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Méditation de carême : “Jésus est-il une personne ou un personnage pour moi ?”

FATHER RANIERO CANTALAMESSA

Antoine Mekary | ALETEIA

P. Raniero Cantalamessa, ofmcap - publié le 26/03/21

Prédicateur de la Maison pontificale, le père capucin Raniero Cantalamessa a prononcé ce vendredi 26 mars la quatrième méditation du temps de carême.


Les Actes des Apôtres relatent l’épisode suivant. À l’arrivée du roi Agrippa à Césarée, le gouverneur Festus lui présenta le cas de Paul, détenu auprès de lui, dans l’attente de son procès. Il résume l’affaire au roi par ces mots : « Ses accusateurs […] avaient avec lui certains débats au sujet de leur propre religion, et au sujet d’un certain Jésus qui est mort, mais que Paul affirmait être en vie » (Ac 25, 18-19). C’est dans ce détail, en apparence si secondaire, que se résume l’histoire des vingt siècles qui ont suivi ce moment. Tout tourne encore autour « d’un certain Jésus » que le monde considère comme mort et que l’Eglise proclame vivant. 

C’est ce que nous nous proposons d’approfondir dans cette dernière méditation, à savoir que Jésus de Nazareth est vivant ! Il n’est pas un souvenir du passé, il n’est pas seulement un personnage, mais une personne. Il vit « selon l’Esprit », bien sûr, mais c’est une façon de vivre plus forte que « selon la chair » car elle lui permet de vivre en nous, et non pas à l’extérieur ou à côté de nous. 

Dans notre examen du dogme, nous sommes arrivés au nœud qui relie les deux extrémités. Jésus « vrai homme » et Jésus « vrai Dieu » – ai-je dit au début – sont comme les deux côtés d’un triangle dont le sommet est Jésus « une personne ». Rappelons à grands traits comment s’est formé le dogme de l’unité de la personne du Christ. La formule « une personne » appliquée au Christ remonte à Tertullien, mais il a fallu plus de deux siècles de réflexion pour comprendre ce qu’elle signifiait réellement et comment elle pouvait se concilier avec l’affirmation que Jésus était vrai homme et vrai Dieu, c’est-à-dire « en deux natures ». 

Une étape fondamentale fut le Concile d’Ephèse en 431, au cours duquel on définit le titre de Marie Theotokos, Mère de Dieu. Si on peut appeler Marie « Mère de Dieu », même si elle n’a donné naissance qu’à la nature humaine de Jésus, cela signifie qu’en lui humanité et divinité forment une seule personne. L’objectif définitif ne fut cependant atteint qu’au Concile de Chalcédoine de 451, avec la formule dont nous rapportons à nouveau la partie relative à l’unité du Christ :

À la suite des saints Pères, nous enseignons unanimement à confesser  
un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, […] 
les propriétés de chacune [nature] sont sauvegardées et réunies en une seule personne et une seule hypostase.

S’il fallut un siècle pour que la définition de Nicée fût pleinement reçue, il a fallu tous les siècles suivants pour la réception complète de cette autre définition, jusqu’à nos jours. Ce n’est que grâce au récent climat de dialogue œcuménique qu’il a été possible de rétablir la communion entre l’Église orthodoxe et les Églises dites nestoriennes et monophysites de l’Orient chrétien. On a pris note que dans la majorité des cas, il s’agissait d’une différence de terminologie et non de doctrine. Tout dépendait de la signification différente donnée aux deux termes « nature » et « personne » ou « hypostase ».

De l’adjectif « une » au nom « personne »

Après avoir sécurisé son contenu ontologique et objectif, là encore pour revitaliser le dogme, il faut maintenant mettre en évidence sa dimension subjective et existentielle. Saint Grégoire le Grand disait que l’Écriture « grandit avec ceux qui la lisent » (cum legentibus crescit). Nous devons en dire autant des dogmes. C’est une « structure ouverte » ; il grandit et s’enrichit dans la mesure où l’Église, guidée par l’Esprit saint, se trouve à vivre de nouvelles problématiques et dans de nouvelles cultures. 

Le dogme de l’unique personne du Christ est aussi une « structure ouverte », c’est-à-dire capable de nous parler aujourd’hui, de répondre aux nouveaux besoins de la foi

Saint Irénée l’avait dit avec une prescience singulière vers la fin du IIe siècle. La vérité révélée, écrivait le saint, est « comme une liqueur précieuse contenue dans une carafe de valeur. Par l’action du Saint-Esprit, elle [la vérité] rajeunit toujours et fait rajeunir également la carafe qui la contient ». L’Église est capable de lire les Écritures et les dogmes d’une manière toujours nouvelle, parce qu’elle est elle-même toujours renouvelée par l’Esprit saint ! C’est le grand secret, très simple, qui explique la jeunesse pérenne de la Tradition et, par conséquent, des dogmes qui en sont la plus haute expression. 

