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“Dimanche, nous n’élirons pas un sauveur de la France”

MOULINS BEAUFORT

Laurent Ferriere / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Mgr Dominique Blanchet, Mgr Eric de Moulins-Beaufort et Mgr Olivier Leborgne lors d'une conférence de presse le 8 novembre 2021.

Eric de Moulins-Beaufort - publié le 08/04/22

L’Assemblée plénière des évêques de France s'est tenue à Lourdes du 5 au 8 avril. Dans son discours de clôture, Mgr Eric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et président de la Conférence des évêques de France, a souligné les grands enjeux de demain : l'urgence climatique, les abus sexuels commis dans l’Église, les guerres et l'élection présidentielle. Voici le texte intégral de son intervention.

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Chers Frères évêques,
Madame et Messieurs les membres du secrétariat général,
Mesdames et Messieurs les directrices et directeurs des services nationaux,
Mesdames et Messieurs les journalistes,
Mesdames et Messieurs, chers amis, qui nous écoutez ce matin,

L’urgence climatique, l’urgence de la situation écologique, l’urgence de la dégradation mesurable de la biodiversité, nous les avons ressenties à travers nos invités diocésains, pendant le premier jour de notre assemblée. Le rapport du GIEC, publié il y a quelques jours, a établi, s’il en était besoin qu’il était trop tard pour atteindre l’objectif fixé à Paris lors de la COP 21 de limiter le réchauffement à 1, 5° par rapport au début de l’ère industrielle. Des actions sont ou seraient encore possibles mais elles exigent un changement drastique de nos modes de consommation, de production, de transport, de chauffage… Nos sociétés y sont-elles prêtes ? Y sommes-nous prêts, nous réunis ici pour ce discours de clôture ?

Or, nous l’avons réalisé une fois encore, ce sont certains pays parmi les plus pauvres de la planète et, dans ces pays, les plus pauvres de leurs habitants, qui vont subir les premiers les conséquences de ce réchauffement que nous ne maîtrisons pas, que nous peinons à chercher à maîtriser même un peu. L’urgence, que nos invités nous ont fait ressentir encore, est celle de leurs enfants, jeunes adultes ou adolescents, dont certains sont très mobilisés par toutes les problématiques du changement de mode de vie, dont beaucoup vivent dans l’anxiété ou l’angoisse pour demain. Notre pays, la France, est, nous le savons, spécialement privilégié : nous l’avons éprouvé encore en le traversant pour venir ici à Lourdes, sous un soleil radieux, dans la splendeur du printemps, où tout paraît facile et fécond. Nous n’ignorons pas pourtant les violences toujours possibles du climat, qui peuvent détruire les espoirs de récolte ; nous savons, nous les avions entendus s’il en était besoin en novembre dernier, l’angoisse que connaissent certaines personnes et certaines familles devant le renchérissement du coût des carburants dont ils ont besoin pour aller travailler, en particulier dans le monde rural, et qui obère leur capacité à se nourrir et à nourrir leurs enfants, l’impossibilité pour ceux-là de se nourrir d’une manière suffisante et en tout cas saine.

L’amour du Christ nous presse de nous faire proches des frères et sœurs lointains qui, les premiers, souffrent et souffriront des effets du changement climatique.

Or, “urgence”, à nous évêques, évoque sans doute une urgence d’un autre ordre. Un verset de saint Paul, dans sa deuxième lettre aux Corinthiens, au chapitre 5, l’évoque de manière saisissante : Caritas Christi urget nos, “l’amour du Christ nous presse, nous saisit, dit désormais la traduction liturgique, quand nous pensons qu’un seul est mort pour tous.” L’amour du Christ nous presse de nous faire proches des frères et sœurs lointains qui, les premiers, souffrent et souffriront des effets du changement climatique ; l’amour du Christ nous presse de faire proches de toute forme de vie ou même d’être, en nous réjouissant d’être interdépendants les uns des autres, devant la possibilité de notre existence à l’atmosphère, à l’eau, à l’air, à des micro-organismes innombrables, aux minéraux, aux végétaux, aux animaux, en qui nous reconnaissons des traces, des vestiges, des signes du Créateur et de sa bonté et l’amour du Christ nous presse lorsque nous constatons combien notre maison commune est abîmée, cette maison commune que lui, le Fils bien-aimé du Père, est venu habiter lui-même, pour y vivre avec nous et y mourir par nous et pour nous. Plus que jamais sans doute, nous devons constater que le moindre de nos actes : nous nourrir, nous habiller, nous déplacer, nous informer, nous rencontrer, déclenche une série de causes dont beaucoup abîment durablement la “maison commune”. Il y a urgence donc à agir, urgence à nous convertir, pour que le Christ puisse être aimé et pour que le Père qui l’a envoyé puisse être glorifié sans réserve. Les fortes interventions du P. Serge Sollogoub et de M. Martin Kopp nous ont aidés et peut-être même nous ont appris à mieux aimer le Seigneur Jésus, dans le mystère de son Incarnation, en le contemplant entré dans la création, dévoilant notre péché jusqu’au péché contre l’œuvre créatrice, et étant en lui-même, jusque dans sa chair ressuscitée, l’affirmation initiale et définitive : que tout cela est très bon.

