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Les rassemblements qui se tiennent actuellement les week-ends devant les églises et cathédrales de France pour réclamer la reprise des messes publiques soulèvent décidément les passions… et les confusions. Entre la vidéo diffusée par Quotidien où l’on voit l’une des chroniqueuses de l’émission demander aux policiers présents pourquoi ils ne réagissent pas aux prières prononcées, les réactions de certains s’interrogeant sur la légalité de prier dans un espace public et les propos d’autres, dont ceux du ministre de l’Intérieur et des Cultes Gérald Darmanin, menaçant de verbaliser les chrétiens qui participeraient à ces manifestations, c’est décidément un bel imbroglio qui entoure ces rassemblements.
Avocat associé auprès du Conseil d’État et de la Cour de cassation, Maître François-Henri Briard, qui a représenté six évêques lors de l’audience devant le Conseil d’État début novembre, assure à Aleteia que ces rassemblements sont juridiquement légaux, y compris avec l’état d’urgence sanitaire, dans la mesure où il y a une déclaration en préfecture “et sous réserve de respecter les mesures d’hygiène”.
Aleteia : Les rassemblements que l’on a vu ces derniers week-ends devant les églises sont-ils légaux ?
Maître François-Henri Briard : Dans le droit commun, c’est-à-dire ce qui se passe habituellement en France et ce qui se passerait si nous n’étions pas dans une situation exceptionnelle, la règle est simple en ce qui concerne les rassemblements sur la voie publique. Il y a un principe fondamental qu’est la liberté d’expression, d’où découle la liberté de l’expression collective des idées et des opinions. En France on ne peut pas dire qu’il y a une liberté de manifester. Quand on vous dit qu’on est libre de manifester, c’est faux. La liberté de manifester n’est pas consacrée en tant que telle, elle ne l’a jamais été. Elle a été régie par le décret-loi de 1935 et aujourd’hui c’est le code de la sécurité intérieure qui s’applique. Le Conseil constitutionnel s’est vraiment intéressé à la question seulement en 1995. Pour résumer, le raisonnement consiste à dire qu’il y a une liberté d’expression garantie par les articles 10 et 11 de la déclaration de 1789 et une partie de cette liberté d’expression est l’expression collective, donc le droit de proclamer ses idées et ses opinions notamment dans un lieu public… sous la réserve majeure du respect d’un objectif à valeur constitutionnel qu’est l’ordre public. Le Conseil constitutionnel, comme le Conseil d’État, dit qu’il n’est possible de porter atteinte à cette liberté d’expression collective dans des rassemblements que s’il y a une situation de menace sérieuse à l’ordre public.
Le devoir de l’État est de garantir cet ordre sanitaire.
Pour préciser encore les choses, lorsque l’on parle d’ordre public dans le droit commun, c’est en principe l’ordre public matériel, c’est-à-dire l’ordre dans la rue. Cet ordre public, et il est important de le préciser en ce moment, intègre l’ordre public sanitaire. Le devoir de l’État, de la puissance publique, est de garantir cet ordre sanitaire. C’est un devoir majeur, on peut même dire que c’est une tâche régalienne. De tout cela résulte un régime qui est dans le code de la sécurité intérieure qui impose une déclaration en préfecture entre trois au plus tard et 15 jours au plus tôt avant la manifestation. L’interdiction de cette manifestation ne peut exister légalement que s’il y a une menace sérieuse à l’ordre public.
Et qu’en est-il des rassemblements religieux ?
On peut ajouter dans ce droit commun une jurisprudence ancienne du Conseil d’État de 1909 en matière de procession religieuse qu’est la jurisprudence Abbé Olivier. Cette dernière dit qu’on ne peut pas interdire aux fidèles d’organiser des processions dans la rue. Sur ce sujet, le Conseil d’État a une approche très libérale. Il y a également un volet particulier pour les processions religieuses réservé par le Code de la sécurité intérieure. Pour les processions religieuses, vous n’avez pas à faire une déclaration en préfecture si c’est à usage local.
L’état d’urgence sanitaire change-t-il quelque chose dans ce domaine ?