Le dogme de l’unique personne du Christ est aussi une « structure ouverte », c’est-à-dire capable de nous parler aujourd’hui, de répondre aux nouveaux besoins de la foi, qui ne sont plus les mêmes qu’au cinquième siècle. Aujourd’hui, personne ne nie que le Christ soit « une seule personne ». Certains – nous l’avons vu précédemment – nient qu’il soit une personne « divine », préférant dire qu’il est une personne « humaine » dans laquelle Dieu habite, ou œuvre, d’une manière unique et sublime. Mais l’unité même de la personne du Christ, je le répète, n’est contestée par personne. 

Le plus important aujourd’hui, à propos du dogme selon lequel le Christ est « une personne », n’est pas tant l’adjectif « une » que le substantif « personne ». Pas tant le fait qu’il soit « un et identique à lui-même » (unus et idem), mais qu’il soit « personne ». Cela signifie découvrir et proclamer que Jésus-Christ n’est pas une idée, un problème historique, ni même un simple personnage, mais une personne et une personne vivante ! C’est en fait ce qui manque et ce dont nous avons grandement besoin pour ne pas laisser le christianisme se réduire à une idéologie, ou simplement à une théologie.  

Nous nous sommes proposé de revitaliser le dogme, en partant de sa base biblique. Tournons-nous donc immédiatement vers les Écritures. Partons de la page du Nouveau Testament qui nous parle de la plus célèbre « rencontre personnelle » avec le Ressuscité qui ait jamais eu lieu sur la surface de la terre, celle de l’Apôtre Paul. « Saul, Saul, pourquoi me persécuter ? » « Qui es-tu, Seigneur ? » « Je suis Jésus. » (Ac 9, 4-5) Quelle illumination ! Vingt siècles après, cette lumière continue d’illuminer l’Église et le monde. Mais écoutons comment il décrit lui-même cette rencontre :

« Mais tous ces avantages quej’avais [circoncis à huit jours, de la race d’Israël, pharisien, irréprochable] je les ai considérés, à cause du Christ, comme une perte. Oui, je considère tout cela comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. À cause de lui, j’ai tout perdu ; je considère tout comme des ordures, afin de gagner un seul avantage, le Christ, et, en lui, d’être reconnu juste, non pas de la justice venant de la loi de Moïse mais de celle qui vient de la foi au Christ, la justice venant de Dieu, qui est fondée sur la foi. Il s’agit pour moi de connaître le Christ » (Ph 3, 7-10).

C’est presque en rougissant que j’ose aborder l’expérience flamboyante de Paul avec ma toute petite expérience. Mais c’est précisément Paul qui, avec son récit, nous encourage à faire de même, c’est-à-dire à témoigner de la grâce de Dieu.  En étudiant et en enseignant la christologie, j’avais fait diverses recherches sur l’origine du concept de « personne » en théologie, sur ses définitions et ses différentes interprétations. Je connaissais les discussions interminables sur la personne unique ou hypostase du Christ à l’époque byzantine, les développements modernes sur la dimension psychologique de la personne, avec le problème conséquent du « moi » du Christ, si débattu lorsque j’étudiais la théologie. Dans un sens, je savais tout sur la personne de Jésus, mais je ne connaissais pas Jésus en personne !

Ce fut justement cette parole de Paul qui m’aida à comprendre la différence. Surtout la phrase : « Il s’agit pour moi de le connaître ». Il m’a semblé que ce simple pronom « le » (auton) contenait plus de vérité sur Jésus que des traités entiers de christologie. « Le » signifie Jésus-Christ « en chair et en os ». C’était comme lorsque l’on rencontre une personne vivante que jusque-là on ne connaissait qu’en photo depuis des années. J’ai réalisé que je connaissais des livres sur Jésus, des doctrines, des hérésies sur Jésus, des concepts sur Jésus, mais que je ne le connaissais pas, lui, personne vivante et actuelle. Du moins, je ne le connaissais pas ainsi quand je m’en approchais par l’étude de l’histoire et de la théologie. J’avais jusque-là une connaissance impersonnelle de la personne du Christ. Une contradiction et un paradoxe, mais hélas, tellement fréquents ! 