Certains de vous qui m’écoutez, certaines et certains de nos invités de mardi et mercredi, beaucoup peut-être qui se sont intéressés à nos travaux sur l’écologie intégrale, seront déçus peut-être que nous ne publiions pas aujourd’hui, malgré ce que nous avions annoncé, un texte de proclamation de foi en Dieu créateur et sauveur ni des engagements fermes. Le temps nous a manqué. L’urgence de la situation et l’amour du Christ nous pressent, nous en sommes conscients. Un texte avait été préparé, lu et relu, soumis au regard de tous les évêques et de la commission doctrinale, mais il a manqué de temps pour l’élaborer ensemble, pour que tous et chacun des évêques et au-delà d’eux, pour que nos communautés puissent se l’approprier en vérité. Des engagements ont été suggérés par les référents écologie des diocèses, ils ont été travaillés ici, entre invités et évêques, mais ce temps-là n’a pas été suffisant pour qu’ils expriment un désir fort, un désir brûlant, des évêques, de leurs invités, des communautés chrétiennes. Le conseil permanent a donc choisi de confier ces documents : la proclamation de foi et les engagements au conseil « Famille et Société » et, sous sa conduite, au réseau des référents diocésains, pour qu’ils soient travaillés, pour qu’un jour prochain, à travers eux revus, retravaillés, réélaborés, puisse s’exprimer notre amour à tous pour le Dieu créateur et pour celles et ceux dont il nous donne de nous faire les prochains. Beaucoup se fait déjà : les évêques poursuivront leur conversion écologique, les diocèses et les paroisses enrichiront leurs initiatives en ce sens, tous aidés par les référents dont ils se dotent et nous suivrons avec attention notre progression collective au long des prochaines années.

Dans ce pas de côté, qui peut, encore une fois, décevoir, se trahit notre besoin de revoir nos structures de travail commun, afin que toujours mieux, plus souplement, plus adéquatement, l’amour du Christ qui nous presse puisse se traduire en actes et, s’il le faut, en paroles. Permettez-moi de situer ici le chemin de transformation que nous avons engagé. Nous aspirons à une collégialité qui nous rende mieux attentifs les uns aux autres, sans oublier que la collégialité, en sa vérité ecclésiologique, s’exerce dans la totalité du collège épiscopal qui succède au collège des Apôtres ; nous comprenons aussi que la collégialité rend possible la synodalité, c’est-à-dire la marche commune du peuple de Dieu en l’inscrivant dans l’appel du Christ Jésus et son envoi. Plus qu’une organisation plus souple et économe, nous désirons être mieux capable de faire entendre la promesse de Dieu à “toute la création” (Mc 16). Nous, évêques, remercions les personnes qui ont accepté de nous aider à réfléchir à cette transformation, de nous accompagner sur ce chemin. Nous saluons aussi celles et ceux qui ont participé au processus synodal que le pape nous fait vivre. La belle méditation de la synodalité que nous a offerte le Métropolite Dimitrios pourra nous inspirer tandis que celle du Pasteur François Clavairoly sur la souveraineté du Christ face à l’ultime limite qu’est la mort et sur l’impératif de justice qui en découle nous rappellera longtemps que la parole de foi est aussi une parole de responsabilité et de justice. Avec le témoignage de Mgr Khatchatryan et la présence du Pasteur Christian Blanc, ce moment œcuménique a renforcé en nous l’amour du Christ que nous sommes si heureux de pouvoir confesser ensemble.

Nous avons entendu dans la liturgie de l’Eucharistie de ces jours le chapitre 8 de l’évangile selon saint Jean. J’en retiens ce verset : “Si vous demeurez fidèles à ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ; alors vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres.” Or, quelle est, face à la terre, au sol, au ciel, à tous les êtres que nous y rencontrons, qui nous permettent d’être, la parole de Dieu à entendre ? “Dieu vit que cela était bon” et même : “Dieu vit que cela était très bon”.

