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« Il y a chez Paul Claudel quelque chose du judoka »

PAUL CLAUDEL

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Claude Pérez - publié le 15/11/21

Diplomate et combattant, le poète catholique Paul Claudel eut de multiples vies. Son dernier biographe, le professeur Claude Pérez, nous présente « le moins hexagonal des écrivains français ».

Dans une biographie intitulée Paul Claudel, « Je suis le contradictoire », nourrie d’archives inédites, le critique littéraire et écrivain Claude Pérez décrypte la légende qui entoure Paul Claudel. Il revient sur son parcours de croyant exigeant, de poète, d’homme de théâtre et de diplomate.

Aleteia : Comment expliquez-vous que Claudel soit si mal connu ? Y-a-t-il contribué lui-même ?
Claude Pérez : Je cite dans la préface de mon livre un texte de Chateaubriand, Essai sur la littérature anglaise. L’écrivain dit à propos de Byron : « Tout personnage qui doit vivre ne va point aux générations futures tel qu’il était en réalité. À quelque distance de lui son épopée commence, on idéalise ce personnage, on le transfigure, on lui attribue une puissance, des vices, des vertus qu’il n’eut jamais, on arrange les hasards de sa vie, on les violente, on les coordonne à un système. Les biographes répètent ces mensonges, les peintres fixent sur la toile ses inventions et la postérité adopte le fantôme. » Claudel correspond parfaitement à cette description. On a de lui aujourd’hui l’image d’un écrivain prestigieux mais difficile (lui voulait être populaire) et celle aussi d’un catholique arrogant, sûr de soi, parfois brutal. Cette image comporte une part de vérité, mais elle est simpliste.

Paul Claudel s’est engagé pleinement dans les violentes polémiques de son temps. Il a milité énergiquement en faveur de l’Église, contre la séparation de l’Église et de l’État, contre la laïcisation.

Elle vient de ce que Claudel est un homme entier, et aussi de ce qu’il a été un combattant, avec beaucoup d’ennemis. Il s’est engagé pleinement dans les violentes polémiques de son temps. Il a milité énergiquement en faveur de l’Église, contre la séparation de l’Église et de l’État, contre la laïcisation. Il a eu ensuite des affrontements violents avec l’Action française. Charles Maurras est un de ses grands ennemis. Il est également, parce que catholique, violemment hostile au racisme et au nazisme. En 1941, lui qui avait écrit un an plus tôt un poème à Pétain, écrit au Grand Rabbin de France pour protester contre les mesures antisémites : « Un catholique ne peut oublier qu’Israël est toujours le fils aîné de la promesse, comme il est aujourd’hui le fils aîné de la douleur. » Pendant la Guerre froide, il s’engage un moment auprès de De Gaulle, qui l’attire au RPF à cause de son prestige de diplomate et d’écrivain, et il milite en faveur de la création de l’État d’Israël. Toute sa vie est une vie de combats. Il y a chez lui quelque chose du judoka qui prend son énergie en capturant l’énergie de l’adversaire. 

Pourquoi avoir choisi ce titre « Je suis le contradictoire » ? Est-ce lié à la religion ?
C’est une citation. Claudel dit cela à un journaliste canadien, pendant l’entre-deux guerres. Dans une époque qui se déchristianise, qui apostasie dit-il, lui maintient, contre vents et marées, que Dieu existe, que, contrairement à la croyance de la majorité de ses contemporains, il n’est pas mort. Adolescent, il n’avait pas la foi. Sa conversion, à 18 ans, en 1886, est à contre-courant de l’époque. Elle est d’ailleurs énigmatique. On n’en connaît que ce que lui-même a raconté des années plus tard avec certainement une part de reconstruction. On sait que ses parents n’étaient pas croyants : son père avait été élevé chez les jésuites, mais il était anticlérical ; sa mère était indifférente en matière de religion. Sa sœur Camille, la célèbre sculptrice, était, elle aussi, incrédule. Quand il se convertit, il renoue avec la génération antérieure, celle de son grand-père et de son grand-oncle qui était curé. Il y aurait eu aussi, d’après la légende familiale, des aïeux qui auraient protégé des prêtres menacés de mort pendant la Révolution française. 

Ce qui est déterminant dans la conversion de Claudel, c’est l’horreur de la mort.