Être personne, c’est être-en-relation

En réfléchissant au concept de personne dans le contexte de la Trinité, saint Augustin et après lui saint Thomas d’Aquin sont arrivés à la conclusion que « personne », en Dieu, signifie relation. Le Père est ce qu’il est en raison de sa relation au Fils ; tout son être consiste en cette relation, tout comme le Fils est ce qu’il est en raison de sa relation au Père. La pensée moderne a confirmé cette intuition. « La vraie personnalité », écrivait le philosophe Hegel, « consiste à se retrouver en s’immergeant dans l’autre ». La personne est une personne dans l’acte où elle s’ouvre à un « vous » et dans cette confrontation acquiert une conscience de soi. Être une personne, c’est « être-en-relation ». 

C’est éminemment vrai pour les personnes divines de la Trinité, qui sont « pures relations », ou comme on dit en théologie, « relations subsistantes » ; mais c’est également vrai pour toute personne dans la sphère créée. On ne connaît une personne dans sa réalité que si on entre en « relation » avec elle. C’est pour cela qu’on ne peut connaître Jésus en tant que personne, sauf en entrant dans une relation personnelle, de moi à toi, avec lui. « L’objet de la foi n’est donc pas une vérité à énoncer, mais une réalité », disait saint Thomas d’Aquin. Nous ne pouvons pas nous contenter de croire à la formule « une personne » ; nous devons rejoindre la personne elle-même et, par la foi et la prière, la « toucher ». 

Nous devons nous poser une question sérieuse : Jésus est-il pour moi une personne, ou seulement un personnage ? Il y a une grande différence entre les deux. Un personnage – comme Jules César, Léonard de Vinci, Napoléon – est quelqu’un dont on peut parler et sur lequel on peut écrire autant qu’on veut, mais à qui et avec qui il est impossible de parler. Malheureusement, pour la grande majorité des chrétiens, Jésus est un personnage et non une personne. Il fait l’objet d’un ensemble de dogmes, de doctrines ou d’hérésies ; il est celui dont nous célébrons la mémoire dans la liturgie, que nous croyons réellement présent dans l’Eucharistie, quoi qu’on en dise. Mais si nous restons sur le plan de la foi objective, sans développer une relation existentielle avec lui, il reste extérieur à nous, il touche notre esprit, mais ne réchauffe pas notre cœur. Il reste, malgré tout, dans le passé ; il y a entre lui et nous, inconsciemment, une distance de vingt siècles. Dans ce contexte, nous comprenons le sens et l’importance de l’invitation que le pape François a placée au début de son exhortation apostolique Evangelii Gaudium

« J’invite chaque chrétien, en quelque lieu et situation où il se trouve, à renouveler aujourd’hui même sa rencontre personnelle avec Jésus Christ ou, au moins, à prendre la décision de se laisser rencontrer par lui, de le chercher chaque jour sans cesse. Il n’y a pas de motif pour lequel quelqu’un puisse penser que cette invitation n’est pas pour lui » (EG, 3). 

Dans la vie de la plupart des gens, il y a un événement qui divise la vie en deux parties, créant un avant et un après. Pour les personnes mariées, c’est le mariage et elles divisent leur vie de cette manière : « avant que je ne me marie » et « après mon mariage » ; pour les évêques et les prêtres, il s’agit de la consécration épiscopale ou de l’ordination sacerdotale ; pour les consacrés, il s’agit de la profession religieuse. Du point de vue spirituel, il y a un unique événement qui crée vraiment pour chacun un avant et un après. La vie de chaque personne se divise exactement comme l’histoire universelle se divise : « avant le Christ » et « après le Christ », avant la rencontre personnelle avec le Christ et après cette rencontre.

Nous pouvons entrevoir cette rencontre, en entendre parler, la désirer, mais il n’y a qu’un seul moyen pour la vivre. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut obtenir en lisant des livres ou en écoutant une prédication. Rien que par l’œuvre du Saint-Esprit ! Nous savons donc à qui nous devons le demander, et nous savons qu’il attend que nous le lui demandions… Per te sciamus da Patrem, noscamus atque Filium : « Fais-nous connaître le Père, et fais-nous connaître aussi le Fils. » Puissions-nous le connaître de cette connaissance intime et personnelle qui change la vie.

Le Christ, personne « divine »

Mais nous devons faire un pas de plus. Si nous nous arrêtions là, nous perdrions la révélation la plus consolante contenue dans le dogme du Christ « personne » et « personne divine ». Nous ne serons jamais assez reconnaissants envers l’Église primitive qui s’est battue, parfois littéralement jusqu’au sang, pour maintenir la vérité que le Christ est « une seule personne » et que cette personne n’est autre que le Fils éternel de Dieu, l’une des trois personnes de la Trinité. Essayons de comprendre pourquoi.

