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Depuis le jour de son élection le 16 octobre 1978, chaque pas, chaque rencontre, chaque instant de sa vie était immortalisé par son photographe officiel Arturo Mari. Pourtant peu de personnes savent qu’il y avait aussi un autre photographe, Adam Bujak, qui suivait régulièrement Karol Wojtyła. Depuis les années 1960 à Cracovie et jusqu’à sa mort le 2 avril 2005, il a suivi la vie du jeune prêtre, de l’évêque et du pape polonais. Une relation très proche de plus de 40 ans, palpable dans ses photographies qui saisissent de façon étonnante l’unité intérieure de la personnalité de saint Jean Paul II. Rencontre avec Adam Bujak, l’autre photographe de Karol Wojtyla et l’auteur de nombreux albums etbeaux livres sur le mystère de la foi.
Aleteia : Vous avez été le photographe de Jean Paul II pendant plus de 40 ans. À quand remonte votre première rencontre ?
Adam Bujak : J’étais enfant de chœur à l’église Saint-Stanislas Kostka à Cracovie, c’était ma paroisse. Il y avait un jeune prêtre d’à peine 30 ans qui venait souvent célébrer la messe. J’avais 6 ans, je ne savais pas qui il était, mais j’étais marqué déjà par sa gentillesse et surtout son regard. Je m’en souviens encore. Un lien très cordial s’est tissé rapidement entre nous.
Comment êtes-vous devenu son photographe officiel ?
Personne ne m’a jamais nommé formellement le photographe de Karol Wojtyla. Cela s’est fait tout naturellement. J’ai commencé à travailler dans les années 1960 comme photographe pour Tygodnik Powszechny, l’hebdomadaire catholique de l’opposition anti-communiste, très proche du futur pape. À l’époque, c’était le seul journal libre, bien qu’il était soumis au filtre de la censure. Dans l’enthousiasme de ma jeunesse, j’étais persuadé qu’il fallait documenter tout ce que faisait Karol Wojtyla, qui était assez vite devenu évêque et ensuite cardinal.
À travers lui, je voulais raconter à ma manière l’histoire de l’Église de Pologne. Sous la terreur du régime communiste, elle jouait un rôle historique. Il fallait être à l’intérieur de l’Église pour ressentir sa force incroyable, incarnée entre autres par Karol Wojtyla. Je le suivais partout, je me tenais près de lui. Et lui, il m’a immédiatement pris sous son aile, un peu comme un père. Je savais intérieurement que je côtoyais un homme extraordinaire.
C’est-à-dire ?
Il y avait en lui une lumière. Une lumière rare qui venait d’une sorte de bonté paternelle. Il était pour moi comme un père, quelqu’un de très proche, un membre de ma famille. Nous étions d’ailleurs voisins, je voyais sa maison de ma fenêtre. Il a déménagé dans notre rue à l’âge de 18 ans quand il a quitté Wadowice, sa ville natale pour commencer ses études à l’université de Cracovie en 1938.
Et le 16 octobre 1978, il devient Pape… Comment avez-vous vécu son élection ?
C’était un moment inouï, grandiose et inconcevable. Au moment de Habemus Papam, quand je l’ai vu donner sa première bénédiction en tant que Pape, j’ai pensé complètement bouleversé que mon rôle auprès de lui était terminé. Mais c’était le contraire. J’ai continué à le suivre et travailler encore plus pour documenter son pontificat. D’ailleurs, au début, je n’arrivais pas à m’habituer à sa soutane blanche. Pour moi, il était toujours le même cardinal Wojtyla de Cracovie.
Vous l’avez vu rapidement après son élection ?
Deux mois et demie après son élection, au cours de la fête de Noël, à Rome, son premier Noël au Vatican… J’avais été invité à une soirée des chants de Noël, une tradition polonaise à laquelle le pape tenait beaucoup. Nous étions très nombreux : il y avait tous ses amis cracoviens, des montagnards aussi. Nous avons chanté les chants de Noël jusqu’à très tard le soir…
Quelle est la photo de Jean Paul II la plus marquante pour vous personnellement ?