Qu’est-ce qui a été décisif dans sa conversion ?
Je pense que ce qui est déterminant dans la conversion de Claudel, c’est l’horreur de la mort. Ce grand père croyant que j’ai évoqué est mort dans des souffrances atroces, d’un cancer de l’estomac. Le jeune Claudel qui avait 12 ans a assisté à son agonie. Il a été terrorisé. Claudel, comme saint Augustin, voit dans le Christ « la mort de la mort ». Dans sa seconde pièce, La Ville, il met cette réplique à trois reprises dans la bouche d’un de ses personnages : « Rien n’est. » On peut dire que son rapport au religieux est une sorte de pari pascalien : ou il y a Dieu, ou il y a Rien ; ou bien la foi, ou bien le nihilisme (« rien ne vaut rien ») et le désespoir qui va avec. En 1900, il a tenté de parfaire sa conversion en se faisant moine. Il s’est rendu par trois fois dans un monastère bénédictin, mais il en est ressorti, les trois fois. Ce qu’il n’a jamais abandonné, toutefois, c’est la pratique religieuse, et la lecture de la Bible, dont il a donné dans la dernière partie de sa vie d’immenses commentaires.

En plus de sa vie spirituelle, la vie de Claudel est marquée par un grand nombre d’expériences. Quelles sont-elles ?
Un de ses amis disait à son propos : « C’est une locomotive toujours fumante. » Claudel est toujours sous pression, il a un très gros « capital énergétique » pour reprendre une de ses expressions. Cela lui a ouvert des chemins très divers. Il a eu plusieurs vies : une vie de croyant, une vie d’écrivain dans des genres très différents, en vers et en prose, une vie de père de famille nombreuse, une vie amoureuse aussi, avec une femme mariée dont il a eu une fille, une vie encore d’homme de spectacles. Il ne s’est pas contenté d’écrire quelques-unes des plus grandes pièces du XXe siècle (Partage de Midi, Le Soulier de Satin…) mais il a travaillé étroitement avec ses metteurs en scène. Il s’est passionné pour le plateau, un peu trop même au goût de Jean-Louis Barrault, dont il a cependant été très proche. Et puis il a été aussi un grand diplomate. Il finit sa carrière comme ambassadeur à Washington, le poste diplomatique le plus prestigieux de tous. Quand il prend sa retraite, en 1935, il déclare vouloir se consacrer uniquement à la vie spirituelle. Mais il continue d’avoir une activité diplomatique. Il reste en contact avec le président Roosevelt. Pour faire obstacle à la guerre qu’il voit venir, il plaide alors en faveur d’une alliance politique et économique entre l’Angleterre, la France et les États-Unis contre les puissances totalitaires. 

Paul Claudel, du fait de ces activités diplomatiques, a été aussi un grand voyageur. Que lui ont apporté ses nombreux séjours à l’étranger ?
C’est le moins hexagonal des écrivains français, le plus « catholique » comme il disait en donnant à ce mot le sens étymologique d’« universel ». Il a commencé sa carrière aux États-Unis, puis il a séjourné en Chine pendant treize ans, à Prague, en Allemagne où il a manqué d’être lynché par la foule en août 1914, en Italie, au Brésil où il a désamorcé en 1917 un risque de catastrophe financière comparable au scandale du Panama, au Danemark où il centralise en 1920 des informations sur la révolution russe et l’agitation en Allemagne. On l’envoie ensuite au Japon pendant six ans, puis de nouveau aux USA au moment de la crise de 1929. Tout cela joue un rôle essentiel dans sa formation et contribue beaucoup à la richesse de son œuvre. Son expérience de l’Asie, en particulier, qui est longue (vingt ans !) est fondamentale. Il a été un grand admirateur des artistes de l’Extrême-Orient, du théâtre japonais en particulier, et au contact aussi de plusieurs traditions spirituelles. Même s’il s’est parfois montré brutal dans ses jugements à l’égard du bouddhisme, il a lu plusieurs des livres bouddhiques (comme d’ailleurs ceux d’autres religions), il a été sensible à certaines proximités entre bouddhisme et christianisme. Et il s’est plus d’une fois identifié à ces moines bouddhistes qu’il pouvait observer en Chine ou au Japon, dans leurs ermitages : ils étaient ce que lui n’avait pas réussi à être, ils menaient une vie semblable à celle qu’il aurait voulu vivre. 

paul claude, je suis contradictoire

Paul Claudel, « Je suis le contradictoire », par Claude Pérez, Cerf, octobre 2021.

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