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La singularité du christianisme comme religion réside dans le paradoxe des paradoxes : Dieu fait homme, l’incarnation. Un Dieu qui grandit neuf mois dans le sein d’une femme, qui naît, qui vit, qui est mis à mort et enseveli dans un tombeau ! Sa résurrection donne naissance à une religion nouvelle, tout à fait étrange dans le monde méditerranéen, qui conserve les textes et des traditions du judaïsme, mais apporte des éléments nouveaux : l’ouverture aux non-Juifs et la conviction d’une présence, vivante, du Fils incarné et ressuscité. Croire en la résurrection des morts a été dès ses débuts un élément essentiel de la foi chrétienne. « Une conviction des chrétiens : la résurrection des morts ; cette croyance nous fait vivre » (Tertullien, res. 1, 1).
Une nouvelle conception de l’homme et de son destin éternel
Le christianisme n’est pas un matérialisme, mais ce n’est pas non plus un idéalisme. C’est dans la difficile jonction, de l’élément matériel, le corps, la chair, et de l’élément spirituel, l’âme que se joue toute la conception chrétienne de l’homme, de sa vie dans le monde — et donc de sa mort. Puisque Dieu fait homme est mort, et puisque tous les hommes sont mortels, la résurrection de ce Dieu-Homme ne peut pas ne pas avoir d’incidence sur notre propre mort. Le Christ s’est lié à tous les hommes en offrant sa vie « pour la multitude » et nous sommes membres de son corps par notre baptême. Pour la question de ceux qui ne sont pas baptisés il faut maintenir deux certitudes : celle du baptême et de la confirmation qui sont ce que Dieu a décidé de nous donner pour participer à sa vie et celle de la tendresse et de la miséricorde de Dieu mort pour tous les hommes.
Dès la première génération, celle des apôtres et des saintes femmes, s’est affirmée la conviction que la mort n’est pas la fin de tout.
Dès la première génération, celle des apôtres et des saintes femmes, s’est affirmée la conviction que la mort n’est pas la fin de tout — une conviction tardive dans le judaïsme, et qui n’était pas partagée par toutes les écoles ou sectes juives. Saint Paul insiste sur cette certitude : « Comment certains d’entre vous peuvent-ils dire qu’il n’y a pas de résurrection des morts ? S’il n’y a pas de résurrection des morts, le Christ non plus n’est pas ressuscité. Mais si le Christ n’est pas ressuscité, alors notre prédication est vide, vide aussi votre foi. […] Mais non, le Christ est ressuscité des morts, prémices de ceux qui se sont endormis » (1 Co 15, 12-14. 20). Il se passe quelque chose après la mort, que le christianisme a perçu comme une vie, différente, mais réelle, et qui, par définition, n’a pas de fin, est éternelle. Une fois la mort franchie, il est difficile d’imaginer une seconde mort — même si certains théologiens y ont pensé, afin d’anéantir les méchants !
Une réalité qui échappe aux sens
Il est difficile d’imaginer la vie éternelle ou d’en parler sur le mode descriptif.Le christianisme n’est pas simpliste — et la rigueur des textes et des enseignements qui en ont été tirés contraste avec la foisonnante imagination de nombreuses sectes, juives et chrétiennes, des premiers siècles ! Nous savons bien que le corps biologique se décompose — et nous croyons que quelque chose, que nous appelons l’âme — faute de mieux ! — demeure, une âme individuelle, singulière, celle de Jean, de Paul ou de Martine. À partir de là, tout discours, tout raisonnement ne peut guère être descriptif, car nous parlons de choses, de réalités, qui échappent aux sens et défient donc la description. Nous pouvons dire que « la vie éternelle est comme celle-ci, en infiniment mieux » ! On ne peut guère en dire davantage.
Que se passe-t-il à la mort ?
Les théologiens ont été plus bavards — c’est leur métier d’essayer d’expliquer l’inexplicable et de faire comprendre l’incompréhensible. Que se passe-t-il à la mort ? La réflexion a longtemps été bloquée par deux verrous : une conception philosophique de l’âme et du corps, héritée des philosophes grecs (Platon) — et une conception du temps venant de la physique. C’est Joseph Ratzinger, comme théologien et comme préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, puis comme pape qui a le mieux balisé cette question débattue — voir son livre, traduit en français en 1979, et souvent réédité La Mort et l’Au-delà (Fayard). Dans la mort, séparation de l’âme et du corps, le corps de l’homme tombe dans la corruption, alors que son âme va à la rencontre de Dieu, tout en demeurant en attente d’être réunie à son corps glorifié. Dieu dans sa Toute-Puissance rendra définitivement la vie incorruptible à nos corps en les unissant à nos âmes, par la vertu de la Résurrection de Jésus » (CEC 997).
