Dans le film Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain, une amie de l’héroïne rencontre Nino, le jeune homme amoureux d’Amélie. Elle le trouve sympathique, mais, dit-elle, pour vérifier s’il est « structuré mentalement », elle lui fait passer un petit test : elle commence à réciter un proverbe, et lui doit le terminer. Il s’en tire très bien, et la jeune femme, satisfaite, conclut : « Celui qui connaît bien les proverbes ne peut pas être complètement mauvais ! » Et cette phrase aussi, c’est un proverbe…
Les proverbes ont de quoi fasciner. Ils expriment en quelques mots, de manière imagée, un précieux conseil, une règle de conduite, une vérité universelle et intemporelle. Ils expriment une sagesse fondée sur l’expérience et ils aident celui qui les écoute à devenir sage.
Mais ces belles formules ont-elles vraiment leur place dans la Bible ? Cette question ne date pas d’hier : le livre de Ben Sira le Sage — notre première lecture de ce dimanche (Si 27, 4-7) — a pu sembler si peu spirituel que les protestants ne l’ont pas retenu dans leur édition de la Bible. Ben Sira ne serait-il digne que des pages roses du Larousse ? De même, à première vue, les propos de Jésus dans l’évangile de ce dimanche, plein de bon sens, semblent moins théologiques que d’habitude. Ces paroles-là valaient-elles la peine d’être rapportées par saint Luc dans son évangile, et d’être lues à la messe dominicale (Lc 6, 39-45) ?
La sagesse à laquelle Ben Sira et le Christ nous exhortent n’est pas un simple état de sobre modération, l’équanimité du philosophe antique. Elle est plutôt un appel vigoureux à accomplir notre humanité.
La sagesse à laquelle Ben Sira et le Christ nous exhortent n’est pas un simple état de sobre modération, l’équanimité du philosophe antique. Elle est plutôt un appel vigoureux à accomplir notre humanité. Elle nous invite à choisir le tamis plutôt que le tapis : au lieu de mettre sous le tapis nos « petits côtés » pas très reluisants, elle nous encourage à les passer au tamis, à faire le tri des impuretés et des incohérences de nos vies.
Ce que disent nos paroles
Plus précisément, les proverbes de Ben Sira et le Christ soulignent combien la parole en dit long sur une personne. « On juge l’homme en le faisant parler… (Si 27, 5) car ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur (Lc 6, 45). » Car il est tentant de prétendre vivre une vie vertueuse, honnête, posée et irréprochable dans les actes, mais de se défouler par les mots. C’est d’ailleurs un reproche fréquent fait aux catholiques que nous sommes : une vie morale bien présentable, mais une capacité très grande à faire la leçon à autrui, et à entretenir les commérages.
Saint Philippe Néri, dans son confessionnal de la Chiesa Nuova, à Rome, avait un jour reçu une pénitente qui, au lieu de parler de ses propres péchés, avait profité de l’oreille attentive du confesseur pour médire de ses voisines. Avec patience, saint Philippe l’avait écoutée, puis lui avait donné une pénitence inattendue : « Allez au marché, achetez-y une poule, puis revenez à l’église en plumant la poule le long du chemin. Quand ce sera fait, venez me voir. » La dame s’exécute et revient au confessionnal. « À présent, dit saint Philippe avec un grand sourire, allez chercher les plumes dans la rue, et remettez-les sur la poule. — Mais, mon père, c’est impossible : les plumes se sont envolées au vent ! — Ma fille, avec les ragots, c’est pareil : facile à semer, impossible à rattraper ! »
Juste comme le palmier
Tout cela, ce ne sont pas seulement des dictons. Si Jésus s’autorise ces propos, c’est qu’il est lui-même, en personne, le Verbe de Dieu, la Parole qui fait ce qu’elle dit, qui guérit et qui sauve. En lui, la Parole atteint sa pleine mesure créatrice : si ses propos nous secouent, c’est pour notre bien, afin que sa sagesse fasse de nous pas seulement des gens bien élevés, mais des justes. Les gens bien élevés se tiennent droits… Les justes, eux, grandissent comme les palmiers, dit le psaume, et un palmier, souvent, ça penche.
Le palmier est un des plus vieux végétaux existants ; un arbre un peu particulier, qui n’a pas un tronc rigide, mais à la place une tige remplie de moelle. Aussi, quand vous le coupez, vous ne voyez pas les anneaux qui existent dans chaque tronc, et qui permettent de calculer l’âge de l’arbre ; cela explique aussi pourquoi le palmier ne s’élève pas parfaitement droit, mais un peu penché sur le côté. « Le juste grandira comme un palmier », dit le psalmiste (Ps 91) : de même que l’âge d’un palmier demeure caché, de même l’histoire de notre croissance dans la foi demeure le secret d’amour entre Dieu et nous. Et de même que le palmier penche sur le côté, le Juste grandit en ayant le regard tourné vers les plus petits et vers les pauvres, à l’écoute du maître, inclinant l’oreille de son cœur… Que la vraie sagesse nous fasse grandir du bon côté !