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Un an depuis le début du premier confinement et de l’entrée du virus dans nos vies quotidiennes. Pas un anniversaire, encore moins une commémoration. Pas même un bilan, qui sent trop le dépôt. Seulement un exercice de carême, tiré d’une crise qui peut nous arracher un peu à nos mille divertissements et nous amener à regarder la mort. L’exercice est périlleux : vouloir tirer les leçons d’une épidémie fait courir le risque de jouer à Philippulus, l’illuminé de L’Étoile mystérieuse d’Hergé : « La fin du monde est proche ! Tout le monde va périr ! Et les survivants mourront de faim et de froid !… Et ils auront la peste, la rougeole et le choléra !… » À la suite de Tintin, mettons le faux prophète à la porte. Préférons les mots de Bossuet, dont l’autorité est plus sûre, tant pour la fidélité à l’Évangile que pour l’éloquence.
Ne pas se dérober au spectacle de la mort
Dans son Sermon sur la mort, Bossuet invite à regarder tout cadavre comme le Christ regardait Lazare. Sa méditation prend sa source dans les mots adressés à Jésus s’approchant du corps étendu de son ami : Domine, veni et vide. « Seigneur, venez et voyez » (Jn, XI, 34). Telle est sa première leçon de prédicateur du carême 1662 au Louvre : le chrétien n’a pas à se dérober au spectacle de la mort, du moment qu’il le fait avec son Sauveur. Le sermon vise à désaveugler. C’est une parole qui ouvre les yeux clos : « C’est une étrange faiblesse de l’esprit humain, note Bossuet, que jamais la mort ne lui soit présente, quoi qu’elle se mette en vue de tous côtés, et en mille formes diverses. » Texte poussiéreux, du temps où il y avait encore des jansénistes en France ? Qu’on écoute la suite : « On n’entend dans les funérailles que des paroles d’étonnement de ce que ce mortel est mort. Chacun rappelle en son souvenir depuis quel temps il lui a parlé, et de quoi le défunt l’a entretenu ; et tout d’un coup il est mort. » Rien de nouveau sous le soleil. L’évêque du XVIIe siècle semble avoir assisté à la sortie de l’enterrement d’une victime du coronavirus.
La leçon précieuse de Bossuet est que « toutes les pensées de la mort » ne peuvent être correctement méditées qu’avec Jésus-Christ sur le tombeau de Lazare.
Au-delà de ce rapprochement piquant, la leçon précieuse de Bossuet est que « toutes les pensées de la mort » ne peuvent être correctement méditées qu’« avec Jésus-Christ sur le tombeau de Lazare ». Un an après le début du premier confinement, peut-être n’y a-t-il pas d’autres leçons à tirer que cette vérité aussi évidente que facilement oubliée : les mortels meurent. Et peut-être un chrétien n’a-t-il qu’une chose à ajouter : le Christ est penché sur chacun de nos tombeaux. Il pleure avec les hommes pour diviniser leurs larmes, au point d’en faire le prélude de la résurrection.
La foi et les larmes
Alain Finkielkraut cite volontiers la fin du Sermon sur la mort : « Si cette maison de terre et de boue, dans laquelle nous habitons, est détruite, nous avons une autre maison qui nous est préparée. » Il admire l’éloquence de l’orateur, mais rejette la foi du catholique. Il affirme même ricaner intérieurement devant les mots des endeuillés qui ont « la tristesse de faire part du retour à Dieu » du défunt. Contradiction, sourit Finkielkraut : pourquoi est-ce triste, si la mort est un retour à Dieu ? Le tombeau de Lazare du début du sermon pourrait pourtant lui rappeler que la foi ne dispense pas des larmes et de la tristesse, mais qu’elle leur donne sens.
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Plus personne ne croit en la vie éternelle, proclame Finkielkraut, réclamant sans cesse une espérance aux croyants qu’il invite dans son émission Répliques. Plus personne n’y croit, même parmi les chrétiens, assure-t-il. Peut-être ne connaît-il pas assez de disciples du Christ. Peut-être aussi n’a-t-il pas vraiment envie d’y croire. Le philosophe qui n’a trouvé la foi ni chez Pascal ni chez Péguy ne la trouvera sans doute nulle part, tant qu’il ne se sera pas mis à genoux pour la demander ou qu’il ne sera pas parti implorer l’aide de Notre-Dame sur les routes de Chartres. Prenons tout de même sa remarque au sérieux, comme un sermon athée sur la mort, qui exige réponse.
La surprise de la vie
Cette réponse est toujours la même et n’est pas rhétoriquement opposable, car elle est une personne plus qu’un discours. Ou plutôt, elle est le seul discours qui fasse entièrement corps avec celui qui le prononce. Il n’y a pas de réponse éloquente satisfaisante à faire au désespéré qui n’a d’autre bilan d’une épidémie qu’un nombre de morts à commenter. La seule réponse est d’un autre ordre que toutes les statistiques. La seule réponse s’est penchée sur le tombeau de Lazare et elle a pleuré. Ensuite seulement, elle a prononcé les mots qui rendent à la vie.
Les hommes sont surpris de mourir, écrivait Henri Bosco, parce qu’ils ne sont pas assez surpris de vivre.
À l’étonnement des funérailles évoqué par Bossuet, il faudrait parfois substituer l’étonnement des naissances. Non pas s’étonner de ce que ce mortel est mort, mais de ce que ce vivant soit en vie. Les hommes sont surpris de mourir, écrivait Henri Bosco, parce qu’ils ne sont pas assez surpris de vivre. Qui, parmi les surinformés que nous sommes, est capable de dire combien d’enfants sont nés dans le monde depuis un an ? Qui, plus encore, est capable de voir dans ces naissances une bonne nouvelle ? Qui, surtout, témoignera qu’il n’y a pas, comme le disait Bernanos, un royaume des vivants et un royaume des morts, mais qu’il n’y a que le Royaume de Dieu et que, vivants ou morts, nous sommes tous dedans. La fin du monde est proche, crie Philippulus. Peut-être, lui répond le prophète qui préfère les mots de l’Évangile, mais « le Royaume de Dieu est au milieu de vous ». Il l’est au moins depuis qu’une larme divine tomba sur le corps étendu de Lazare.
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