Avec ses 2.000 dalles flambant neuves en pierre de Massangis, le chœur de la basilique Saint-Donatien-et-Saint-Rogatienà Nantes est aujourd’hui d’un blanc lumineux. Et pour parfaire l’ensemble, il ne manquait plus que son nouvel autel ! Un autel tout neuf (ou presque) installé cette semaine pour remplacer l’ancien bloc de pierre de trois tonnes construit dans les années 1970.
Six ans après l’effroyable incendie qui a ravagé la toiture de la basilique, les fidèles Nantais ont eu la joie de pouvoir pénétrer à nouveau dans le sanctuaire lors de la première messe célébrée, le 29 août dernier, par Mgr Percerou, évêque de Nantes. Ce jour-là, l’évêque aurait dû célébrer la messe sur le nouvel autel, mais la pandémie et des retards de chantier ont reculé son installation.
Bien que l’intérieur n’ait pas été touché par l’incendie, la ville de Nantes et le diocèse ont décidé, d’un commun accord, de tirer parti de ce drame pour restaurer l’édifice bien au-delà de la charpente. La ville s’est ainsi chargée de nettoyer les murs, redorer les blasons, refaire l’électricité, l’éclairage, la sonorisation et la sécurité incendie tandis que le diocèse, s’est mobilisé pour restaurer le chœur et installer un nouvel autel et ambon.
Et ce fameux autel, que tout le monde attendait avec impatience, possède une histoire étonnante. Loin d’être une création contemporaine, il s’inscrit, au contraire, dans l’héritage patrimonial de la région. Son histoire prend sa source à une trentaine de kilomètres de Nantes, au cœur de l’abbaye de Buzay fondée en 1135 par Bernard de Claivaux à Rouans. Ancienne abbaye cistercienne dévastée par un incendie à la Révolution française — et dont il ne reste aujourd’hui plus qu’une tour comme unique vestige — l’abbaye de Buzay a tout perdu, jusqu’à son mobilier qui a été dispersé dans plusieurs édifices. Une partie de ses cloches est d’ailleurs visible à la cathédrale de Chartres.
Parmi les vestiges de ce drame révolutionnaire, un autel secondaire que tout le monde avait oublié. Installé un temps dans la chapelle de l’Hôpital public de Pornic (Loire-Atlantique) avant que celle-ci ne soit transformée en salle polyvalente, l’autel est récupéré in extremis par le diocèse qui décide, faute d’usage, de l’entreposer dans un hangar. Les trois éléments qui le composent, à savoir la façade et les deux côtés, sont alors démontés et, le temps faisant son œuvre, l’autel commence, petit à petit, à prendre la poussière, et ce pendant quinze ans.
Deux résurrections
C’est en 2015, après le terrible incendie de la basilique de Nantes, que notre autel refait surface. Sa renaissance, on la doit au conservateur des antiquités du diocèse, Michel Chaillou, également paroissien de la basilique. C’est lui qui suggère au curé de la basilique de l’époque, le père Michel Bonnet, de venir voir les pièces stockées dans les réserves. Malgré les couches de poussière et les toiles d’araignées qui le dissimulent, les acteurs diocésains devinent tout de suite ses qualités esthétiques. Très rapidement, on fait appel à un marbrier-sculpteur de la région pour estimer la faisabilité d’une remise en état. Car deux problèmes se posent : l’autel, à l’origine installé contre un mur, n’a que trois côtés, il faudra donc recréer la façade arrière et la table. Et la diversité des marbres qui le composent nécessitent de retrouver les carrières correspondantes.
Si le chantier s’annonce ambitieux, la Commission diocésaine d’art sacré le valide, déterminée à redonner vie à ce bel autel endormi du XVIIIe siècle. Les pièces détachées sont envoyées dans l’atelier d’Edmond Fain, marbrier spécialisé dans la restauration de monuments historiques, où elles sont remises en état. L’artisan dessine ensuite le plan général de l’autel qui intègre toutes les parties manquantes, notamment les moulures. Une fois le dessin validé, Edmond Fain part à la recherche des marbres. Il se rend jusque dans les Pyrénées pour espérer retrouver des morceaux similaires.
Après de minutieuses recherches, la providence aidant, notre artisan parvient à récupérer chez un marbrier un bloc de Brèche de Médous, un marbre composé de plusieurs couleurs différentes allant du noir, au jaune en passant par le gris ainsi qu’un bloc de marbre noir, le dernier extrait de la carrière fermée de Cihigue (Pyrénées-Atlantiques). Par chance, les propriétaires acceptent qu’il récupère ce dernier bloc abandonné. Envoyé au Carrières de la Vienne pour être taillé, il est ensuite livré dans l’atelier d’Edmond Fain à Talmont-sur-Hilaire. “Cet autel m’a demandé un travail considérable. L’assemblage des marbres et des moulures est très complexe”, confie Edmond Fain qui reste admiratif devant le travail des marbriers du XVIIIe siècle. “Les artisans de cette époque possédaient un savoir-faire exceptionnel”.
Le 11 octobre dernier, des maçons spécialistes du Patrimoine sont venus dans la basilique pour monter le socle qui servira de base pour accueillir les blocs de marbre. Et depuis lundi, Edmond Fain, accompagné de son équipe, installe délicatement chaque élément du nouvel autel. Mercredi, dans le silence religieux de la basilique, l’ancien curé de la paroisse, le père Michel Bonnet, et le nouveau, le père Bertrand Fayolle, ont scellé les reliques des frères saints Donatien et Rogatien ainsi que celle de saint Martin de Tours.
À côté, dans une douille d’obus de la Seconde Guerre mondiale, un parchemin contenant le nom des 896 donateurs qui ont participé au financement des dalles du chœur, a été ajouté… pour l’éternité. Si la cérémonie de consécration de l’autel n’a pas encore été fixée par l’évêque, les paroissiens auront cependant la chance de découvrir le nouvel autel ce dimanche 31 octobre lors de la messe. Un moment qui s’annonce particulièrement émouvant.