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L’anthropologue Charles Stépanoff vient de recevoir le prix François-Sommer pour un livre excellent et important : L’Animal et la Mort, aux éditions de la Découverte. Spécialiste du chamanisme sibérien, mais confiné en France par la pandémie du coronavirus, il a eu idée d’enquêter dans la campagne du Perche et de la Beauce, à deux pas de Paris, sur le peuple des chasseurs. Il a gardé sa méthodologie : l’écoute, l’empathie, la mise en perspective, la quête inlassable du sens.
Charles Stépanoff en a tiré une somme magnifiquement écrite qui fait songer à des Tristes Tropiques dans lesquels la rivière de l’Eure tiendrait lieu de fleuve Amazone et les agriculteurs beaucerons remplaceraient la tribu des Bororos. Le tout se lit comme un roman, mais un roman qui nous rendrait intelligents. En sciences sociales, l’intelligence passe toujours par l’empathie.
Dépasser les caricatures
Il a donc arpenté sans a priori les chemins ruraux des Yvelines et de l’Eure. Il a sillonné les villages et les bois. Il a interrogé des habitants très divers, des habitants que notre société urbaine ignore. Il a cherché à les comprendre. Et ce qu’il a entendu est porteur d’une grande espérance. Plusieurs leçons sont tirées par l’ethnologue de ce qu’il a observé.
La première est qu’il est parfaitement possible de dépasser les caricatures. Le chasseur des campagnes françaises, qu’il soit piégeur, chasseur de petit gibier, rabatteur au sanglier ou veneur, jeune ou vieux, riche ou déshérité, est une créature socialisée, enracinée dans la contemplation de l’espace et le respect du temps. Bref, un homme. Dans un temps de mort de l’Homme, c’est une bonne nouvelle. La chasse, qui a bâti l’humanité, ne peut pas être résumée à la violence. Elle n’est pas violente. Il existe, dans nos communes rurales, une sensibilité insoupçonnée à l’égard du vivant. L’amour des chiens, et même l’amour du gibier, est le grand secret du chasseur, nous montre Charles Stépanoff. À l’inverse, le monde des antichasseurs, souvent endurci par la virtualité des conditions de vie urbaine, est lui aussi un univers complexe et digne d’être entendu. Et enfin, heureuse conclusion, la terre est assez grande pour offrir de la place à chacun d’entre eux.
Une humanité crée
Charles Stépanoff décrit minutieusement les mutations profondes de la biodiversité de nos campagnes : les oiseaux nous abandonnent et le grand gibier évince le petit. (En temps de crise, ce sont les gros qui gagnent : en Beauce, les sangliers.) Le chasseur du monde rural, comme l’Indien inuit, se trouve en première ligne, en tenaille entre les conquêtes territoriales des écologistes et l’appétit des industriels. L’« explotection », qui combine la sanctuarisation des territoires et leur destruction, ne laisse plus d’espace au développement durable humanisé dont la chasse traditionnelle est un des modèles. Et en même temps, les animaux sont acculés à ce dilemme : être un jouet ou une matière première. Entre l’animal de compagnie et le poulet de batterie, il n’y a plus rien.
Cependant la cause n’est pas encore perdue. Assumer notre statut de carnivore et de prédateur, vivre ensemble, aimer la nature, poursuivre une quête inlassable du beau, respecter et parachever la création dont Dieu nous a attribué la gestion, voilà l’idéal à quoi conduit la lecture de ce livre. L’Animal et la Mort illustre de manière originale le projet de Laudato si’ exprimé dans des termes très différents par le pape François. À mille lieues des fantasmes moraux et de l’extrémisme écologique, il montre l’exemple, et donc la voie, d’une humanité responsable capable de s’assumer comme créée.
Pratique