La « vie d’après »
Les descriptions matérielles du Paradis sont impossibles mais les analogies fonctionnent mieux.Le Christ a utilisé plusieurs images pour parler du Royaume de Dieu et de la vie auprès de Dieu, qui n’est « pas le Dieu des morts, mais celui des Vivants : tous vivent en effet pour lui » (Mc 12, 27). La foi et l’espérance disparaissent avec la mort et la vision de Dieu, mais la charité demeure et c’est elle qui nourrit la communion des saints que le Christ a présenté par des analogies suggestives, comme un banquet, une fête ou des noces, dans le Royaume de Dieu. Tout cela exprime la joie de la communion et d’un temps où Dieu « aura essuyé toute larme de nos yeux ». Pensez à la liturgie des défunts qui reprend l’Apocalypse.
Les morts vivent dans le Christ
La temporalité du Ciel ne nous est pas accessible, mais les morts vivent dans le Christ.Le dernier jour ne s’identifie pas avec la mort individuelle, et si le « jugement dernier » est précisément le dernier, il ne se produit pas à chaque mort individuelle… Cependant, l’idée d’un sommeil dans la mort, entre la mort individuelle et le jugement dernier ne dispose d’aucune donnée révélée, ne s’appuie sur aucun texte biblique. Les morts vivent dans le Christ, c’est très clair chez saint Paul. Cette vie ne se conçoit dans une rencontre, un dialogue, avec le Christ ressuscité, en Dieu qui « n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants » (Mc 12, 27). Pour faire bref, au risque de simplifier, il y a bien un « jugement » individuel — le jugement dernier confirmant ce jugement individuel et stabilisant le cosmos et la solidarité des hommes.
« Père, la vie éternelle, c’est qu’ils Te connaissent »
Le Catéchisme de l’Église catholique rappelle les paroles de Jésus affirmant “Je suis la Résurrection et la vie” (Jn 11, 25) : « C’est Jésus lui-même qui ressuscitera au dernier jour ceux qui auront cru en lui (cf. Jn 5, 24-25 ; 6, 40) et qui auront mangé son corps et bu son sang (cf. Jn 6, 54) » (CEC, n. 994). Comme le note saint Augustin, l’homme est destiné à la vision béatifique qui est la vraie réponse à ce désir d’infini qui ne peut être totalement comblé par aucune des créatures terrestres : « Tu nous as fait pour Toi et notre cœur est sans repos tant qu’il ne se repose en Toi » (Confessions 1, 1, 1). « Cette vie parfaite avec la Très Sainte Trinité, dit encore le Catéchisme, cette communion de vie et d’amour avec Elle, avec la Vierge Marie, les anges et tous les bienheureux est appelée “le ciel”. Le ciel est la fin ultime et la réalisation des aspirations les plus profondes de l’homme, l’état de bonheur suprême et définitif. Vivre au ciel c’est “être avec le Christ” (cf. Jn 14, 3 ; Ph 1, 23 ; 1 Th 4, 17). Les élus vivent “en Lui”, mais ils y gardent, mieux, ils y trouvent leur vraie identité, leur propre nom (cf. Ap 2, 17)” (CEC, n. 1024-1025).
La révélation fondamentale de la résurrection de la chair
Comme le dit le Catéchisme (n. 996-1000) : « Sur aucun point, la foi chrétienne ne rencontre plus de contradiction que sur la résurrection de la chair » (St Augustin, Psal. 88, 2, 5). Il est très communément accepté qu’après la mort la vie de la personne humaine continue d’une façon spirituelle. Mais comment croire que ce corps si manifestement mortel puisse ressusciter à la vie éternelle ? Qu’est-ce que “ressusciter” ? Dans la mort, séparation de l’âme et du corps, le corps de l’homme tombe dans la corruption, alors que son âme va à la rencontre de Dieu, tout en demeurant en attente d’être réunie à son corps glorifié. Dieu dans sa Toute-Puissance rendra définitivement la vie incorruptible à nos corps en les unissant à nos âmes, par la vertu de la Résurrection de Jésus. »Comment le Christ a-t-il ressuscité ? Avec son propre corps : « Regardez mes mains et mes pieds : c’est bien moi » (Lc 24, 39). Mais « Il n’est pas revenu à une vie terrestre. De même, en Lui, “tous ressusciteront avec leur propre corps, qu’ils ont maintenant” (Cc. Latran IV : DS 801), mais ce corps sera “transfiguré en corps de gloire” (Ph 3, 21), en “corps spirituel” (1 Co 15, 44)… Ce “comment” dépasse notre imagination et notre entendement ; il n’est accessible que dans la foi ».
L’espérance en un univers mystérieusement renouvelé
Comme l’enseigne encore le Catéchisme (n. 1042-1044), “à la fin des temps, le Royaume de Dieu arrivera à sa plénitude. Après le jugement universel, les justes régneront pour toujours avec le Christ, glorifiés en corps et en âme, et l’univers lui-même sera renouvelé. Cette rénovation mystérieuse, qui transformera l’humanité et le monde, la Sainte Écriture l’appelle “les cieux nouveaux et la terre nouvelle” (2 P 3, 13 ; cf. Ap 21, 1). Ce sera la réalisation définitive du dessein de Dieu de “ramener toutes choses sous un seul Chef, le Christ, les êtres célestes comme les terrestres” (Ep 1, 10). Dans cet “univers nouveau” (Ap 21, 5), la Jérusalem céleste, Dieu aura sa demeure parmi les hommes. “Il essuiera toute larme de leurs yeux ; de mort, il n’y en aura plus ; de pleur, de cri et de peine, il n’y en aura plus, car l’ancien monde s’en est allé” (Ap 21, 4 ; cf. 21, 27) ».