La contribution la plus fructueuse et la plus durable de saint Augustin à la théologie est d’avoir fondé le dogme de la Trinité sur l’affirmation johannique « Dieu est amour » (1 Jn 4, 8). Tout amour implique un amant, un aimé et un amour qui les unit, et c’est ainsi qu’il définit les trois personnes divines : le Père est celui qui aime, le Fils est l’aimé, et le Saint-Esprit, l’amour qui les unit. 

Qui Dieu aime-t-il, pour être défini comme amour ?

Il n’y a pas d’amour qui ne soit l’amour de quelqu’un ou de quelque chose, tout comme il n’y a pas de connaissance qui ne soit la connaissance de quelque chose. Il n’existe pas d’amour « vide », sans objet. Nous pouvons alors nous demander : qui Dieu aime-t-il, pour être défini comme amour ? L’homme ?  Mais alors il n’est amour que depuis quelques centaines de millions d’années. L’univers ? Mais alors il n’est amour que depuis quelques dizaines de milliards d’années. Et auparavant, qui Dieu aimait-il pour être l’amour ? Voici la réponse de la révélation biblique, explicitée par l’Église. Dieu est amour depuis toujours, ab aeterno, parce que bien avant qu’il y ait un objet en dehors de Lui pour aimer, il avait en lui le Verbe, le Fils qu’il aimait d’un amour infini, c’est-à-dire « dans l’Esprit Saint ». 

Cela n’explique pas « comment » l’unité peut être en même temps trinité (c’est un mystère que nous ne pouvons pas connaître parce qu’il n’arrive qu’en Dieu), mais cela nous suffit au moins pour deviner « pourquoi », en Dieu, la pluralité ne contredit pas l’unité. C’est parce que « Dieu est amour » ! Un Dieu qui est pure connaissance ou pure loi, ou pure puissance, n’aurait certainement pas besoin d’être trine (cela compliquerait en fait les choses) ; mais un Dieu qui est avant tout amour si, car il ne peut y avoir d’amour entre moins de deux personnes. 

Le plus grand et le plus inaccessible des mystères pour l’esprit humain n’est pas, à mon avis, que Dieu soit un et trine, mais que Dieu soit amour. « Il faut » – écrivait Henri de Lubac – « que le monde le sache : la révélation de Dieu en tant qu’amour bouleverse tout ce qu’il avait précédemment conçu de la divinité ». C’est très vrai, mais nous sommes malheureusement encore loin d’avoir tiré toutes les conséquences de cette révolution. Le fait que l’image de Dieu qui domine dans l’inconscient humain soit celle d’un être absolu, et non d’un amour absolu le démontre ; un Dieu essentiellement omniscient, omnipotent et surtout juste. L’amour et la miséricorde sont considérés comme un correcteur qui modère la justice. Ils sont l’exposant, pas la base.

Nous proclamons, nous les modernes, que la personne est la valeur suprême à respecter dans tous les domaines, le fondement ultime de la dignité humaine. Cependant, on ne peut comprendre d’où vient cette conception moderne de la personne qu’en partant de la Trinité. Le théologien orthodoxe Jean Zizioulas l’a bien mis en évidence, en montrant la fécondité et l’enrichissement mutuel qui s’obtient dans le dialogue entre la théologie latine et la théologie grecque sur la Trinité. Il démontre, dans plusieurs de ses écrits, comment le concept moderne de personne est un enfant direct de la doctrine de la Trinité et il explique dans quel sens. 

« L’amour est une catégorie ontologique qui consiste à donner à l’autre l’espace nécessaire pour exister en tant qu’autre et acquérir son existence dans et par l’autre. C’est une attitude kénotique, un don de soi […]. C’est ce qui se passe dans la Trinité où le Père aime en se donnant tout entier au Fils et en le faisant exister en tant que Fils. […] Voilà donc ce que signifie être une personne humaine à la lumière de la théologie trinitaire. C’est une manière d’être dans laquelle nous acquérons nos identités non pas en nous éloignant des autres, mais en communion avec eux dans et par un amour qui « ne cherche pas son intérêt » (1 Co 13, 5) mais est prêt à sacrifier son véritable être pour permettre à l’autre d’être et d’être autre. C’est exactement la manière d’être que l’on trouve dans la Croix du Christ où l’amour divin se révèle pleinement dans notre existence historique ». 