Juste avant son départ pour le conclave où il a été élu Pape, j’ai pris une photo de lui pendant la messe au sanctuaire de Kalwaria Zebrzydowska, près de Cracovie. Jean Paul Ier était mort. Je me souviens, je photographiais tout ce qu’il faisait. On se disait ainsi au revoir. Dans ses gestes, j’ai vu qu’il ne reviendrait pas. Il savait qu’il avait déjà reçu de très nombreuses voix lors du conclave précédent. Il pressentait que le choix allait tomber sur lui. Dans son regard, il y avait à la fois beaucoup de tristesse, d’émotion et une confiance profonde en même temps : Il était prêt. Je voyais qu’il était prêt.
Est-ce que vous organisiez des sessions de photos au cours desquelles Jean Paul II posait pour vous ?
Non jamais. À chaque fois, je n’avais que quelques secondes pour saisir une image. Pour m’aider, il s’arrêtait juste un instant pour que je puisse prendre la photo. Personne ne s’apercevait de rien. C’était entendu entre nous sans qu’on en parle. Dans cette seconde suspendue pour la photo, je voyais toute sa dignité.
Vous étiez dans une relation filiale avec le Pape. Quel homme était-il ?
Quelques images me reviennent à l’esprit. Pendant les cinq dernières années de sa vie, nous nous voyions beaucoup. La plupart du temps, je venais à Rome avec un autre ami, poète, Marek Skwarnicki. Nous restions parfois tard le soir pour parler de l’art et surtout de la poésie. Parler de l’art était pour Jean Paul II vital. Il aimait énormément la poésie, notamment celle de son poète préféré, Cyprian Norwid. Nous échangions à trois à bâtons rompus. J’avais l’impression d’être avec un père, en cercle familial… Et en même temps, je me pinçais en me disant « tu es assis en face du gouverneur du Christ et tu récites avec lui des poèmes jusqu’à tard dans la nuit !
À ce moment-là, pensiez-vous qu’il était saint ?
Oui. Sa sainteté ou plutôt cette attitude vers la sainteté était chez lui saisissante. Je me souviens qu’un an avant sa mort, lors de notre dîner au Vatican, ce même ami poète est parti à un moment donné avec le père Dziwisz (secrétaire particulier du Pape, ndlr) chercher un livre pour que Jean Paul II lui fasse une dédicace. Il était presque minuit. Je suis resté un moment seul avec lui. Je l’ai aidé à se lever, il avait du mal à marcher. Jean Paul II m’a alors parlé de la « Fraternité de la bonne mort » – une association laïque auprès des franciscains qui contemple chaque vendredi la Passion du Christ – dont je fais partie. Il m’a dit qu’il se sentait prêt pour aller dans la maison du Père.
En l’écoutant je sentais son aura de sainteté, une connexion directe avec Dieu, celle d’un homme plongé dans la prière. C’était quelque chose de palpable, de naturel et d’extraordinaire à la fois. Je n’ai pas pu lui dire À-Dieu, mais il a dicté trois jours avant sa mort un petit mot pour moi. Il me remerciait pour mes prières, et il demandait les grâces de joie et de paix dont la source est le Christ Ressuscité « le Vainqueur de la mort, de l’enfer et de Satan ». Il me remerciait pour ma prière alors que c’était plutôt moi qui aurait dû le remercier pour la sienne ! C’était tout Jean Paul II.
Quelle est la dernière photo que vous avez faite de lui ?
J’ai photographié ses mains dans son cercueil. J’y voyais tous les gestes que j’avais observé tout le long de son pontificat. Quand il prenait des petits enfants dans ses bras, quand il jouait au ballon avec des jeunes, quand il allait vers la foule en serrant les gens dans ses bras pendant des heures. Avec lui, les audiences étaient interminables. Il allait partout, il voulait rencontrer tout le monde, il rentrait carrément dans la foule.
Proche des gens, rayonnant, joyeux. On l’appelait l’athlète de Dieu. Pourtant, l’avez-vous vu pleurer ?
Oui, une fois à Wadowice dans sa ville natale. Il était devant le tableau de la Vierge Marie, les yeux inondés de larmes. J’ai pris la photo. Cette Vierge, c’était celle qui l’avait accompagnée dès sa petite enfance. Il avait perdu sa mère très jeune, et je pense que cette Vierge représentait sa mère.
Si vous deviez choisir une seule photo symbolisant le pontificat de Jean Paul II ?
C’est la photo prise à l’intérieur du tombeau du Christ à Jérusalem. Il y avait une belle lumière juste derrière lui. On aperçoit alors l’ombre de son visage qu’il tient entre ses mains. Il est plongé dans la prière. Jean Paul II était avant tout un homme de prière.
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