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“Basculement”, “retournement”, “revirement” : la veille du 9 novembre, c’est comme si le mur de Berlin était tombé à Lourdes. Un mois après la « déflagration » du rapport Sauvé, les évêques se rallient à la seule chose tangible aux yeux du monde : l’indemnisation des victimes. Tels les pèlerins d’Emmaüs, ils ouvrent les yeux et, d’un bloc, reconnaissent « la responsabilité institutionnelle de l’Église », « la dimension systémique des violences » et le « devoir de justice et de réparation ». Jusque-là, les prélats avaient tourné autour du mot — indemnisation — jugé trop vil, trop insuffisant. Mais la puissance de la mentalité transactionnelle, si forte aux États-Unis qu’elle y ruina des diocèses entiers, eut raison de leur pudeur, de leur crainte ou de leurs atermoiements.
Le langage de l’argent
N’est-il pas triste, infiniment triste, qu’une institution née d’en-haut et dont la seule justification est d’y conduire les âmes, ne soit pas entendue pour ce qu’elle est ? Des siècles après, l’Église est toujours moquée pour le commerce des indulgences. La vénalité des clercs fut une cause de la réforme protestante. Et voilà que l’argent est perçu comme la « mesure concrète », la solution, la seule qui soit comprise et admise par tous. L’argent est un langage et c’est le seul qui soit audible. Les victimes de pédocriminalité pourront s’adresser dès le début de l’année prochaine à l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr), présidée par Marie Derain de Vaucresson. L’ancien Défenseur des enfants regarde vers la Belgique où existe quatre niveaux d’indemnisation, allant de 2.500 à 25.000 euros et plus. « Cela paraît pertinent d’examiner le modèle belge, plutôt que le modèle américain, parce que cela correspond financièrement à des enveloppes qui ne sont pas aussi importantes. Aux États-Unis (où l’indemnisation est de 338.688 dollars par victime, selon le rapport Sauvé), on est vraiment sur le “prix de la douleur” », dit-elle à l’AFP.
Le prix de la douleur. Cette notion méritait d’être questionnée et pourquoi pas dépassée : en quoi l’argent peut-il réparer les préjudices subis dans le domaine de la sexualité ? En quoi peut-il restaurer l’humanité blessée, puisque partout ici-bas l’empire de l’argent la corrompt ? En quoi correspond-il à une proposition catholique, alors que le pape François livre une croisade tous azimuts contre l’idole qu’il représente ? Payer pour essuyer les larmes n’est-il pas humiliant, choquant, décevant ? Et comment fixer le prix ? Ce prix a-t-il seulement un sens ? Et comme victime souillée à vie, comment peut-on même accepter cet argent ? Ses reflets ne feront que lui renvoyer dans un miroir l’horreur de la souillure d’antan.
On dira que l’indemnisation ne s’entend pas comme un don mais comme un dû et une dette, que des vies furent brisées par la faute d’une gouvernance négligente ou complice, que des victimes — pour celles qui pouvaient se le permettre — se ruinèrent en psychothérapies, que les agressions subies dans l’enfance ou l’adolescence hypothéquèrent des vies entières sur le plan professionnel ou sentimental. Tout cela doit être chiffré et le sera selon des barèmes assuranciels. Il ne s’agit pas d’épiloguer sur cette procédure mais de considérer qu’elle n’est pas forcément une « avancée ».
Ce qui a de la valeur n’a pas de prix
Nos vies, nos imaginaires, nos exigences ne se déploient plus dans un ordre immatériel, inspiré par un souffle aristocratique. Ce qui a de la valeur n’a pas de prix et tout ce qui se monnaie n’a aucune valeur. L’honneur comme tous les biens moraux échappent à la loi du marché. En l’absence de cet horizon supérieur et commun, l’argent occupe seul l’espace du dialogue et de la réponse. Sans l’argent, les évêques seraient passés pour des sans-cœur.
Nos contemporains ignorent les discours, le son du glas, les « temps mémoriels et pénitentiels », toutes ces mises en scène paraliturgiques dont ils sont aussi abreuvés par la République, y compris quand meurt un grand acteur de cinéma.
Nos contemporains ignorent les discours, le son du glas, les « temps mémoriels et pénitentiels », toutes ces mises en scène paraliturgiques dont ils sont aussi abreuvés par la République, y compris quand meurt un grand acteur de cinéma. Ces cérémonies rassasient les chaînes d’info continue mais ne résonnent plus dans le cœur des gens. Ce sont des moments de communication. Nos contemporains ne s’intéressent pas non plus à la manière dont l’Église est gouvernée car ils en savent très peu de choses et ne s’estiment pas concernés ni compétents. In fine, une seule réalité leur parle : que le contrevenant paie. « Ils vont mettre la main à la poche. » Ainsi commence la dépêche de l’AFP datée du 8 novembre.
Le patrimoine, témoin d’une fidélité continue
Les évêques alimenteront le fonds d’indemnisation des victimes « en se dessaisissant de biens immobiliers » et s’il le faut, « un emprunt pourra être souscrit pour anticiper les besoins », selon Mgr Éric de Moulins-Beaufort. Cette solution vise à préserver les dons des fidèles. L’obole ne servira pas à abonder le dispositif, assurent les évêques.
Mais qui peut adhérer à cette présentation des choses ? Le patrimoine résulte des dons consentis par les générations successives. « Sur cette pierre, Je bâtirai mon Église. » Les murs édifiés dans cet esprit ne témoignent pas d’une réalité superflue. Ils évangélisent l’espace, orientent le regard, témoignent d’une fidélité au fil des siècles, comme le montre ce message d’auditeur, corrosif et tourmenté mais révélateur d’une partie de l’opinion catholique : « Très sérieusement, les décisions prises par les évêques constituent […] une spoliation des fidèles, un abus de confiance et un détournement d’usage des dons et legs offerts par nous-mêmes, nos parents, grands-parents et arrière-grands-parents qui par deux fois ont reconstitué sur leurs économies les ressources de l’Église au XIXe siècle puis de nouveau après 1901. Le patrimoine […] n’a pas de nature spontanée, il est pour l’essentiel le fruit des efforts et de la confiance continue de la vieille veuve du temple et de celle de Sarepta. La conférence sous la pression des lobbies et de ceux qui parlent fort en dispose très librement, et pour un objet tout à fait opposé à la volonté des donateurs présents et passés. De leur respect, nul ne semble avoir cure. »