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Le procès inique du Christ et la condamnation qui s’ensuivit ne furent que la conclusion pharisaïque d’un complot ourdi bien en amont et concrétisé par des intimidations et par des tentatives de meurtre. Notre Seigneur était le seul à connaître exactement quelle serait son heure. Par trois fois, Il manqua tomber sous les coups ennemis mais Il passa outre, sain et sauf, protégé par le plan divin à son endroit. Et par trois fois, Il annonça sa Passion, sa Mort et sa Résurrection. Au chaos violent du monde contre Dieu répond l’ordre harmonieux de Celui qui est le Verbe traçant le chemin jusqu’au Calvaire. Cette triple attaque et cette triple annonce dans l’histoire terrestre du Sauveur sont pour nous symboliques des agressions et des promesses dont nous sommes victimes, pour les premières, et bénéficiaires, pour les secondes, soit dans notre vie personnelle, soit dans la vie de l’Église au cours des siècles. En baissant la garde face au pernicieux, en négligeant dans le même temps le contenu eschatologique de notre foi, le diabolique risque bien de brandir notre tête sur une pique plus d’une fois que de coutume.
« Tu es un blasphémateur »
L’accusation récurrente des pharisiens et des scribes à l’endroit du Christ fut qu’Il était possédé. Telle est leur réponse lors de la fête des Tabernacles, lors de la troisième montée de Jésus à Jérusalem. Il leur demande : « Pourquoi voulez-vous me tuer ? » La riposte est sans l’ombre d’une hésitation, donc soigneusement macérée depuis longtemps dans leurs têtes et leurs débats : « Tu es du démon. » D’ailleurs saint Jean souligne bien le combat intérieur du Maître qui, prêchant en Galilée, refuse tout d’abord de se rendre en Judée « parce que les Juifs cherchaient à le faire mourir ». Ses disciples l’invitent cependant à se rendre à Jérusalem pour cette grande célébration de la Scénopégie, et Il repousse encore cette offre : « Mon temps n’est pas encore venu. »
L’étonnement est grand car beaucoup regardent Jésus comme un inculte et Il parle avec autorité.
Les disciples se rendent donc à la Ville sainte sans Lui, et l’apôtre bien aimé précise que Jésus change d’avis et les rejoint « non publiquement, comme en cachette ». Dans un premier temps, Il ne se montre pas au Temple car nombreux sont ceux qui entretiennent l’hostilité à son égard, et puis, soudain, « vers milieu de la fête », Il décide d’enseigner dans le sanctuaire de son Père. L’étonnement est grand car beaucoup le regardent comme un inculte et Il parle avec autorité. Les avis sont partagés parmi la foule et nombreux sont ceux qui croient en Lui. Saint Jean poursuit en précisant que « les princes des prêtres et les pharisiens envoyèrent des archers pour le prendre », mais que ces derniers furent séduits par la Parole du Maître, vite rappelés à l’ordre par l’autorité exigeant un devoir de réserve, ajoutant que personne parmi les sages ne prenait au sérieux ce prédicateur de pacotille, blasphémateur par surcroît, en quoi ils se trompent puisque Nicodème le pharisien membre du Sanhédrin a reconnu Jésus comme étant le Messie.
Le Christ poursuit donc son enseignement, échappant de justesse à l’arrestation. Les juifs continuent de le traiter de « Samaritain », de « possédé » et cherchent même à le lapider. Un peu plus tard, en hiver, aux alentours de la fête de la Dédicace, de nouveau prêchant au Temple, se comparant à un Bon Pasteur et se référant à Dieu son Père, le Christ leur échappe de nouveau alors qu’ils ont décidé de le lapider : « Ce n’est pas pour une bonne œuvre que nous te lapidons, mais c’est pour un blasphème, et parce que toi, étant homme, tu te fais Dieu. » Là, aucun retour possible, la peine ne pourra être que capitale. Peu après, la résurrection de Lazare sera la signature messianique au bas du contrat de salut signé par Notre Seigneur avec le Père. Il s’avance à partir de ce moment-là vers un point de non retour dont le couronnement sera la Crucifixion.
