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Ô Oriens, splendor lucis aeternae, et sol iustitiae : veni, et illumina sedentes in tenebris et umbra mortis —
“Ô Orient, splendeur de la Lumière éternelle, et soleil de Justice, viens illuminer ceux qui sont assis dans les ténèbres et l’ombre de la mort.”
Le bâtisseur du Temple nouveau
La cinquième antienne Ô invoque le Christ sous le titre “Orient”. C’est un titre messianique qui réfère Jésus à la réalisation d’un oracle de Zacharie :
“Voici un homme dont le nom est Germe [Oriens dans la Vulgate] ; là où il est, quelque chose va germer et il reconstruira le sanctuaire de YHVH. C’est lui qui reconstruira le sanctuaire de YHVH, c’est lui qui portera les insignes royaux. Il siégera sur son trône en dominateur” (Za 6, 12-13).
Celui dont le nom est Orient sera le bâtisseur du Temple nouveau (après sa destruction au moment de la déportation à Babylone), et cela lui méritera la royauté sur Israël. C’est donc vers le culte régénéré du Temple nouveau, et vers le sacerdoce royal du Christ, que ce titre oriente l’antienne, avec une dimension messianique évidente. Mais le titre est plus riche de significations encore, qui réfère traditionnellement à l’Éden, donc à une humanité naissante : le Christ vient faire toutes choses nouvelles, restaurer l’humanité et l’univers dans leur splendeur première. Il y a aussi en filigrane la figure de Job, le juste souffrant, dont le texte précise qu’il est d’Orient, donc figure du Messie.
Le jour du solstice
Il n’est pas anodin que le Christ soit invoqué comme splendeur de la lumière éternelle et soleil de justice précisément le 21 décembre. C’est le solstice, jour le plus court et le plus sombre de l’année. La liturgie épouse le rythme de la nature pour nous faire désirer le Christ, “lumière née de la lumière”, qui vient rompre l’avancée de la nuit et établir son jour.
Ce faisant, le Christ accomplit les prophéties : “Pour vous qui craignez mon Nom, le soleil de justice brillera, avec la guérison dans ses rayons” (Ml 3, 20) ; “Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière, sur les habitants du sombre pays, une lumière a resplendi” (Is 9, 1, repris en Mt 4, 16). Il est en sa personne l’Israël nouveau entrevu par Isaïe. “Je fais de toi la lumière des nations pour que mon salut atteigne aux extrémités de la terre” (Is 49, 6).
Cette lumière que le Christ apporte en sa personne est une lumière définitive, qui rend superflues les faibles lumières humaines (du paganisme, de la philosophie, etc.) et suffit à éclairer dans le Royaume qu’il vient instaurer :
“De Temple, je n’en vis point en elle [la Jérusalem céleste] ; c’est que le Seigneur, le Dieu Maître-de-tout, est son Temple, ainsi que l’Agneau. La ville peut se passer de l’éclat du soleil et de celui de la lune, car la gloire de Dieu l’a illuminée, et l’Agneau lui tient lieu de flambeau. Les nations marcheront à sa lumière, et les rois de la terre viendront lui porter leurs trésors” (Ap 21, 22-24).
Ce passage de l’Apocalypse condense d’ailleurs l’intégralité des thèmes de l’antienne. Le Temple nouveau et son culte, le messie souffrant dans la figure de l’Agneau, et le Christ-lumière et soleil de justice qui vient éclairer définitivement les nations.
Soleil de justice
Le titre de “soleil de justice”, issu d’un oracle de Malachie, est déterminant. Le Christ vient apporter la justice sur la terre en faisant la lumière sur les situations troubles. La justice consiste à rendre à chacun ce qui lui est dû. Et le Jugement dernier prononcé par le Christ n’échappe pas à cette définition. Les chrétiens d’aujourd’hui insistent, avec raison, sur la miséricorde de Dieu.
Mais cette miséricorde ne supprime pas la justice, et les opprimés qui crient pour la justice seraient scandalisés à bon droit si la justice de Dieu ne punissait pas les méchants. L’Ancien Testament, avec les excès d’une mentalité encore marquée par la loi du Talion, vient nous rappeler l’exigence légitime de la justice, et l’espérance que le Christ vienne pour mettre un terme à l’injustice qui semble caractériser notre monde. L’instinct de justice, si fort chez les enfants, prompts à s’enflammer dès lors qu’ils s’estiment victimes d’injustice, est un instinct de vérité sur les situations, et les enfants de Dieu aspirent à la venue du soleil de justice eux-aussi, bien ue cette justice soit transfigurée par la miséricorde :
“Grâce aux sentiments de miséricorde de notre Dieu, dans lesquels nous a visités l’Astre d’en haut” (Lc 1, 78).
Le thème du Christ soleil de justice fait écho au thème du mysterium lunæ (mystère de la lune). Chez les Pères de l’Église, la Vierge Marie, l’Église et l’âme humaine sont autant de lunes qui reflètent la lumière du soleil qu’est le Christ. La lune n’émet aucune lumière par elle-même, mais dans la nuit, elle éclaire en vertu de la lumière qu’elle reçoit tout entière du soleil. De même, la Vierge Marie, l’Église, et l’âme humaine, se reçoivent entièrement du Christ, ne sont capables de rien par elles-mêmes. Mais elles éclairent toutes choses pour peu qu’elles veuillent bien avoir l’humilité de n’être qu’un reflet. C’est toute la coopération humaine à la volonté de Dieu de s’associer des médiations dans l’accomplissement de son dessein qui sont en jeu dans ce mystère des relations entre le soleil et la lune.
En germe dans la crèche
La participation humaine au dessein de lumière du Christ est la garantie de la paix qu’il vient apporter, lui qui vient “pour illuminer ceux qui demeurent dans les ténèbres et l’ombre de la mort, afin de guider nos pas dans le chemin de la paix” (Lc 1, 79). L’ombre de la mort est dissipée, toute chose apparaît sous son jour véritable, lorsque le Messie souffrant, prêtre du culte du Temple nouveau qui est son corps, opère le sacrifice de la Croix. C’est cela qui est en germe (le terme hébreu que le latin traduit par oriens) dans le nouveau-né de la Crèche, environné des rayons que la paille de la mangeoire forme autour de sa chair encore intacte. C’est l’objet de notre supplication au jour le plus sombre de l’année.
Pour en savoir plus : Angelicum.