Et le Purgatoire ?
Le Purgatoire ne doit pas non plus être imaginé en termes de temporalité. On comprend certainement bien le Paradis — la vision de Dieu qui devrait suffire, étant infinie, pour l’éternité ! Mais on s’émeut de l’enfer et on ne comprend pas bien le purgatoire. Pour celui-ci la réponse est la plus facile — sans parler d’une durée, d’une temporalité humaine ou astronomique, notre fragilité humaine — et notre solidarité nous conduit à passer par une purification pour voir Dieu et devenir Celui que nous contemplons. Il ne s’agit pas ici, répétons-le, de durée, toute durée humaine étant nulle devant l’éternité divine !
L’enfer est nécessairement solitude
L’enfer est plus difficile à envisager — car nous savons bien que la miséricorde de Dieu est infinie, et qu’elle couvre tous les péchés… Il reste que cette miséricorde ne force personne, ne réduit personne à l’esclavage du pardon. La liberté de l’homme reste entière dans le mal et le péché — une liberté certes fragile et abîmée, mais qui est quand même capable de poser des actions libres. Dieu, dit Augustin, veut tout donner, mais il ne donne qu’à celui qui demande pour ne pas donner à qui ne pourrait pas recevoir, non dat ne petenti ne det non capienti, quelqu’un qui n’aurait pas la capacité pour recevoir les dons, qui ne s’ouvrirait pas au don de miséricorde que Dieu offre.L’enfer, c’est le refus du pardon et de la miséricorde, c’est se condamner soi-même. Qui peut agir de la sorte ? Nous n’en savons rien, mais nous savons qu’il y a bien des moments de sa propre vie où nous avons refusé l’amour que Dieu nous porte — et c’est précisément cela l’enfer. Alors, qui peut bien s’y trouver ? Laissons tomber les imageries pieuses ou poétiques. Des saints et saintes s’y sont parfois vu, tout seuls, car l’enfer est nécessairement solitude. On parle beaucoup de l’enfer, eh oui, il existe ! mais la seule chose qu’on ne sait pas, c’est s’il y a quelqu’un dedans. La seule chose dont on soit certain, c’est qu’on peut s’y trouver et que c’est l’inverse de la communion du Paradis.
Heureux au Paradis quand d’autres sont malheureux en enfer ?
Comment imaginer que Dieu, avec son amour infini, puisse se contenter des gens qui sont au paradis et ne pas attendre ceux qui sont en enfer ? Dieu ne peut pas aller contre cette liberté perverse, mais ne pourrait-il attendre, une attente infinie jusqu’au bout ? Pourtant le Catéchisme est clair (n. 1035-1037) : “L’enseignement de l’Église affirme l’existence de l’enfer et son éternité. Les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel descendent immédiatement après la mort dans les enfers, où elles souffrent les peines de l’enfer, “le feu éternel” (cf. DS 76 ; 409 ; 411 ; 801 ; 858 ; 1002 ; 1351 ; 1575 ; SPF 12). La peine principale de l’enfer consiste en la séparation éternelle d’avec Dieu en qui seul l’homme peut avoir la vie et le bonheur pour lesquels il a été créé et auxquels il aspire.”
Un appel à la responsabilité et à la conversion
« Les affirmations de la Sainte Écriture et les enseignements de l’Église au sujet de l’enfer, poursuit le Catéchisme, sont un appel à la responsabilité avec laquelle l’homme doit user de sa liberté en vue de son destin éternel. Elles constituent en même temps un appel pressant à la conversion : “Entrez par la porte étroite. Car large et spacieux est le chemin qui mène à la perdition, et il en est beaucoup qui le prennent ; mais étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la Vie, et il en est peu qui le trouvent” (Mt 7, 13-14). Dieu ne prédestine personne à aller en enfer (cf. DS 397 ; 1567) ; il faut pour cela une aversion volontaire de Dieu (un péché mortel), et y persister jusqu’à la fin. Dans la liturgie eucharistique et dans les prières quotidiennes de ses fidèles, l’Église implore la miséricorde de Dieu, qui veut “que personne ne périsse, mais que tous arrivent au repentir” (2 P 3, 9) » (CEC, 1035-1036).
Les fins dernières sont des vérités essentielles
Pendant longtemps, on parlait beaucoup des « fins dernières », comme on disait dans les prédications et les retraites — on en parle moins aujourd’hui. Cette réserve est bonne au sens où on a dit beaucoup de sottises à ce sujet, mais c’est mal parce qu’il s’agit de vérités essentielles au salut. Et les papes n’ont pas manqué de rappeler cet enseignement, en particulier le pape François. Rappelons juste ce que disait Thérèse de Lisieux, à propos de personnes tout attentives à vivre la perfection chrétienne : « Il leur faut, pour éviter l’offense de Dieu et se garder du péché, considérer que tout finit, qu’il y a un ciel et un enfer, s’attacher enfin à des vérités de ce genre. »