L’article 3 du décret du 29 octobre 2020, qui détaille les conséquences de l’état d’urgence sanitaire, préserve le régime des manifestations. Ce décret ne s’oppose pas aux manifestations mais oblige à le faire en respectant les mesures d’hygiène. Actuellement, la liberté d’expression collective des idées et opinions peut donc toujours être exercée, on peut se rassembler sur la voie publique dans les conditions habituelles du droit commun avec une déclaration en préfecture. Cette déclaration ne peut donner lieu à une décision défavorable de l’État que s’il y a une menace sérieuse à l’ordre public. Le principe reste donc la liberté, sous réserve de respecter les mesures d’hygiènes que l’on rattache directement à l’ordre public sanitaire.
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On observe néanmoins un flou dans l’application de cet article…
C’est actuellement un peu le bazar dans les préfectures car les conditions sont plus ou moins libérales, le ministère de l’Intérieur s’inquiète… Mais il faut bien retenir deux choses : l’État, à travers ses représentants, ne peut pas porter une appréciation sur le contenu du rassemblement. J’ai lu quelque part, notamment sous la plume de dignitaires ecclésiastiques, que c’était contraire à la loi de 1905. Non, au contraire : la loi de 1905 proclame la liberté de l’exercice du culte et en réalité les rassemblements sont tout à fait possibles.
L’État n’a absolument rien à dire sur le comportement expressif des manifestants. Ils peuvent se mettre à genoux, debout, prier s’ils en ont envie, chanter…
Alors, peut-on prier dans ces rassemblements ?
Évidemment ! L’État n’a absolument rien à dire sur le comportement expressif des manifestants. Ils peuvent se mettre à genoux, debout, prier s’ils en ont envie, chanter… Si c’est une manifestation qui a fait l’objet d’une déclaration normale, l’État n’a absolument rien à dire sur le contenu. En revanche l’Etat, du fait de sa responsabilité en matière sanitaire, est fondé à vérifier si les mesures d’hygiène sont scrupuleusement respectées. Et elles sont quand même exigeantes. C’est seulement sur ce terrain sanitaire qu’il serait possible d’entraver la liberté de manifester.
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Ces rassemblements doivent-ils être revendicatifs ?
J’ai effectivement entendu ici où là des gens dire que ces manifestations n’étaient possibles que si elles étaient revendicatives. C’est tout à fait inexact. Encore une fois, l’État n’a aucune appréciation à porter sur le contenu de l’expression des idées. Et même si l’on considère que c’est revendicatif, les gens qui sont dans ces rassemblements ont de fait une attitude revendicative. Après s’il faut avoir des panneaux sur lesquels il est écrit l’article 10 de la déclaration de 1789 pourquoi pas … !
Gérald Darmanin a néanmoins affirmé qu’il n’hésiterait pas à sanctionner les croyants qui se rendraient à ces rassemblements…
Ce sont des rodomontades qui ont un peu une coloration de menace, mais encore une fois, le principe de légalité s’applique aux personnes publiques, et à l’État en particulier, tout spécialement en matière de libertés publiques. Et la liberté d’expression est très haut dans les libertés publiques ! S’il y avait la moindre interdiction qui débordait du cadre légal dont je viens de vous parler, il serait très facile de faire un référé liberté et d’obtenir la suspension de l’arrêté dans les 48 heures. Chacun doit bien garder en tête que la règle c’est la liberté, même dans une période exceptionnelle comme celle que nous traversons en ce moment. L’exception, c’est la restriction.
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Que pensez-vous de la situation actuelle ?
Les pouvoirs publics sous-estiment considérablement la nécessité pour le peuple français en général, que ce soit les croyants ou les non-croyants, dans ces circonstances très difficiles, d’entretenir et de faire grandir une force spirituelle en eux. Je pense que toutes les épreuves de crises, de guerres… ont montré que les aspirations des individus, en matière spirituelle, de vie intérieure, sont très fortes. C’est l’intérêt de la société de promouvoir cette force spirituelle. Tous les grands discours des dirigeants lors de conflits ont su entretenir et favoriser ce besoin qui est un besoin naturel de l’homme, une aspiration, surtout lorsque l’on est confronté à des phénomènes dont l’origine est inconnue, de se tourner vers l’invisible. Je crois que c’est une chose absolument méconnue par les pouvoirs publics et qui est essentielle. Cette aspiration est incontestablement présente derrière ces revendications.