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Que de conseils en tout genre ne voit-on pas fleurir pour passer un bon confinement… Peut-être même en avez-vous assez des oukases culturels ! Entre Netflix et le télétravail, pourquoi ne pas s’adonner à quelque chose de plus haut, se nourrir de contemplation ? Et si l’on s’évadait plaisamment par l’imagination ? Et si l’on retrouvait le chemin des livres ? Faute de sortir flâner chez son libraire préféré, il demeure la commande en ligne, avec ses aléas. Mais sans doute y a-t-il une dernière option, celle des vieux classiques nichés dans votre bibliothèque, à redécouvrir ou peut-être même à lire enfin. Depuis des siècles, ils élèvent les esprits en dévoilant les subtilités — heureuses et malheureuses — de la condition humaine…
Balzac : le jeu des apparences
Suivons les conseils de Marc Fumaroli, dans sa riche conférence « Lisez les classiques ». Parmi ses tout premiers choix, La Comédie humaine de Balzac : “L’expérience humaine de l’ambition dans une grande ville dont Balzac fait partager la cruauté, l’intensité, la vanité, reste tout à fait vrai, très reconnaissable.” L’académicien invite le lecteur moderne à traduire dans “les termes de sa propre expérience” ce que la fiction de ce romancier lui révèle du jeu des passions, des intérêts, des caractères. Lire Balzac, un auteur éloigné de nous, semble-t-il, de notre XXIe siècle échevelé, devient un exercice “fécond” de traduction, d’adaptation, de prise de distances avec l’immédiat, “apprend à ne pas se laisse duper par les apparences”. Si j’osais ajouter au mot du professeur au Collège de France et pour ne pas être intimidés ni embarrassés par ces monstres de la littérature, pourquoi ne pas commencer par Ferragus, par exemple. Récit bref, l’histoire vous happe autour d’un secret. Une fois pris, d’autres Balzac suivront. Ils ne vous tomberont jamais des mains comme ces petits bijoux que sont les Mémoires de deux jeunes mariées ou La Peau de chagrin.
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Dumas : la nature humaine
Tomberez-vous ensuite dans cette bibliothèque, qui vous est si familière et dont vous ne connaissez pourtant pas tous les ouvrages, sur un roman de Dumas ? Pourquoi ne pas enfin foncer dans la terrible histoire en trois tomes d’Edmond Dantès ? Comment ne pas être bouleversé par ce chapitre XV intitulé “Le numéro 34 et le numéro 27”, ce chapitre où Dantès prisonnier au château d’If, si seul, si déshumanisé, au bord du désespoir, creuse un tunnel et dit “Ah ! murmura-t-il, j’entends parler un homme.” Le rapprochement des deux prisonniers qui ne sont que deux numéros donne lieu à une fin de chapitre émouvante : “Aussitôt la portion de terre sur laquelle Dantès, à moitié perdu dans l’ouverture, appuyait ses deux mains, sembla céder sous lui ; il se rejeta en arrière, tandis qu’une masse de terre et de pierres détachées se précipitait dans un trou qui venait de s’ouvrir au-dessous de l’ouverture que lui-même avait faite ; alors, au fond de ce trou sombre et dont il ne pouvait mesurer la profondeur, il vit paraître une tête, des épaules et enfin un homme tout entier qui sortit avec assez d’agilité de l’excavation pratiquée.”
Entendre “parler un homme”. Voir paraître “un homme tout entier. C’est ce que peut la littérature. Ici, Alexandre Dumas participe avec son style propre et pour reprendre les mots de Fumaroli “à cette enquête sur la nature humaine”. Tout Dumas est intéressant, met le pied à l’étrier de la lecture, mais que me soit permis de choisir et d’aimer plus particulièrement Le Comte de Monte-Cristo.
Hugo et Bloy : des lignes de feu
Comment dans ces choix assez personnels ne pas penser à Victor Hugo, à la somme des Misérables ? Où que vous ouvriez le livre, que vous le lisiez en continu ou à sauts et à gambades, tout vous touche. Dès la préface on est averti : “Tant que les trois problèmes du siècle, la dégradation de l’homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l’atrophie de l’enfant par la nuit, ne seront pas résolus ; tant que, dans de certaines régions, l’asphyxie sociale sera possible ; en d’autres termes, et à un point de vue plus étendu encore, tant qu’il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles.” L’histoire de Jean Valjean et de Cosette, l’incontournable histoire de la littérature française, celle du forçat injustement condamné et de l’enfant malheureuse, de la jeune femme abandonnée devenue fille publique, de l’évêque sublime et de Gavroche chantant sur les barricades, non, cette histoire n’est pas inutile encore aujourd’hui à l’heure des Gilets jaunes. Et une fois Hugo lu, jetez-vous dans la poignante histoire de La Femme pauvre de Léon Bloy. Des lignes de feu.
Retour à l’Odyssée, hymne à l’amour
Mais s’il n’y avait qu’un seul ouvrage à découvrir ou à redécouvrir pendant ce temps précieux à vivre, je conseillerais L’Odyssée d’Homère. Sans doute, l’œuvre a-t-elle fait partie de votre parcours de lecture scolaire. Sans doute l’avez-vous lu très jeune. Mais il est bon parfois de relire ce que l’on n’a pas pu bien comprendre par un manque de maturité. L’Odyssée vous enchantera jusqu’à la toute fin. La dernière épreuve du dévastateur de citadelles sera grande. Les ruses de Pénélope ne sont pas moins inventives que celles d’Ulysse, comme cette dernière épreuve qu’elle prépare. L’homme aux mille ruses en sortira encore une fois vainqueur mais voilà que l’épouse fidèle s’excuse : “Ne m’en veux pas Ulysse toi qui fus toujours le plus sensé des hommes, les dieux nous ont élus pour le malheur, nous enviant la douceur de rester auprès l’un de l’autre pour goûter la jeunesse et atteindre le seuil de l’âge et aujourd’hui ne va pas te fâcher ni me blâmer de ne pas t’avoir tout de suite ouvert les bras ! En effet tout au fond de moi mon cœur toujours redoutait que quelqu’un ne vînt ici pour me tromper de ses discours : il en est tant qui ne pensent qu’à mal !” Quel hymne à l’amour conjugal et à la recherche de la vie bonne en sa demeure, en son pays !
Le roman, un miroir et un chemin
Quand on ne sait plus s’il faut lire, quoi lire, quand on se dit qu’il n’y a pas de bons livres, qu’il y a trop de livres, qu’ils “fondent dans leur graisse” comme le dit Rufin dans Globalia pour regretter leur médiocre prolifération, eh bien, il reste ces livres modernes en leur temps devenus des classiques car éprouvés au feu du temps. Grâce au plaisir qu’ils procurent, ils aident à lire pour réfléchir vraiment. Les expériences que les livres serrent nous éduquent sans le savoir. Ils nous permettent de les
confronter à celles de nos propres vies. Nous humaniseront-ils un peu plus ? Il faut l’espérer. Le roman d’aventure ou l’épopée peuvent en tout cas offrir un miroir que nous ne regretterons pas de contempler, un chemin que nous ne regretterons pas d’emprunter.
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