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Canonisation de Charles de Foucauld ce dimanche 15 mai. Enfin ! Il avait été béatifié en 2005 seulement, alors que sa notoriété n’a jamais faibli depuis sa première biographie, publiée en 1921 (cinq ans après sa mort) par le romancier catholique et académicien René Bazin : Charles de Foucauld, explorateur du Maroc, ermite au Sahara. L’intéressant aujourd’hui n’est pas de savoir pourquoi la reconnaissance officielle a tant tardé : cela n’a rien d’exceptionnel (il a fallu près de cinq siècles pour Jeanne d’Arc). Il faut d’abord saisir pourquoi et comment l’Église proclame des bienheureux et des saints, avant d’essayer de prendre la mesure de ce que le nouveau saint a apporté et a toujours à offrir.
Serviteur, vénérable, bienheureux, saint…
Il importe de bien voir que béatifications et canonisations ne sont pas des décisions souverainement arbitraires du Vatican. C’est bien plutôt, lorsqu’il s’agit d’un bienheureux, la reconnaissance formelle de la validité d’un culte qui ne s’est pas développé sur commande, mais spontanément et le plus souvent localement. Dans une canonisation ensuite, et toujours pour répondre à une demande, ce culte est proposé (mais non imposé) à l’Église entière. Dans des étapes encore antérieures, la personne présentée à la Congrégation pour les causes des saints peut être déclarée « serviteur » ou « servante de Dieu » en raison de sa foi manifeste et de ses œuvres, puis « vénérable », en raison de l’« héroïcité » de ses vertus, c’est-à-dire de leur caractère peu ordinaire et exemplaire.
C’est là le principe du progrès peut-être le plus net du catholicisme au XXe siècle : l’adhésion personnelle et intime à la personne du Christ (…
Tout cela est bien sûr établi après enquête (recueil et étude de témoignages et de documents, etc.). Mais il est bien connu qu’en plus, un miracle est requis pour la béatification d’un(e) vénérable et un second pour la canonisation d’un(e) bienheureux(se). Et là encore, il ne faut pas se méprendre. Ce qui est décisif n’est pas le constat qu’une vie a été épargnée de façon rationnellement inexplicable. Guérisons et sauvetages incompréhensibles ne sont pas si rares. Ce qui fait la différence, c’est qu’il soit avéré que le fait « miraculeux » a été précédé de l’invocation de celui ou celle qui est déjà vénérable ou bienheureux. Car c’est la marque qu’il n’est pas vain de le ou la prier, et donc que ce culte (consistant à solliciter son intercession) est bien légitime, puisqu’il est fécond.
Un martyr plutôt qu’un des convertis de le « Belle Époque »
Béatifications et canonisations servent donc à amplifier, en la popularisant et en l’encourageant, cette dynamique de transmission de grâces selon le principe de la communion des saints. Reste à discerner chaque fois le « message » ou la leçon — en d’autres termes la voie d’ouverture à Dieu frayée par le (ou la) saint(e) : un chemin qu’il ne s’agit pas simplement de suivre comme s’il était d’avance tout tracé et parfaitement balisé, mais où il faut humblement demander sans cesse l’aide de celui ou celle qui s’y est engagé(e) jusqu’au bout et y reste disponible.
Charles de Foucauld explore le Maroc et c’est en fréquentant les musulmans qu’il découvre ce qu’est véritablement une religion et que la prière est pour l’homme une activité vitale.
En ce qui concerne Charles de Foucauld, on le range habituellement parmi « les convertis de la Belle Époque » : Paul Claudel, Jacques Maritain, Ernest Psichari, Charles Péguy, Jacques Rivière, Alain-Fournier, Francis Jammes, Max Jacob… C’est un peu court, car il se distingue en ce qu’il n’a pas une production littéraire aussitôt publiée, lui valant le statut d’écrivain. Mais il apparaît assez vite comme un maître spirituel et même un mystique. Ce qui fascine chez lui, ce n’est pas le sensationnel somme toute assez banal et bon marché du contraste entre sa jeunesse dissipée, voire dissolue, et la radicalité de sa conversion, qui incite son confesseur et mentor, l’abbé Huvelin, à le modérer. Il n’y a pas non plus à s’attarder sur le soupçon qu’il a été assassiné pour d’autres raisons que la « haine de la foi » et ne serait donc pas mort en martyr : polémique inutile, car il avait assurément donné sa vie depuis longtemps.