Comment rendre possible à tous d’éprouver cette bonté originelle, lorsqu’elle se trouve polluée, défigurée, par les besoins de nos sociétés, par la captation qu’exercent les plus riches, les sociétés les plus riches et les plus riches dans les diverses sociétés. Outre nos fautes personnelles dans le gaspillage ou l’excès de consommation, par exemple, nous appartenons à des structures de péché dont nous ne pouvons pas dire jusqu’à la fin des temps qu’elles échappent à notre responsabilité. Pour nous chrétiens, c’est par le péché que la mort, la vraie mort, la mort qui renvoie vers le néant, est entrée dans le monde. Nous ne pouvons, face au Christ, esquiver longtemps la question de notre péché et de notre esclavage à son égard, mais nous le recevons comme une bonne nouvelle libératrice : nous ne sommes pas condamnés, nous les humains, à nous comporter en prédateurs sur cette terre, nous ne sommes pas condamnés à y semer la mort et la désolation, nous ne sommes pas voués à ne pouvoir vivre qu’au détriment de l’existence des autres, des plus pauvres et des plus fragiles. Nous pouvons être les intendants de Dieu, les serviteurs fidèles et sensés, qui contemplent la sagesse de Dieu et en font fructifier les dons pour le bien de tous. Nos sociétés occidentales prennent conscience que leur développement remarquable s’est fait, malgré tout, au détriment d’autres régions du monde et que sa course en avant dans la croissance continue à n’être possible que par la pollution ou la destruction d’autres espaces et d’autres êtres. Nous devons oser dénoncer les structures de péché. Nous voulons proclamer à tous que d’autres manières de vivre en humains sont possibles et qu’elles peuvent être réjouissantes, nous unissant davantage à notre Créateur et Sauveur.

Notre envoi de mercredi matin, nous l’avons fait devant des collégiens des établissements lassaliens du Sud-Ouest de la France venus en pèlerinage. C’était une chance. Si modeste notre texte puisse-t-il être, il veut dire aux générations qu’aucune épreuve, aucune difficulté, aucun drame ne peut totalement empêcher d’être des artisans de la réconciliation avec Dieu et en Dieu. Nous n’avons pas la solution à la crise écologique, nous ne savons comment produire sans susciter des déchets ou polluer. Mais nous sommes pleins d’espérance que toute recherche des humains en ce sens prépare le matériau du Règne à venir, ce que le Christ pourra récapituler pour la vie éternelle.

Face à la crise écologique, nous sommes conduits à être lucides comme nous avons appris à l’être à l’égard des violences et agressions sexuelles. Les personnes victimes ont souffert et souffrent d’avoir été objets de prédation, d’avoir été traitées comme des choses, des objets de désirs non maîtrisés d’un adulte, a fortiori d’un prêtre qui devrait être l’expression même de l’amour du Christ qui nous tire de nous-mêmes pour nous réconcilier avec Dieu et les uns avec les autres. Nous avons, pendant cette assemblée, fait le point sur la mise en œuvre des mesures que nous avions décidées en novembre. Les groupes de travail prévus sont enfin en place, le fonds SELAM est opérationnel, l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (INIRR) accueille celles et ceux qui veulent s’adresser à elle (526 situations enregistrées à ce jour) et commence à entrer en relation avec les personnes concernées, le tribunal pénal canonique sera opérationnel dans trois semaines.

Le petit enfant qui pleure, fixé à l’entrée de notre hémicycle, nous accompagne, comme un frère ou une sœur dont la douleur ne peut être oubliée.

Tout cela a été un peu plus lent qu’espéré, mais le pas décisif est franchi. Je remercie au nom des évêques M. Hervé Balladur qui a accepté de coordonner les groupes de travail et, à travers lui, les 9 pilotes de ces groupes et la centaine de personnes qui ont accepté d’y participer, notamment des personnes victimes envoyées par des associations ou des collectifs, ce qui marque aussi le progrès atteint dans nos relations. J’exprime ma gratitude à M. Gilles Vermot-Desroches et aux fondateurs du fonds SELAM et aussi à Mme Marie Derain de Vaucresson et à l’équipe qu’elle réunit peu à peu autour d’elle. Nous sommes reconnaissants, profondément, pour la générosité de leur engagement. En même temps que les équipes de la Commission Reconnaissance et Réparation de la CORREF, ces personnes vont mettre au point, peu à peu, une manière inédite de relation avec des personnes victimes, qui ne relèvera ni de l’assurance ni de la justice, mais qui ne nie ni ne remplace ni l’une ni l’autre, qui cherche plutôt à rendre possible à nouveau une relation avec l’Église, pour les personnes qui le désirent, même si c’est à distance et à travers un intermédiaire. Ainsi espérons-nous humblement mais de manière déterminée ouvrir un chemin de réconciliation là où il y a eu profanation. Nous sommes conscients que nous avons encore à travailler. Le petit enfant qui pleure, fixé à l’entrée de notre hémicycle, nous
accompagne, comme un frère ou une sœur dont la douleur ne peut être oubliée, et nous portons au cœur l’espérance qu’un jour ses larmes de souffrance puissent être des larmes d’émotion. Le Conseil pour la lutte contre la pédophilie et le service national nous y aideront. Nous avons découvert encore, en novembre dernier, comme il est juste et bon de reconnaître son péché : c’est la condition pour sortir de la complicité avec les forces de mort et de l’esclavage de la prédation.