Parce qu’il est personne divine et trinitaire, le Christ a donc avec nous une relation d’amour qui fonde notre liberté (cf. Ga 5, 1). Il « m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi» (Ga 2, 20), on pourrait passer des heures entières à se répéter en soi ce mot, sans jamais cesser d’être étonné. Lui, Dieu, m’a aimé, moi, créature sans valeur et ingrate ! Il s’est donné – sa vie, son sang – pour moi. Rien que pour moi ! C’est un abîme dans lequel on se perd. 

Notre « relation personnelle » avec le Christ est donc essentiellement une relation d’amour. Elle consiste à être aimé par le Christ et à aimer le Christ. C’est vrai pour tout le monde, mais cela prend une signification particulière pour les pasteurs de l’Église. On redit souvent (à commencer par saint Augustin lui-même) que le rocher sur lequel Jésus promet de fonder son Église est la foi de Pierre, le fait qu’il l’ait proclamé « Christ et Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16). Il me semble qu’on oublie ce que Jésus dit au moment de l’attribution de facto de la primauté à Pierre : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? […] Sois le pasteur de mes brebis ! » (Jn 21, 15-16) La fonction du pasteur tire sa force secrète de l’amour pour le Christ. L’amour, tout comme la foi, ne fait qu’un avec le rocher qu’est le Christ.

« Qui nous séparera de l’amour du Christ ? »

Je termine, en soulignant la conséquence de tout cela pour notre vie, en ce temps de grande tribulation pour toute l’humanité que nous vivons. Nous nous le faisons expliquer, cette fois encore, par l’apôtre Paul. Dans sa lettre aux Romains, il écrit : 

« Qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? la détresse ? l’angoisse ? la persécution ? la faim ? le dénuement ? le danger ? le glaive ? » (Rm 8, 35)

Il ne s’agit pas d’une énumération abstraite et générale. Les dangers et les tribulations qu’il dénombre sont les choses qu’il a réellement vécues dans sa vie. Il les décrit en détail dans la deuxième lettre aux Corinthiens, où il ajoute aux épreuves énumérées ici celle qui l’a fait le plus souffrir, à savoir l’opposition obstinée d’une partie de son peuple (cf. 2 Co 11, 23s). En d’autres termes, l’Apôtre passe en revue dans sa tête toutes les épreuves qu’il a traversées, il constate qu’aucune d’elles n’est assez forte pour être comparée à la pensée de l’amour du Christ, et en conclut donc triomphalement : « En tout cela, nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés » (Rm 8, 37).

L’apôtre invite tacitement chacun d’entre nous à faire de même. Il nous propose une méthode de guérison intérieure basée sur l’amour. Il nous invite à faire resurgir les angoisses qui se cachent dans notre cœur, les tristesses, les peurs, les complexes, tel défaut physique ou moral qui fait que nous ne nous acceptons pas sereinement, tel souvenir douloureux et humiliant, le tort subi, la sourde opposition de quelqu’un… À exposer tout cela à la lumière de la pensée que Dieu m’aime, et couper toute pensée négative, en se disant, comme l’Apôtre : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » (Rm 8, 31)

De sa vie personnelle, l’Apôtre lève immédiatement son regard sur le monde qui l’entoure et sur l’existence humaine en général : 

« Ni la mort ni la vie, ni les anges ni les Principautés célestes, ni le présent ni l’avenir, ni les Puissances, ni les hauteurs, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur ». (Rm 8, 38-39)

Il ne s’agit pas non plus ici d’une liste abstraite. Il regarde « son » monde, avec les puissances qui l’ont rendu menaçant, la mort avec son mystère, la vie présente avec son incertitude, les puissances astrales ou celles de l’enfer qui semaient tant la terreur chez l’homme ancien. Nous sommes invités, une fois de plus, à faire de même, à regarder avec les yeux de la foi le monde qui nous entoure et qui nous effraie encore plus maintenant que l’homme a acquis la puissance de le bouleverser avec ses armes et ses manipulations. Ce que Paul appelle les « hauteurs » et les « abîmes » sont pour nous – dans la connaissance accrue des dimensions du cosmos – l’infiniment grand au-dessus de nous et l’infiniment petit en-dessous de nous. En ce moment, cet infiniment petit est le corona virus qui tient l’humanité entière à genoux depuis un an. 

Dans une semaine, ce sera le Vendredi saint et immédiatement après, le dimanche de la Résurrection. En ressuscitant, Jésus n’est pas revenu à sa vie antérieure comme Lazare, mais à une vie meilleure, libérée de tous les soucis. Espérons qu’il en sera de même pour nous. Espérons que du tombeau dans lequel la pandémie nous enferme depuis un an, le monde — comme le Saint-Père ne cesse de nous le répéter — en sorte meilleur, et non pas comme avant.

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