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« L’Église est un acteur de notre société, elle y joue un rôle, le sien, différent de celui d’un groupe partisan […]. Il appartient alors à chacun d’exercer, en conscience, son discernement propre. Nous n’avons pas à le faire à sa place », disait Mgr Georges Pontier, alors ancien président de la Conférence des évêques de France, le 3 mai 2017 lorsqu’on pressait l’Église de prendre parti pour Emmanuel Macron dans la campagne du second tour de l’élection présidentielle.
Le dimanche 6 octobre 2019, une grande manifestation rassemblera des Français de toutes familles politiques et de toutes confessions religieuses, des Français opposés à la grave atteinte à la dignité d’enfants qui seront délibérément privés de père par la volonté du législateur. À l’approche de l’évènement, l’attitude de l’Église catholique est scrutée. Coïncidence : une semaine plus tard, le 13 octobre, a lieu la canonisation du bienheureux cardinal Newman, apôtre de la confiance en la conscience de toute personne, en sa capacité à discerner le vrai et le bien. L’appel à la conscience de chaque citoyen est et reste la première responsabilité de l’Église.
L’Église : des pasteurs et des fidèles
La précision du langage est ici une nécessité : qu’entend-on par l’Église ? Il est habituel d’établir une distinction entre l’Église en ses représentants institutionnels, c’est-à-dire l’autorité spirituelle et sacramentelle, et l’Église en ses membres que sont tous les baptisés. À l’intérieur de la communauté catholique, la reconnaissance de cette distinction est inséparable de l’affirmation de l’unité fondamentale de l’Église qui rassemble tous les baptisés en un seul corps.
“Les médias et les politiques s’évertuent, par commodité plus que par malice, à identifier l’Église à ses seuls chefs.”
Mais les médias en général et les responsables politiques tordent le sens de la distinction. Ils s’évertuent, par commodité plus que par malice, à identifier l’Église à ses seuls chefs. La faisant en quelque sorte rentrer de force dans les catégories du politique, ils peuvent ainsi affirmer qu’elle ne diffère pas d’un parti politique ou d’un syndicat, bref d’un groupement d’intérêt. Ils appliquent à l’Église le schéma politique d’autorité, dans lequel la voix des dirigeants devrait commander l’action de tous les membres. Hélas, les responsables institutionnels de l’Église — les évêques — se laissent trop facilement et depuis trop longtemps prendre à ce piège, pourtant grossier, de la réduction aux catégories politiques. De sorte que s’ils professent des opinions différentes du consensus politico-médiatique, on les accusera d’abuser de la liberté d’opinion et de frayer politiquement ou idéologiquement avec des mouvements jugés infréquentables. Ce sont de bonnes vieilles ficelles de la vie politique. L’Église ne (re)deviendrait respectable que si elle se soumettait au programme du pouvoir en place ou à la doxa médiatique gardienne des opinions recevables. Mais l’Église, prise collectivement ou en chacun de ses membres, n’a pas pour vocation d’entrer dans la constitution d’un rapport de forces politique. Elle a d’abord une mission critique et prophétique dont, il est vrai, tous ses membres n’ont pas une égale conscience.
« Éclairer l’intelligence pour choisir le bien »
Il faut ne pas connaître les évêques de France pour les soupçonner de vouloir envahir le champ politique. Ils s’en gardent avec sagesse. Mais ils savent pourtant depuis fort longtemps que le pays est insuffisamment administré. Ils savent aussi que le pouvoir spirituel n’est pratiquement plus entendu. La société actuelle n’adhère plus au message spirituel dont l’Église avait plus ou moins le monopole il n’y a pas si longtemps encore. Nos compatriotes s’en moquent plus ou moins ouvertement se tournent vers des pseudo-prophètes de bonheur, qui se présentent comme les apôtres du progrès. « Aujourd’hui, dans notre société, l’Église catholique ne constitue plus un pôle de référence central » disait le cardinal Vingt-Trois à La Croix en septembre 2012. Il ajoutait : « Ce qu’elle vit et ce qu’elle dit ne laisse pas nécessairement nos contemporains indifférents. […] Elle doit préserver sa capacité d’action, mais sa mission n’est pas de se préoccuper de son image, c’est d’annoncer l’Évangile ! La mission de l’Église c’est d’éclairer l’intelligence pour choisir ce qui est bien. »
“Seule la conscience de ce qu’est l’humanité pourra rendre attractifs les principes de gouvernement qui assurent la bonne santé du corps social.”
