Les XVIIe et XVIIIe siècles vont être à l’origine d’un esclavagisme longtemps qualifié de « traites négrières » et qui verra des millions d’Africains violemment ravis de leurs terres, pour servir de main-d’œuvre servile aux colons américains dans des conditions effroyables. À l’image du peuple juif exilé à Babylone, le chant va rapidement devenir le refuge de ces femmes et hommes coupés de tout. Puisant dans la religion de leurs oppresseurs des textes faisant écho à leurs souffrances, les musiques traditionnelles africaines vont dès lors s’associer aux textes les plus évocateurs de l’Ancien Testament, c’est ce que l’on nommera le negro spiritual.
Les psaumes de la Bible notamment offriront un exutoire approprié à leur condition inhumaine, leurs prières élevées dans ces chants émouvants trouvant leur parallèle dans celui du peuple opprimé par les Égyptiens dans la Bible. Ces âmes éprouvées par l’adversité puiseront également leur inspiration dans le Nouveau Testament, avec notamment les paroles puissantes du Christ dans le Sermon sur la montagne.
La naissance du gospel contre la persistance de la ségrégation
Le mot gospel vient du vieil anglais Godspell et désignait l’Évangile. Alors que l’abolition officielle de l’esclavage a été officiellement édictée aux États-Unis par l’Acte d’Émancipation de 1865, la ségrégation à l’encontre des Noirs américains n’a cependant nullement cessé à cette date pour autant. De ces conditions impitoyables d’esclavage qui vont perdurer, de nouveaux chants vont alors s’élever à la suite du negro spiritual, se distinguant de ce dernier par des phrases brèves, puisées essentiellement dans le Nouveau Testament, même si des références à Moïse peuvent parfois également s’entremêler à celles de Jésus.
De nombreux gospels vont dès lors apparaître avec des paroles puissantes et fortes tels « Go tell it on the mountain », « Down by the riverside » ou « Nobody knows the trouble I’ve seen ». Chants incomparables, plusieurs d’entre eux dépasseront largement le cercle des premiers auditeurs de ces prières inspirées et demeurent encore aujourd’hui des musiques largement célébrées.
Un écho spectaculaire des opprimés
Le gospel va connaître un essor extraordinaire dans les trois premières décennies du XXe siècle. Désignés initialement par le terme gospel hymns, les recueils notamment d’Harry T.Berleig (1866-1949), Charles A.Tindley (1859-1933), puis ceux de Thomas A. Dorsey vont, en effet, donner leurs lettres de noblesse à ce chant inimitable qu’est le gospel. La « Gospel music » mêlera dorénavant blues et chant religieux, et Thomas A. Dorsey fera rapidement figure de père du gospel noir en écrivant plus de 1.000 chants. Ce dernier composera de très fameux et célèbres gospels pour de grandes chanteuses telles que Mahalia Jackson, Salie Martin ou encore Rosetta Tharpe, notamment « Take my hand, precious Lord ».
Cette forme musicale bien particulière est chantée a cappella en héritage des chants des esclaves. Le prêcheur et le chœur entament un dialogue chanté, parfois enrichi par un ou plusieurs chanteurs du chœur en de multiples improvisations conférant à ces musiques cette ferveur religieuse incomparable et communicative. Negro spiritual et gospel ont ainsi su perpétuer la tradition née des prières des esclaves noirs, mais aussi et surtout la longue et ancienne tradition du chant sacré héritée des premiers temps bibliques eux-mêmes.