Sous le masque de l’anonymat
En fait, dès la première tentative de meurtre dans sa patrie de Nazareth, au commencement de sa vie publique, le Christ avait patiemment mis en place, selon la volonté du Père, les étapes du sacrifice. Saint Marc rapporte que Jésus ne « put » faire de miracles dans son village, ceci à cause du manque de foi. Pourtant il est dit que ses compatriotes attendaient beaucoup de phénomènes extraordinaires, mais Jésus repousse cette revendication égoïste. Il n’est pas le Sauveur de Nazareth mais le Sauveur de tous les hommes et Il ne peut être réduit à un messie local.
De rage, les habitants, familiers du Seigneur depuis tant d’années, le poussèrent vers le précipice à l’entrée de la bourgade…
Cette crédulité nazaréenne intéressée fut sans doute la cause du peu de miracles comparés à ceux de Capharnaüm, ville païenne ô combien. De rage, les habitants, familiers du Seigneur depuis tant d’années, le poussèrent vers le précipice à l’entrée de la bourgade, « mais lui, passant son chemin au milieu d’eux, s’en alla tranquillement ». Là déjà fermentait le levain mauvais des pharisiens, au sein de cette population simple. Rien de pire que la vindicte populaire car les plus bas instincts se cachent alors dans le « on » anonyme. Les autorités religieuses, par la suite, essayeront bien d’ailleurs de se débarrasser du Messie grâce à la haine des foules sans visage.
L’historien Augustin Cochin, au XIXe siècle, a parfaitement analysé, pour la Révolution française, ce qu’il nomme « l’Épopée de Monsieur On » : « On se fâcha, on courut aux Tuileries, on appela le roi… et on le tua ». L’histoire des hommes est riche de tous ces épisodes où la responsabilité s’efface soudain sous le masque de l’anonymat. Lorsque l’homicide est commis par la foule, personne ne se sent coupable. Les pouvoirs politiques en jouent sans cesse. Il suffit de se pencher sur notre propre destinée française depuis deux siècles. Les prêtres et les scribes auraient aimé que tout se terminât ainsi, mais ils ne purent manipuler la façon dont le salut devait entrer dans le monde, aussi finirent-ils par utiliser les grands moyens, directs, visibles, juridiques, moyens rendus encore plus complexes par le fait qu’il leur fallait le blanc-seing romain avant de mettre à exécution leur plan maléfique.
Le même sort que le maître
Dès le commencement de sa vie itinérante et prédicante, le Sauveur connaissait le sort qui lui sera réservé et Il l’avait accepté par obéissance au Père et pour réaliser sa mission salvifique. Aussi l’annonça-t-il à ses apôtres sourds et murés dans leur aveuglement. S’identifiant avec Dieu même, il était inévitable qu’Il pérît sous les coups du On et des autorités religieuses soucieuses d’éradiquer le blasphème et de ne pas s’attirer les foudres de l’occupant.
Une vie chrétienne sans contradiction n’est pas le signe d’une bénédiction ou d’une protection particulière et privilégiée mais plutôt le résultat d’un silence lâche et d’une paresse dans l’action.
Le disciple qui désire Le suivre ne peut pas s’attendre à un autre sort que le sien, même si, le plus souvent, il ne versera pas le sang. Une vie chrétienne sans contradiction n’est pas le signe d’une bénédiction ou d’une protection particulière et privilégiée mais plutôt le résultat d’un silence lâche et d’une paresse dans l’action. L’élève qui a appris la leçon du Maître, qui la met en pratique et qui l’enseigne, se heurtera sans cesse à la hargne pharisienne gardienne, non point de la tradition et de la doctrine, mais de la collaboration avec le monde, ses modes, ses artifices et tous ses démons. À chacun d’accepter ces obstacles, ces humiliations afin d’entrer à son tour dans la Jérusalem céleste.