Il faudra à l’Église, pasteurs et fidèles ensemble, fournir un effort considérable pour expliquer rationnellement la cohérence de sa foi, afin que les Français redécouvrent la pertinence et la saveur de sa parole et de sa confiance en un Dieu d’amour. L’ère des croyances irrationnelles a sonné avec les angoisses écologiques et technologiques. Ce ne sont pas les changements sociétaux nés des techniques qui pourront transformer l’humanité. Seule la conscience de ce qu’est l’humanité pourra rendre attractifs les principes de gouvernement qui assurent la bonne santé du corps social. « L’homme passe infiniment l’homme » disait Blaise Pascal. À l’Église échoit le rôle irremplaçable d’affirmer cette vérité, et de sauver ainsi l’humanité de l’enfermement dans lequel ses techniques finissent par la confiner, bridant sa liberté. La foi chrétienne contient la certitude que notre vie ne se réduit pas à notre visibilité temporelle. Toute personne est en chemin entre sa naissance et sa mort, un être en devenir dont la mort même participera de son accomplissement. L’Église ne réduit pas la vie humaine à ce que l’on peut en voir ou en mesurer. L’essentiel de la vie d’une personne se tient caché dans ce qu’elle en conçoit.
S’opposer librement
La riche soirée au Collège des Bernardins organisée par la Conférence des évêques de France permettait clairement de comprendre la portée des transgressions que contient le projet de loi de bioéthique. Elle suffisait pour entendre qu’au stade où en sont les dérives, le fatalisme et la résignation risquent fort de l’emporter, à moins que les personnes de confession catholique ne décident, en conscience, d’exprimer clairement et publiquement leur opposition en prenant part aux actions de manifestation qui leur paraîtront appropriées, sans se laisser manipuler par l’accusation de collusion avec telle ou telle des associations organisatrices de la manifestation du dimanche 6 octobre prochain. Si les évêques n’ont pas de raison de donner des consignes de votes, ils ne décident pas davantage de ce qu’il est juste de faire pour se faire entendre. Ils ont accompli leur mission propre en posant clairement les termes d’un immense bouleversement pour notre société ; on n’attend pas d’eux qu’ils précisent que les lettres, les réunions publiques, les mouvements sociaux et les manifestations sont de libres moyens qu’offrent encore les lois de la République.
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Si elles sont éveillées à l’importance des enjeux, les personnes de confession catholique seront assez grandes pour déterminer en conscience quelle serait l’expression la plus efficace pour interpeller l’opinion et le législateur sur les questions posées par la réforme annoncée : questions de procréation et de filiation, mais aussi questions sur l’utilisation de l’argent public, sur le sens de la médecine et de l’accueil de personnes handicapées… Lorsque le 27 septembre dernier, le vote de 55 députés seulement sur 72 votants emporte l’adoption de la procréation médicalement assistée pour les femmes seules et, donc, l’éviction du père et la dissimulation de sa filiation, cela n’interroge-t-il pas ? Où sont les autres représentants du peuple ? Comment une infime minorité peut-elle à ce point engager de tels bouleversements ? Si les députés ne sont pas dans l’hémicycle, faudra-t-il que les Français soient dans la rue pour les y rappeler ?
La seule et unique question
Certaines personnes s’arrêtent à la question de savoir s’il est convenable de prendre part à un mouvement de protestation collective tel que celui qui se dessine. Il faut ici prendre la mesure de l’absurdité de ces tergiversations qui alimentent la mise en abîme de la seule et unique question qui vaille aujourd’hui : oui ou non est-il légitime de priver volontairement et délibérément un enfant de son père ? oui ou non est-il légitime de forcer la fécondation d’un ovule par la micro-injection d’un spermatozoïde ? Car aussi vrai qu’une femme ne sera enceinte qu’après avoir accueilli et consenti consciemment à une union sexuelle (à moins bien sur de l’épouvantable réalité d’un viol), de même, l’ovule détermine mystérieusement lequel des millions de spermatozoïdes va pénétrer et réaliser la fécondation sans qu’il y ait la moindre nécessité d’entrer comme par effraction.
