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Paris, il y a cent ans, le 1er novembre 1919. Un homme prend la parole devant 300 délégués syndicaux. Il s’appelle Jules Zirnheld. Issu d’une famille ouvrière, il a connu la misère, le mal-logement, parfois la faim. À 15 ans, il travaillait dans un établissement de soierie. À 16, il adhère au Syndicat des employés du commerce et de l’industrie tout en s’engageant au service des plus pauvres dans sa paroisse. Ce Parisien, fils d’Alsacien, soulève l’enthousiasme quand il accueille les délégués des syndicats indépendants d’Alsace et de Lorraine qui ont retrouvé la mère patrie depuis moins d’un an. Tous sont rassemblés pour créer une nouvelle confédération syndicale s’appuyant non sur le marxisme et la lutte des classes mais sur la vision développée en 1891 par le pape Léon XIII dans l’encyclique Rerum novarum (« Des choses nouvelles »).
La cuirasse de la doctrine sociale chrétienne
Une discussion s’ouvre pour savoir si la nouvelle organisation sera un mouvement de l’Église catholique ou un syndicat indépendant de toute Église et de tout parti tout en se référant à la doctrine sociale chrétienne. La présence d’une forte proportion de protestants au sein des syndicats alsaciens/lorrains clôt le sujet. La nouvelle confédération sera laïque s’inspirant de Rerum novarum. Cette référence est pour les cofondateurs l’assurance d’avoir « une cuirasse idéologique solide propre à résister aux assauts des barbares contre la civilisation ».
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Jules Zirnheld approuve et interpelle l’assemblée : « Qui pourrait adhérer à une confédération dont on ignorerait jusqu’au fondement moral ? » À 17 heures, le samedi 1er novembre 1919, le congrès constitutif prend à l’unanimité la décision d’appeler la nouvelle organisation : Confédération française des travailleurs chrétiens. La CFTC est née ! Le deuxième jour est celui d’un Parisien, fils d’une Bretonne et d’un ouvrier menuisier angevin, Gaston Tessier. Théoricien hors pair, il commence par affirmer que « le rôle d’un syndicat consiste à défendre les intérêts professionnels de ses membres ». Il précise immédiatement que deux voies sont possibles : la méthode du syndicalisme révolutionnaire qui pose comme principe que la force crée le droit, et celle du syndicalisme chrétien qui agit en fonction de la notion supérieure de justice et « limite, par la conception des droits réciproques des parties en présence, les convoitises effrénées auxquelles, par ailleurs, on s’adonne sans réserve ». Gaston Tessier sera le premier secrétaire général de la CFTC, Jules Zirnheld le premier président.
Rome défend les « rouges chrétiens »
La suite ne fut pas un long fleuve tranquille. Rejoindre la CFTC, c’est être libre et indépendant, ce qui déplaisait aux révolutionnaires comme aux puissances d’argent. Les premiers accusèrent la confédération d’être un mouvement confessionnel lié à l’Église catholique et saisirent la justice administrative afin de le faire interdire pour manque d’indépendance. Argument rejeté en 1924 par le conseil d’État. Les seconds, emmenés par le consortium de l’industrie textile, déclenchèrent une violente campagne contre les « rouges chrétiens » qu’ils dénoncèrent au Vatican. Rome répondit en affirmant la nécessité des syndicats et en soutenant la démarche de la CFTC.
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Forte de ses valeurs, la CFTC se développe en 1936 ; elle compte 156.000 adhérents. Si à son arrivée au pouvoir, le front populaire ostracisera la CFTC, sous la pression du dynamisme des syndicalistes chrétiens et de la réalité économique et sociale, le pouvoir prendra conscience de l’intérêt d’une organisation syndicale indépendante et constructive.
Le temps de la Résistance
Le 22 juin 1940, l’Armistice est signé entre la France et l’Allemagne. Le 23 août est annoncée la dissolution des centrales syndicales. La CFTC rentre en résistance. Si Jules Zirnheld décède quatre mois plus tard, Gaston Tessier sera notamment à l’initiative de la création de Libération-Nord, il sera membre du CNR, le Conseil national de la Résistance. C’est d’ailleurs un militant CFTC, Georges Bidault, qui succédera à Jean Moulin à la tête du CNR après l’arrestation de celui-ci.
Si l’après-guerre est la période de la reconstruction matérielle et sociale, c’est également le temps des luttes idéologiques au sein de la CFTC, luttes qui aboutiront en 1964 à la rupture et à la création de la CFDT.
La bataille de la référence chrétienne
Pour les partisans du maintien de la référence chrétienne, « le grand combat qui se livre sous nos yeux, c’est celui que livre à l’Homme les forces matérielles et les matérialismes de tous poils », rappelle Maurice Boudaloux, un ancien président de la CFTC : « C’est en définitive, autour de la conception de l’Homme et des droits de la personne que se fera la rupture entre ceux pour qui l’Homme n’est qu’un moyen au service de la classe, de la race, de la production et ceux pour qui il est la cause et le but de toutes choses. » D’autres choisiront la voix de la politisation syndicale et durant près de vingt ans celle de la lutte des classes.
Durant ces dernières années, la CFTC a porté des orientations et des réalisations pour lesquelles — on l’oublie trop — elle a été longtemps seule à combattre, parfois contre ceux qui s’en font gloire aujourd’hui : liberté syndicale, congés payés, retraite, conventions collectives, sécurité sociale, SMIG, prestations familiales, participation financière au profit des salariés, formation professionnelle continue, création de chèques vacances, refus de la suppression de l’enseignement libre, création de l’allocation parentale d’éducation, création du conseiller du salarié, reconnaissance par le MEDEF de l’existence de pénibilités psychologiques liées au travail, etc.
Une extraordinaire boussole
Aujourd’hui, nous devons lutter contre la marchandisation de l’humain, la disparition du repos du dimanche, ce temps où la production et la consommation doivent être entre parenthèses pour permettre la vie familiale, personnelle, associative et spirituelle. De la même façon que la révolution industrielle a profondément modifié nos sociétés, le développement des nouvelles technologies de l’informatique et les bio-technologies, bouleversent et bouleverseront nos existences et le monde du travail.
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Pour nous aider à prendre position sur des sujets complexes qui touchent à la philosophie et à l’éthique, la morale sociale chrétienne est un renfort indispensable. Qu’est-ce que l’Homme ? Qu’est-ce qui nous différencie de la machine ? Comment faire vivre la valeur travail au profit de tous ? Entre progrès et barbarie, la CFTC qui s’inspire dans son action de la doctrine sociale chrétienne, possède une extraordinaire boussole, encore faut-il lui être fidèle. « Car tout homme sait, au moins confusément, et c’est là sa grandeur, qu’il ne vit pas seulement de pain » (Gaston Tessier).
CFTC : 100 ans de syndicalisme chrétien et après ? : choisir entre l’humanité et la marchandisation de l’humain, Joseph Thouvenel, éditions Téqui, octobre 2019, 13 euros.