Nous avons vécu cette assemblée dans le contexte de la guerre en Ukraine. Je redis au nom des évêques notre amitié fraternelle à Mgr Hlib Lonchyna, évêque de l’éparchie gréco-catholique de Paris. Célébrer avec lui la messe en rite gréco-catholique ukrainien, nous a associés en profondeur à sa prière et à sa supplication pour ce pays qui lutte pour la vérité et la justice. Je remercie aussi tous ceux et toutes celles qui offrent de l’aide pour le peuple ukrainien. L’éparchie peut être le canal adéquat pour la faire acheminer. Là encore, la charité du Christ nous presse, parce que c’est lui qui meurt encore à Kharkiv ou à Mariopolis, chaque fois qu’un être humain meure ou souffre de la faim, c’est lui qui meurt parce qu’un autre peuple, surtout un peuple chrétien, prétend prendre ce qui n’est pas à lui.

Nous n’oublions pas pour autant le drame de l’Arménie et les destructions culturelles irréversibles que l’Azerbaïdjan fait subir à la zone qu’il a conquise, Mgr Katchatryan en a porté témoignage devant nous. Nous pensons encore et toujours au Liban où la présidence de notre Conférence espère pouvoir aller en mai rendre visite aux différents chefs d’Églises et rencontrer ceux et celles qui bénéficient de ce que les Français peuvent envoyer. Le 25 mars dernier en la fête de l’Annonciation, nous nous sommes joints, comme il nous le demandait, au geste du Saint-Père qui consacrait l’humanité entière et donc notre pays, mais spécialement la Russie et l’Ukraine au cœur immaculé de Marie. Avec lui, nous demandons instamment que se lève sans tarder une paix dans la justice et la vérité, une paix des armes qui prépare celle des cœurs, une réconciliation des frères, un temps ennemi, par-delà toute haine, tout ressentiment, toute douleur.

Nous aurons à choisir un responsable politique, homme ou femme, celui ou celle qui aura à conduire notre pays dans ces temps spécialement incertains de fractures sociales, de crise sanitaire, de crise écologique, de guerre toujours possible.

Dimanche, après-demain, sera jour d’élection présidentielle dans notre pays. Les enjeux en sont grands, l’issue est incertaine. Mais ce dimanche est surtout pour nous celui des Rameaux. Nous tous baptisés allons acclamer le Seigneur qui entre dans Jérusalem. Il est le roi, le seigneur de nos âmes. Lui seul est digne que nous lui attachions notre liberté. Lui seul est le roi doux et humble, qui monte monté sur un âne. Devant lui toute puissance politique se trouve relativisée, non pas humiliée, non pas détrônée, mais mise à sa place. Dimanche, nous n’élirons pas un sauveur de la France, ni un messie, ni quelqu’un qui devrait incarner tout le bien à faire. Nous aurons à choisir un responsable politique, homme ou femme, celui ou celle qui aura à conduire notre pays dans les temps toujours incertains où l’humanité avance, dans ces temps spécialement incertains de fractures sociales, de crise sanitaire, de crise écologique, de guerre toujours possible. Il n’aura pas la solution à tout, il ne pourra pas empêcher toute immigration, il ne saura pas inventer l’énergie infiniment renouvelable, transportable, efficace. Il ne pourra pas non plus changer les cœurs. Il aura à nous conduire tous, sur la moins mauvaise voie possible, en cherchant, selon ce que préconise le texte du conseil permanent à propos des élections, en cherchant à renforcer notre élan collectif pour choisir de vivre ensemble en paix. Vivre cela n’est pas établir le Royaume des cieux, c’est le symboliser, et c’est déjà s’orienter, le sachant ou non, le voulant ou non, la réconciliation en Dieu.

