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L’ascenseur émotionnel qui nous fait passer en quelques instants de l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem au récit de sa Passion est caractéristique de ce dimanche des Rameaux. L’entrée en procession dans l’église après les trois coups solennels sur les portes, nous voit passer brutalement des rameaux aux sanglots, de l’excitation à la désolation, des tambourins au tocsin. Au loin, les chants de la résurrection nous appellent déjà, mais pour l’instant, c’est le drame après la joie. Si la Semaine sainte est le drame de notre vie chrétienne condensé en sept jours, il nous faut entrer profondément dans ce drame en plusieurs actes sans brûler les étapes.
Plus on est de fous…
Et d’abord, posons-nous la question : notre ferveur joyeuse à acclamer Jésus avec nos rameaux en main est-elle adéquate à la situation ? Notre musique n’est-elle pas semblable à celle que jouait l’orchestre du Titanic alors qu’il était en train de sombrer dans l’océan ? Non. Accueillir Jésus dans la ferveur et les chants comme le Roi qu’il est ne peut pas être une erreur. Ce n’est pas parce qu’on sait qu’une joie est éphémère qu’il faut la mépriser. Au contraire, il est bon d’accueillir les grâces sensibles que Dieu nous accorde, pour peu qu’elles ne nous retiennent pas dans une illusion mortifère. Les consolations faciles doivent être écartées si elles sont mensongères, mais l’allégresse du peuple qui accueille le Roi des rois n’est pas de cet ordre : elle s’impose.
Il est vrai que la foule qui accueillait triomphalement Jésus à Jérusalem (Mc 14 ; 15, 39) ce jour-là devait bien vite changer d’avis. Un jour, on acclame, le lendemain on crucifie ! La parole de Jésus en Croix à l’intention de ses bourreaux : « Ils ne savent pas ce qu’ils font » pourrait tout aussi bien s’appliquer à la foule qui l’acclame sur le chemin de son entrée à Jérusalem. Cette versatilité d’une foule aisément manipulable est trop connue pour ne pas la dénoncer. On sait depuis longtemps que le degré de conscience et de liberté personnelle de chaque individu qui compose une foule diminue à proportion que les effectifs de cette foule augmentent. Plus on est de fous… plus on est fous !
Une joie légitime
Mais c’est peut-être justement parce que cette foule trop versatile a été manipulée qu’il nous faut la remplacer aujourd’hui. Les événements de la Passion, comme tous les événements de la vie du Christ, nous sont mystérieusement contemporains. Accueillons Jésus dans la ferveur et la joie comme notre roi, mais en sachant qu’il sera bientôt un roi crucifié. Dans ce brutal changement d’ambiance entre l’arrivée triomphale de Jésus à Jérusalem et sa Passion, c’est notre manière de concevoir le règne du Christ qui est en jeu. Si le véritable trône de Jésus est la Croix, si l’ânon qui le portait aux Rameaux n’était pas une erreur de casting, alors nous savons comment Jésus est roi, dans l’humilité. Dès lors, notre joie provisoire est légitime, comme notre peine ensuite.
Acclamer Jésus un jour pour le crucifier le lendemain comme le fait la foule, n’est-ce pas le récit condensé de notre vie chrétienne ?
La foule qui accueille joyeusement Jésus puis le crucifie ne sait pas ce qu’elle fait. L’âne qui porte Jésus aux Rameaux ne sait pas très bien non plus ce qu’il fait. Peut-être que le brave animal croit que toutes ces acclamations lui sont adressées, comme l’âne qui porte les reliques dans la fable de La Fontaine (« Un baudet, chargé de reliques, s’imagina qu’on l’adorait »), ou comme le prêtre vaniteux qui porte Jésus-hostie. Peut-être que l’âne qui porte Jésus, dans son bon sens animal, perçoit au contraire la versatilité de la foule. S’il avait écrit ses mémoires, comme celui de la Comtesse de Ségur, il aurait peut-être eu des choses à nous raconter.
Savons-nous vraiment ce qui se passe ?
Quant à nous, qui oscillons entre la foule et l’âne, nous espérons savoir un peu ce que nous faisons, mais en sommes-nous bien sûrs ? Acclamer Jésus un jour pour le crucifier le lendemain comme le fait la foule, n’est-ce pas le récit condensé de notre vie chrétienne ? Nous enorgueillir de porter le nom de chrétien en espérant des louanges, à la manière de l’âne portant Jésus, n’est-ce pas là une attitude bien familière ? Savons-nous vraiment ce que nous faisons aujourd’hui, entre l’exultation des Rameaux et le drame de la Passion ? Bien sûr, nous en avons quelque idée, comme les disciples que Jésus avait préparés à l’avance en annonçant ce qui allait se passer, mais une fois mis devant l’événement dans son irréductible singularité, savons-nous vraiment ce qui se passe, de l’entrée à Jérusalem au crucifiement ? En réalité, le seul qui sait vraiment ce qu’il fait et ce qui se passe, c’est Jésus. Il s’avance vers sa Passion volontaire. Il s’avance vers sa mort rédemptrice. Il accomplit l’œuvre d’amour ultime vers laquelle toute sa vie terrestre était tendue. Jésus est le seul qui comprend le drame qui se joue autour de lui, parce qu’il est le seul à être parfaitement libre, alors même qu’il sera bientôt ligoté. Jésus, lui, sait ce qu’il fait et ce qui se passe, et cela suffit.
Quant à nous, ce que cette Semaine Sainte toujours la même et pourtant toujours nouvelle va nous apporter, comment Jésus va nous transformer pendant ces quelques jours, comment nous accueillerons cette transformation, nous ne le savons pas, et c’est bien ainsi. Suivons l’Agneau là où il va. Ce qu’il en adviendra pour nous est encore un mystère. Mais nous savons que c’est là où Jésus nous attend. Entrons dans la Passion avec nos yeux fixés sur Jésus.