“Toute stratégie politique et médiatique de diabolisation de la partie de l’opinion qui s’inquiète à bon droit de la réforme serait une diversion misérable et scandaleuse.”
Compte-tenu de l’importance extrême de ces questions, dont il serait scandaleux de proposer une lecture politicienne, compte-tenu de la violence subie, du fait de cette loi, par les principes les plus fondamentaux de la vie, toute stratégie politique et médiatique de diabolisation de la partie de l’opinion qui s’inquiète à bon droit de la réforme serait une diversion misérable et scandaleuse.
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Les évêques de France ont signé unanimement des déclarations qui ne permettent aucun doute sur leur opposition. Attentifs, avec sagesse, à ne pas laisser l’Église être instrumentalisée dans le jeu des rapports de force politiques, ils n’ont pas pour autant entendu ainsi dispenser ou dissuader un membre de l’Église de prendre part aux débats. C’est sur les motifs de leurs inquiétudes que devrait porter notre attention, non sur la crainte des sentences médiatiques qui voudront disqualifier une manifestation sans regarder aux raisons qui y conduisent. Il ne viendrait à l’esprit de personne devant une maison en feu, de ne pas appeler les pompiers, au motif que cela produirait un dérangement et une angoisse dans le voisinage puis dans le reste de la cité… il ne resterait demain ni maison, ni caserne, ni cité.
S’opposer est un droit
Il ne faut pas minimiser le risque — que certains attisent — de surjouer l’opposition politique des identités religieuses. Tout serait si simple si « les catholiques » pouvaient se définir comme une unique entité politique. Or les divergences peuvent être nombreuses au sein de l’Église. Si certaines personnes de confession catholique sont heurtées par les effets de ce projet de loi, c’est qu’elles pressentent, en vertu de leur conception de la nature humaine, qu’il ne serait ni bon ni juste de priver intentionnellement un enfant de son père. C’est qu’elles perçoivent que l’irruption des techniques et du marché leur fait obligation d’exprimer leur opposition à des réformes sociétales portant atteinte aux équilibres et aux principes qui gouvernent le corps social. La liberté de chaque personne est une précieuse ressource pour la vie démocratique de notre pays. C’est un usage légitime de cette liberté qui permet, précisément, d’interpeller le législateur en rejoignant une manifestation. Sans doute, l’Église ne s’est pas autant mobilisée pour la défense des acquis sociaux, pour les droits des plus pauvres. La participation de catholiques à la Marche pour le climat n’a guère été relevée. Si bien que certains en viennent à dire qu’une Église plus sociale eut été plus légitime pour contester les dérives sociétales. Mais ce n’est pas l’Église, c’est bien le pouvoir politique qui a accepté de faire du respect des équilibres fondamentaux de la vie humaine et de la protection des droits des personnes homosexuelles deux propositions qui, en pratique, s’excluent. Et personne n’ignore, et certainement pas les pouvoirs publics, ce que fait concrètement l’Église pour juguler la précarité croissante. La force de l’emprise idéologique est telle qu’il est devenu facile de mettre l’Église en accusation, en lui reprochant d’être l’institution coupable qui prive les Français du vrai bonheur.
Dans ce bain d’individualisme
De plus, la surconsommation d’information et de réseaux sociaux produit une atonie et une indifférence désormais habituelles quelle que soit l’importance du débat. Dans ce bain d’individualisme, où sera notre dignité, s’il est possible de priver un enfant d’un de ses membres ? Car autant un enfant naît avec un corps, autant son père et sa mère sont ses deux membres extérieurs le mettant immédiatement en contact avec la vie sociale. La présence du père, fût-il défaillant, demeure une extension du corps de l’enfant. Aussi vrai qu’un enfant marchera sur ses deux jambes, il entrera sur la scène du monde en prenant appui sur son père et sa mère. L’enfant ne peut être seulement l’objet d’un désir pour la femme qui souhaite être mère. Il sera de facto aussi pour le monde. Mais sans son père, et sans raison qui explique son absence, il sera d’emblée amputé d’un de ses membres. Est-ce suffisamment perçu ?
