Atteint de déficience visuelle, Terry Byland n’a eu aucun problème avec le dispositif Argus I qui lui a été implanté en 2004. Cet implant rétinien a permis de restaurer sa vue. Quand la société Second Sight Medical Products lui a proposé l’Argus II, il était « impatient » de l’essayer (IEEE Spectrum, 15/02/2022). En juin 2015, Terry Byland était la seule personne au monde à posséder « deux yeux bioniques ». En passant des 16 électrodes de l’Argus I aux 60 électrodes de la nouvelle technologie, la vision de Terry s’est encore améliorée. Et lors d’une série de tests en 2016 et 2017, on l’informe de possibles « mises à jour logicielles qui multiplieraient par quatre son système pour atteindre environ 250 pixels, ainsi que d’une nouvelle unité de traitement vidéo ».
Mais le 18 juillet 2019, la société basée à Los Angeles informe ses patients de l’abandon progressif de la technologie d’implant rétinien pour passer au développement d’un « implant cérébral de nouvelle génération pour la cécité » : Orion. L’essai clinique a commencé l’année précédente et la « branche Argus » est difficile à rentabiliser. Finalement, Terry Byland apprend en 2020 que l’entreprise est au bord de la faillite. 350 patients, ou plutôt clients, de Second Sight se retrouvent dans un monde où « la technologie qui a transformé leur vie n’est qu’un gadget obsolète de plus ». Un gadget qui, en outre, présente des dangers pour leur santé car « un système Argus défectueux peut entraîner des complications médicales ou interférer avec des procédures telles que les IRM ». Et son retrait peut être douloureux… et coûteux.
Pour l’éthicien Anders Sandberg, cette histoire montre qu’« il est nécessaire d’obtenir un consentement éclairé non seulement sur la fonctionnalité médicale d’un dispositif, mais aussi plus largement sur sa fonctionnalité technico-économique » (BioEdge, 19/02/22). Les implants neuronaux, c’est-à-dire les dispositifs qui interagissent avec le système nerveux, font partie d’un domaine de la médecine en plein essor. Et les récentes avancées dans le domaine des neurosciences ont déclenché « une véritable ruée vers l’or », comme en témoignent les investissements de Neuralink, la société d’Elon Musk spécialisée dans les implants cérébraux. Certaines entreprises parlent de remédier à la dépression, de traiter la maladie d’Alzheimer, ou même d’« augmenter » les capacités cognitives.
De la réparation à l’augmentation ?
« Si l’on ne peut pas contrôler les parties de son corps — naturelles ou artificielles — on ne se contrôle pas soi-même », estime Anders Sandberg. Mais, au-delà, cette volonté de réparer ne risque-t-elle pas de dériver vers une volonté d’augmenter ? Et que dire d’un être humain qui devient dépendant de « mises à jour » régulières ? « Cet espoir d’un progrès n’est en réalité que le symptôme du mépris que nous exprimons envers l’être humain », analyse le philosophe et eurodéputé François-Xavier Bellamy dans l’Osservatore romano (20/01/2022). « Si un humain 2.0 est nécessaire, c’est parce que l’humain 1.0 n’est pas assez bon. » Pourtant, « nous ne pourrons qu’être structurellement insatisfaits du point où nous sommes arrivés », avertit-il. Car « après l’humain 2.0, nous aurons l’humain 3.0, tout comme nous avons eu la première version de l’iPhone, avec lequel on était admiré de tous il y a quinze ans, et qui nous rendrait aujourd’hui ridicules ».