat de bioéthique. La fraternité induit des politiques où chacun estime et respecte la dignité humaine chez tous, sans aucune exception, où la puissance des uns ne s’exerce pas sur d’autres, où la solidarité pour les plus fragilisés est l’affaire prioritaire de tous etc. Mais surtout, les chrétiens sont appelés à témoigner de la bonté de Dieu en étant eux-mêmes bons pour leurs semblables, quels qu’ils soient. La bonté sans limite est la clef de l’agir chrétien !