Il y a un siècle cette année, le 2 mars 1922, le pape Pie XI confirmait Marie, dans le mystère de son Assomption, patronne principale de la France, et sainte Jeanne d’Arc, patronne secondaire. Il y a 80 ans, le 23 août 1942, le cardinal Saliège, archevêque de Toulouse, pourtant perclus par la maladie, à moitié paralysé, publiait sa lettre pastorale sur la personne humaine, alors que le régime de Vichy avait publié les lois antijuives et contribué aux rafles des nazis. Des personnes courageuses ont distribué ce texte dans les paroisses du diocèse pour qu’il soit lu en chaire. Dans une telle parole, dans de tels actes, nous percevons la France, notre pays, dans ce qu’il a de meilleur et de vrai, dans sa vraie liberté. Un chercheur, spécialiste des violences de masse, Jacques Semelin, a étudié ce qui a rendu possible que les deux-tiers des Juifs de France échappent à la solution finale. Quelques-uns ont été sauvés par des Justes, conclut-il, beaucoup, en fait par eux-mêmes, mais ils ont pu le faire parce que quelqu’un, pas toujours mais souvent, un baptisé, leur a ouvert une porte, offert un déjeuner, plus simplement encore les a laissé passer sans rien dire ni rien voir.

Là se perçoit l’âme chrétienne de notre pays, façonnée par la charité, qui reconnaît le Christ dans toute détresse, le Christ Jésus qui, non seulement est entré dans sa création, mais qui, selon le mot de saint Paul, “s’humilia plus encore” (Ph 2), et celui du bientôt saint Charles de Foucauld qui nous a été commenté, est le Christ de l’abjection, celui qui dût se cacher ; dans une telle parole et de telles actes vibre la sainteté ordinaire qui se consume au jour le jour dans le don de soi et se tient prête à se donner tout d’un coup lorsqu’il le faut ; la sainteté ordinaire et extraordinaire qui sait se faire hospitalité lorsqu’il le faut. Il me faut le dire encore : l’âme du cardinal Saliège était indemne de tout antisémitisme et il y a encore trop d’antisémitisme, caché ou non, dans notre pays ; le Christ de l’abjection, il pourrait être dans des personnes âgées qui sentiraient peser la pression de l’euthanasie
si celle-ci était un jour légalisée. il est déjà dans les migrants clandestins ou non que notre Etat et, plus généralement, notre société ont du mal à accueillir comme des frères et sœurs en humanité traite comme des délinquants. Le 15 août prochain, nous pourrons rendre grâce à Dieu pour la protection de notre Dame sur notre pays et en renouveler la consécration, en suppliant pour que de nombreux Saliège ou Théas se lèvent, de nombreuses Thérèse Dauty, lorsqu’il le faut. Et nous reconnaissons volontiers l’œuvre de Dieu en tant de non-chrétiens ou de peu chrétiens qui savent aussi trouver le geste ou la
parole qui amènent de la vie et de l’amour là où la peur et la haine pourraient l’emporter.

Notre pays ne se définit pas par la nostalgie de ses grandeurs passées, il ne se grandit pas en prétendant s’entourer de murs, il ne se grandirait pas non plus s’il en venait à renoncer à accompagner les êtres humains jusqu’au bout de leur vie en les entourant de fraternité au profit d’une mort prétendument douce. Notre pays est vivant lorsqu’il porte au milieu des nations la voix du respect de toute personne humaine et de l’espoir de pouvoir nouer une alliance avec elle.

Chers Frères évêques, nous nous retrouverons en juin, pour l’assemblée plénière extraordinaire consacrée au synode sur la synodalité qui se tiendra à Lyon. Cette année est riche, pour certains elle est lourde, en rencontres. Nous y exercerons le discernement qui nous est demandé et que nous devrons rendre au nom du Seigneur Jésus. Vous vous êtes dotés d’une présidence et d’un conseil permanent renouvelés, qui prendront le relais à partir du 1er juillet. Que le Seigneur rende au centuple à nos Frères Olivier Leborgne, Pascal Wintzer, Philippe Mousset, Jean-Pierre Batut, Jean-Marc Eychenne, ce qu’ils ont donné pendant leurs années au conseil permanent ; qu’il fortifie nos Frères Vincent Jordy, Jean-Marc Aveline, Pierre-Antoine Bozo, Sylvain Bataille, Alexandre Joly qui vont y rejoindre Dominique Lebrun et Matthieu Rougé. Ensemble, nous tâcherons de vous servir pour que tous, nous rendions gloire à Dieu par notre action. Puissiez-vous tous, lors de la messe chrismale, éprouver avec les prêtres, les diacres et tous les baptisés, combien l’amour du Christ nous presse et comme il doux et fortifiant d’être saisis par lui,

+Eric de Moulins-Beaufort.

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