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Nous sommes à Rome, probablement en décembre 303. Dioclétien qui, d’ordinaire, réside dans sa capitale orientale de Nicomédie, séjourne alors dans la Ville. Depuis le début de l’année, cédant aux pressions politiques de son gendre et successeur désigné, Galère, le vieux souverain qui, jusqu’alors, leur était favorable, s’est laissé convaincre que les chrétiens représentaient un danger pour l’empire et a déclenché contre eux une persécution générale d’une violence et d’une cruauté inédites.
Plusieurs de ses conseillers et amis intimes, baptisés, ont été martyrisés ; Dioclétien n’en est pas très fier. Quelqu’un, dans son entourage immédiat, le sait : le tribun Sébastien, commandant l’une des cohortes en charge de la protection rapprochée du Prince. Né d’un père milanais et d’une mère narbonnaise, saint Sébastien est chrétien, et n’en fait pas mystère. Malgré la persécution, il continue d’évangéliser ses camarades. Il visite dans leur geôle ses coreligionnaires emprisonnés et donne une sépulture aux martyrs. Pourtant, il n’a pas été inquiété. Cela ne va pas durer.
Le supplice des flèches
Que s’est-il passé exactement ? Nous l’ignorons car sa Passion, telle qu’elle nous est parvenue, est tardive et peu fiable. Il est cependant possible d’y retrouver au moins la trame de son histoire. En décembre 303, Sébastien est à son tour arrêté. A-t-il, comme le raconte sa légende, cru pouvoir intercéder auprès de Dioclétien, malade de remords, en faveur des chrétiens persécutés ? En ce cas, son intervention est vaine, et le voue à un supplice particulièrement horrible. Des archers le cribleront de flèches mais en veillant à ne pas atteindre un organe vital, de sorte que le martyr endurera les souffrances de chaque blessure et succombera lentement d’hémorragie.
La sentence est exécutée mais, au bout d’un moment, lassés de l’exercice ou trompés par une syncope de leur victime, les bourreaux se retirent, laissant Sébastien pour mort. Selon l’usage des communautés, une veuve chrétienne, Irène, qui a assisté de loin à la scène, vient alors rendre les derniers devoirs au supplicié. Elle s’aperçoit alors qu’il vit encore. Elle parvient à le transporter chez elle, le soigne, le guérit.
Mort en martyr
Privé de la palme et de la couronne du martyre qu’il pensait avoir gagnées, Sébastien attend l’occasion de les reconquérir. Sitôt sur pied, le 20 janvier 304, le jeune officier, au lieu de se mettre à l’abri, se présente au palais impérial où sa présence frappe de stupeur. Ses anciens soldats, accourus, vont le matraquer à mort puis jeter son cadavre dans les égouts où d’autres chrétiens parviendront à le récupérer avant de l’enterrer, preuve de l’admiration aussitôt vouée au martyr, dans une petite catacombe où, l’année précédente, afin de les préserver des persécuteurs, le pape Marcellin a fait transférer les reliques des apôtres Pierre et Paul. Plus tard, cette catacombe, l’une des plus belles de Rome, prendra le nom de Saint-Sébastien. Mais d’où Sébastien, martyr militaire parmi d’autres, tire-t-il sa popularité et sa réputation de conjurer les épidémies ? De son premier supplice.
Nouvel Apollon
Dans l’Antiquité, Homère le raconte au début de l’Iliade, l’on croit que les pestes, mot générique qui désigne toute maladie contagieuse provoquant de fortes mortalités, sont envoyées par les dieux afin de châtier l’humanité de ses fautes. Lorsque Zeus décide de déclencher une épidémie, il charge son fils Apollon, le dieu solaire, souvent représenté sous les traits d’un archer, de décocher ses flèches sur les habitants de la ville concernée et ses traits portent maladie et mort dans la population. Il convient de le prier pour l’apaiser et mettre un terme au fléau.
Après la publication de l’édit de Milan, en 313, tandis que l’empire romain se christianise, l’Église, afin de détacher les gens du culte d’Apollon, lui substitue saint Sébastien. Lui n’a pas décoché les flèches mortelles, il les a reçues et Dieu l’en a guéri. Il est donc apte à obtenir du Ciel la guérison des malades, la fin de l’épidémie, ou la préservation de ceux qui l’invoquent.
Cessation de l’épidémie après un vœu fait au martyr
Lorsque la peste, la vraie, celle propagée par les puces de rats, s’abat sur l’Occident au VIe siècle, puis surtout au XIVe lors de la terrible épidémie qui tuera au moins le tiers de la population européenne, saint Sébastien devient, avec Notre-Dame, secours suprême, le seul réputé capable d’arrêter le mal. On ne cesse de le prier, souvent avec succès.En effet, nombre de chroniques font état de la cessation de l’épidémie après un vœu fait au martyr. Un vœu concrétisé par la réalisation d’une statue ou d’un tableau à son effigie, souvent aussi par l’instauration d’une fête commémorative.
L’éradication de la peste qui, après celle de Marseille, en 1720, disparaît quasiment d’Europe, les progrès de la médecine et de la prophylaxie qui incitent à faire confiance à la science plutôt qu’aux intercesseurs célestes, la déchristianisation de nos sociétés vont peu à peu faire oublier la confiance de nos ancêtres en Sébastien.
Anne Bernet, Les Chrétiens dans l’empire romain, des persécutions à la conversion, Tempus Tallandier.
Odile Haumonté, Sébastien, le saint percé de flèches, Téqui.
Cardinal Wiseman Fabiola, Nombreuses éditions.