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Une question qui revient souvent dans les entretiens avec les fidèles est celle de la demande du Notre Père : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. » Beaucoup reconnaissent avoir du mal à pardonner « du fond du cœur » comme le demande le Christ : « C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur » (Mt 18, 35). Le mot « cœur » renvoie dans notre langage à une dimension très affective alors que dans l’Écriture, le cœur est aussi le lieu de la décision, de la volonté et de l’engagement, le centre de l’être qui choisit. Si nous réduisons le mot cœur à une simple dimension affective, nous ne comprendrons pas comment pardonner parce que notre cœur sera en colère ou meurtri, il ruminera l’offense subie et, sentant ce désordre intérieur, souvent légitime, nous nous dirons que nous ne pouvons pas entrer dans une logique de pardon. Nous pouvons cependant être dans l’émotion et dans le pardon en même temps. Avant de réfléchir à ce que peut être le pardon, prenons le temps de dire ce qu’il n’est pas.
Pardonner n’est pas non plus oublier car lorsque l’on a vraiment été offensé, nous n’avons pas dans notre intelligence et notre cœur la capacité d’effacer le souvenir de cette offense subie.
Pardonner n’est pas oublier
Pardonner n’est pas excuser : quand une offense a été subie, parfois grave, il n’y a pas lieu d’excuser la faute parce que parfois elle est inexcusable au sens propre. L’offense commise librement, en connaissance de cause et dans l’intention de faire le mal est objet d’accusation et non d’excuse. On peut demander que justice soit faite tout en pardonnant du fond du cœur. Si je bouscule quelqu’un par inadvertance, je pourrai demander que l’on m’excuse : je ne voulais pas faire le mal. Si je frappe quelqu’un volontairement, je demanderai pardon d’un acte libre que je regrette d’avoir posé. Pardonner n’est pas non plus oublier car lorsque l’on a vraiment été offensé, nous n’avons pas dans notre intelligence et notre cœur la capacité d’effacer le souvenir de cette offense subie. Si l’on oublie cela veut peut-être dire aussi que ce n’était pas si grave et que notre réaction affective était disproportionnée. Pardonner n’est pas non plus faire « comme si » rien ne s’était passé, par paresse, par peur ou par ennui. Pardonner c’est pouvoir d’abord nommer l’offense subie, la voir en face et ne pas la fuir. Provoquer une discussion, dire à l’autre que nous avons été offensés est une première étape vers le pardon.
Distinguer la personne et la faute
Le pardon revient à ne pas confondre l’autre avec la faute qu’il a commise. Quand Dieu pardonne, il nous dit que nous valons plus que le mal que nous avons fait. Nous ne sommes pas les fautes que nous commettons, nous sommes bien plus grands que cela et la dignité de chaque personne humaine est supérieure au mal qu’il peut faire. Pardonner c’est dire à l’autre : « Tu vaux plus que cela ! » même si notre cœur est meurtri, même si nous sommes dans la peine, la déception, la désillusion ou la colère. Notre cœur peut pardonner en se rappelant que l’autre vaut plus que cela, comme nous valons plus que les fautes que nous commettons.
Pitié pour ceux qui font le mal !
Mais notre pardon peut aussi se tourner vers des personnes que nous ne connaissons pas. Nous sommes offensés par la violence des hommes qui s’étale quotidiennement sur nos écrans. Notre cœur est meurtri par tant d’injustices, de viols, meurtres, cruautés, égoïsmes… Nous plaignons les victimes, nous demandons justice pour elles et nous avons raison, mais prenons-nous le temps de penser à ceux qui font le mal ? Se rendent-ils compte qu’ils valent plus que leur misérable violence ? Se rendent-ils compte du mal qu’ils font ? Pendant la Semaine Sainte nous chantons souvent : « Pitié pour ceux qui meurent et ceux qui font mourir. » Peut-être notre cœur s’exercera au pardon pour ce qui nous touche directement en s’exerçant aussi auprès de tous ceux qui nous offensent de loin chaque jour. Ils valent plus que ce mal et notre regard doit se porter sur eux comme Dieu lui-même les regarde : en voyant l’exceptionnelle dignité de leur être appelé à la vie éternelle et cependant souillé par les blessures du péché que le Christ est venu pardonner par le sang de la Croix.