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Notre appréhension du temps influence grandement la façon dont nous avançons dans l’existence. Certes, le temps ne nous appartient pas, nous n’en sommes pas maître, mais nous le traversons de différentes façons, parfois en nous crispant, parfois en le laissant couler sans y prêter attention, à d’autres moments encore en regrettant qu’il passât si vite. Comme toute chose, le temps est créé par Dieu et il l’a voulu tel pour que se développe en son sein notre relation avec lui. Son temps n’est pas le nôtre et il nous faut nous habituer à réaliser que pour lui mille ans sont comme un jour. Il a pourtant voulu ce temps qui est le nôtre comme un écrin pour sa Révélation.
Tout nous semble trop lent ou trop rapide en ce domaine, mais il nous est dit que rien ne se produit sans que les temps soient accomplis, comme l’annonce le Christ après l’arrestation de saint Jean-Baptiste : « Parce que le temps est accompli, et que le royaume de Dieu est proche, faites pénitence et croyez à l’Évangile » (Mc 1, 15). Saint Paul enseignera plus tard aux Galates : « Mais lorsqu’est venue la plénitude du temps, Dieu a envoyé son Fils, formé d’une femme, soumis à la loi, pour racheter ceux qui étaient sous la loi, pour que nous reçussions l’adoption des enfants » (Gal 4, 4-5).
Le temps ne nous appartient pas
Il ne dépend pas de nous de décider si le temps est advenu ou non. Il suffit de se laisser porter dans l’existence en sachant que tout se produit selon un ordre et non point sous l’effet du chaos et du hasard. L’Ecclésiaste, « celui qui parle à l’assemblée », avait souligné poétiquement combien le cours du temps est régi par le Créateur : « Toutes choses ont leur temps, et dans leurs limites elles passent toutes sous le ciel. Il y a un temps pour naître et un temps pour mourir ; un temps pour planter, et un temps pour arracher ce qui a été planté ; un temps pour tuer et un temps pour guérir ; un temps pour abattre, et un temps pour bâtir ; un temps pour pleurer, et un temps pour rire, etc. » (Eccl 3, 1-4). Cet homme sage ne se trompe pas en commençant par la naissance et par la mort dont les événements nous échappent (devraient nous échapper sinon nous risquons de nous brûler plus que les doigts…). Alors il faut savoir goûter chaque moment qui nous est donné, y compris lorsque nous avançonsin hac lacrimarum valle où le temps se fait cruel, nous arrachant ceux que l’on aime et nous assistons impuissants à cette violence.
Renaître chaque année
Chaque nouvelle année fait renaître en nous un élan perdu, négligé par lassitude, ou brisé par l’épreuve. Un temps plongé dans un bain de jouvence nous y est accordé. Il ne faut pas le négliger. Paul Claudel note de façon amusante cette remarque dans Conversations dans le Loir-et-Cher : « Et comment les gens s’apercevraient-ils de leur existence si nous n’allions pas chez eux la leur vérifier de temps en temps, sur le coup de cinq heures ? » Il est en effet possible d’en oublier même jusqu’à sa propre existence, préoccupé par les soucis quotidiens ou bien enivré par la superficialité. Nous avons besoin d’électrochocs de temps en temps pour nous ramener au sens de la réalité et ne pas nous perdre dans les rêves, les illusions, l’imaginaire ou l’esprit de dégoût. Sinon, nous pouvons passer toutes nos années à nous lamenter, à nous plaindre, à gémir, à nous révolter, ou simplement à vivre égoïstement en ne nous souciant que de notre confort, de nos privilèges. Nous savons ce que cet état d’esprit donne comme résultat à l’échelle d’un pays. Les dégâts sont considérables pour l’âme de chacun. Léon Bloy, dans son Symbolisme de l’Apparition, fait ce constat : « Nous en sommes à l’ignoble lamentation des Hébreux dans le désert, au souvenir des oignons d’Égypte, avec cette circonstance ridicule que nous ne sommes même pas sortis d’Égypte. »
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Nous avons été revêtus du salut mais cela ne semble pas vraiment bouleverser ce que nous sommes et le regard que nous portons sur les choses et sur le temps. Au lieu d’accueillir le cours des choses, nous regardons en arrière et nous nous transformons en statues de sel, incapables d’apprécier ce qui se profile devant nous. Nous préférons demeurer dans notre prison égyptienne dont, au moins, nous connaissons les moindres détails. Là, pas de surprise certes, mais de plus, nous ne serons pas déçus par la nouveauté. Perdre la raison de vivre, se contenter de subir ou se réfugier dans le connu, est une maladie contemporaine due à l’absence de la vertu d’espérance. Chacun s’accroche à son rocher comme un coquillage en perdition. Charles Baudelaire, au temps des Fleurs du mal, exprimait son écœurement vis-à-vis d’une France qui sombrait dans la bêtise et la vulgarité, qui se complaisait dans la médiocrité, qui était incapable de se détacher de ce qui rassasiait ses besoins primaires.
Le cours des choses
La situation a plutôt empiré. Leonardo Castellani, ce jésuite argentin prophétique persécuté, écrivait après-guerre dans Vision religieuse de la crise : « Si l’homme n’a aucune idée d’où il va, il ne peut y aller. Si l’homme continue à se mouvoir sans savoir dans quelle direction il se meut, arrive un moment où son motus cesse d’être humain pour devenir simple agitation, convulsion, spasme mécanique. » Le cours des choses possède une direction. Si nous la connaissons, comme cela est le cas par la Révélation, alors tout s’éclaire, même si bien des circonstances et des événements nous échappent en partie, nous laissent sur notre faim ou, plus que de coutume, nous blessent. Depuis que nous avons la prétention d’être maîtres de la naissance et de la mort, nous avons perdu de vue l’origine et la fin, la raison d’être et la raison de connaître ce qui nous meut. Nous avançons à tâtons comme ces aveugles du tableau de Brueghel qui tombent dans le fossé parce que guidés par un autre aveugle.