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De profundis, clamavi ad te, Domine. “Des profondeurs, je crie vers toi Seigneur… ” : la supplique du psaume 129, qui a inspiré de nombreux compositeurs, marque dans l’inconscient collectif, que l’on soit croyant ou pas, le seuil à partir duquel l’homme dépassé par les événements a besoin d’aide extérieure. Ce seuil est en quelque sorte un rendez-vous avec soi-même, au moment où, écroulé de fatigue ou privé d’appui, on fait le point de ses forces et du réservoir de son âme, comme un soldat exsangue médite en sa tranchée à quelques heures de l’assaut.
Le confinement forcé qui est le nôtre accélère cette confrontation. À dire vrai, elle met fin souvent à l’imposture qui en empêchait l’avènement et qui consiste à croire que la course collective, fût-elle sans liens réels ni direction, est un accomplissement au lieu qu’elle est une illusion. L’inactivité soudaine effondre cette harmonie de papier autant que les résultats du chiffre d’affaires et avère pour chacun la réalité de sa contribution au groupe et de son autonomie solitaire.
Partir du désir
Descendre dans les profondeurs, ce n’est pas chuter mais bien au contraire revenir sur ses pieds. Aucune avancée collective ne peut faire l’économie d’un déclenchement autonome de la volonté de chacun. C’est précisément là le point le plus délicat de la gestion des hommes : ne céder ni à la tentation de la planification qui enferme dans des cases sans questionner les desiderata, ni à celle, démagogique, du développement personnel qui en fait une finalité. S’il revient au chef de dépasser ces deux tentations en donnant à chacun par étapes une utilité par rapport à la mission, il revient à chacun de descendre au cœur des questionnements de sa vie et de recenser ses talents pour se reconnecter à son désir le plus profond, le plus réaliste et plus durable.
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S’armer pour durer
Quand on discerne sur soi-même, dans l’agitation enfin tue, on ne se contente pas de suivre une envie passagère mais l’on se met bien en disposition mentale d’écouter ce qui demeure en soi comme une orientation profonde de l’être et, sans surprise, un lieu d’abondante et facile fécondité. On fait alors la distinction fondamentale qu’il convient de poser entre un fantasme et une évidence : le premier passe et disparaît, même s’il peut momentanément envahir tout l’être d’enthousiasme, la seconde résiste à l’épreuve du temps et revient à l’esprit avec le reflux calme d’une marée.
Se préparer au temps long revient donc à construire en soi-même les règles de discernement qui aident à faire les bons choix.
C’est la différence, si l’on s’autorise cette comparaison triviale, entre croire — suivant les cas — à une relation miracle avec Julia Roberts ou Georges Clooney et envisager avec eux une relation de long terme ; le conjoint que l’on choisit dans la vie ne provoquera pas forcément cette enflammement initial mais la perspective de rester avec lui prendra de l’ampleur et de la teneur à mesure qu’on l’entrevoit. Se préparer au temps long revient donc — et quelle chance que la solitude pour cela ! — à construire en soi-même, en réflexe comportemental davantage que par la pensée, les règles de discernement qui aident à faire les bons choix.
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Dépolluer du superflu
Connectés à notre désir profond, nous devenons aptes à trier, parmi les sollicitations innombrables qui nous parviennent, ce qui mérite d’être gardé. La surabondance est l’ennemi juré de notre fécondité aussi sûrement que l’excès d’ingrédients ne garantit pas mais menace une bonne recette : à vouloir tout intégrer, on finit par créer des plats indigestes et sans goût. Pour filer la métaphore, c’est parce qu’on a d’abord l’intuition et le désir d’une recette particulière que l’on va chercher les ingrédients qui lui sont utiles et qu’on laisse de côté ceux qui n’apportent rien à la saveur du plat, fussent-ils proposés avec insistance par des voisins intempestifs. À connaître son désir, en somme, on redécouvre la volonté, qui n’est ni volontarisme par entêtement ou ressentiment, ni laisser-aller par habitude de subir, mais autonome motricité.
Habiter le calme
Nous le savons, le confinement ne durera pas et nous redoutons forcément le retour des habitudes sitôt ce temps terminé. Comment en tirer le meilleur bénéfice ? Il n’y a pas de solution toute faite, bien sûr, et les difficultés de la vie ne cessent jamais d’être nos compagnes de route, mais pourquoi ne pas profiter de l’isolement pour engranger au creux de son âme des réserves de calme ? Par créneau dédié quand on est seul, par créneau négocié quand on est à plusieurs, pourquoi ne pas prendre le temps d’un Skype quotidien avec soi-même, dans l’inoccupation chère à Pascal, dans le silence de la vie qui, comme l’eau dans les canaux de Venise, reprend sa clarté initiale quand on lui laisse enfin sa place, dans l’écoute tout simplement de ce qui nous dépasse ?
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