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Enfin, qui ne voit combien la médicalisation et l’emprise des biotechnologies sur le corps féminin accélèrent une réduction sévère de l’autonomie des femmes ? Le problème de la stérilité ne pourra pas se résoudre par la médicalisation et les techniques biomédicales, comme le soulignait récemment Marie-Jo Bonnet, universitaire spécialiste de l’histoire des femmes et de l’homosexualité féminine. Combien ignorent encore les risques thérapeutiques de ces opérations ?
Une réforme, des victimes
Celles et ceux qui s’opposent à la réforme ne portent pas de jugement sur des personnes, mais sur un projet de loi purement sociétal. Mais ce sont bien des personnes humaines qui en subiront les conséquences. Le rapport bénéfice-risque est totalement en faveur du jeu de séduction politique (risqué) et en défaveur des enfants qui seront conçus au mépris des principes élémentaires de leur nature humaine. Nos découvertes sur l’attachement montrent combien il est important pour l’enfant d’avoir deux parents. La femme enceinte est sécurisée par la présence d’un tiers. Cette présence du tiers donne déjà in utero des conditions favorables au développement de l’enfant, et même à son développement neuronal. Dans la dyade mère-enfant, le tiers est important pour la séparation de l’enfant et de la mère. Sans parler de la charge éducative qui pèse très lourdement sur une femme seule.
“Comment l’aider à calmer ses pulsions de toute-puissance qui sèment aussi l’élimination des plus faibles ?”
Toutes ces questions, l’Église invite à les poser en un moment particulier de l’histoire, la discussion d’un projet de loi. Mais sa perspective est beaucoup plus large. Au-delà de sa visibilité historique, l’Église se comprend elle-même comme le signe de l’action de l’Esprit de Dieu dans l’histoire de la famille humaine. Elle se comprend comme la servante de l’unité des hommes entre eux et avec Dieu. Par son inspiration divine et sa foi en la résurrection de Jésus, elle a offert un dynamisme extraordinaire au développement de l’humanité. Des soins à l’éducation, en passant par la recherche scientifique et la quête de fraternité universelle, elle a tant apporté. Mais cela ne suffira pas, puisque l’être humain est en quête d’un pouvoir inaccessible de se donner la vie à lui-même. Comment l’aider à calmer ses pulsions de toute-puissance qui sèment aussi l’élimination des plus faibles ?
Le corps du Christ au secours du corps social
L’Église prendra encore et toujours part à tous les débats qui concernent l’édification du corps social, le bien-être des personnes et les relations à notre environnement. Elle a identifié trois niveaux où sa parole doit s’offrir pour soutenir une société plus juste et harmonieuse : le rapport au corps fragile et mortel de chacun — il en va de la considération de la dignité de chaque personne ; le rapport au corps social en vue de l’unité de la société ; enfin, le rapport au corps environnemental qui est la condition de possibilité de notre vie individuelle et collective. Dans la conjonction de ces trois corps, le corps ecclésial vient stimuler et corriger ce qui mérite de l’être. Ce corps ecclésial n’est pas l’œuvre des hommes, mais de Dieu pour le bien de tous les hommes. S’il est difficile aux élus et aux médias de saisir la signification de l’Église, corps du Christ vivant, il appartient plus que jamais à tous ceux qui portent le beau nom de chrétien d’en rayonner la joie, la confiance et la saveur sans jamais céder au défaitisme ni à l’aigreur. L’Église cherchera toujours à faire prévaloir la sagesse et l’engagement de ses membres plus que l’autorité de ses chefs. Elle n’a qu’un chef, un Seul qui veille sur l’Église et la conduit depuis l’âme des fidèles, un Seul en qui l’Église se confie, c’est l’Esprit-Saint par qui toute chose connaîtra sa perfection.
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