Mystique pour tous
C’est donc la spiritualité de Charles de Foucauld qui doit captiver. Il serait présomptueux de la résumer en quelques phrases. La clé en est probablement sa prière devenue à juste titre un cantique : « Mon Père, je m’abandonne à toi. Fais de moi ce qu’il te plaira. Quoi que tu fasses, je te remercie. Je suis prêt à tout, j’accepte tout… » C’est là le principe du progrès peut-être le plus net du catholicisme au XXe siècle : l’adhésion personnelle et intime à la personne du Christ, dont la piété formelle et les retombées sociales et intellectuelles sont à la fois des moyens et des conséquences. L’union mystique, avec ses exigences et ses risques, est alors vocation de tous, et non plus seulement de rare privilégiés.
Il en porte l’image rouge, surmontée d’une croix, sur son vêtement. C’est le signe que la prière, la vie intérieure est union aux sentiments qui ne cesse d’animer le Fils de Dieu fait homme, mort et ressuscité.
Mais plusieurs aspects constitutifs de cette spiritualité aussi radicale qu’antiélitiste ne sont pas sans pertinence aujourd’hui. D’abord la proximité avec le judaïsme et avec l’islam. C’est en compagnie d’un rabbin que Charles de Foucauld explore le Maroc et c’est en fréquentant les musulmans qu’il découvre ce qu’est véritablement une religion et que la prière est pour l’homme une activité vitale. Ce constat a des précédents chez saint François d’Assise et reçoit des échos dans les « retrouvailles » entre l’Église et le peuple d’Israël, dans l’enracinement des moines de Tibhirine et de tant d’autres martyrs en Algérie, et plus largement encore jusque dans le dialogue interreligieux comme les rencontres d’Assise à partir de 1986.
Le prêtre et l’eucharistie
En second lieu, Charles de Foucauld est un pionnier de la « modernité » chrétienne qui se cristallisera à Vatican II : comme explorateur, c’est un vrai scientifique (géographe, linguiste, ethnologue, éducateur) ; il combat l’esclavage et la sujétion des femmes, mais il valorise la culture des Touaregs ; il respecte la liberté de conscience, ne cherche pas à convertir à toute force et veut prêcher l’Évangile non par la parole, mais par une présence attentive ; il cherche à enrôler des laïcs dans la fraternité de sa prière, où il préfère la langue usuelle au latin… En un mot, il n’est pas du tout « clérical ». Et pourtant, il est totalement soumis à la hiérarchie et aux règles de l’Église et il s’aperçoit que, pour être à la dernière place avec le Christ, il doit demander à être ordonné prêtre — une compréhension du sacerdoce à méditer ces temps-ci…
Que la mission de ceux qui sont associés au ministère des successeurs des apôtres de Jésus soit indispensable transparaît à l’évidence pour Charles de Foucauld dans la messe – non pas auto-expression de la communauté, mais don de Dieu lui-même qui s’offre là concrètement et immédiatement par l’intermédiaire de ceux qu’il a appelés à le faire. Pour l’ermite de Nazareth puis du Sahara, la proximité physique du Christ dans l’hostie consacrée motive les heures passées à genoux devant le Saint-Sacrement. Ce n’est pas une évasion dans la contemplation : c’est là qu’il est rendu disponible aux autres.
Le Sacré-Cœur
Pour Charles de Foucauld, l’adoration eucharistique est indissolublement liée au culte du Sacré-Cœur. Il en porte l’image rouge, surmontée d’une croix, sur son vêtement. C’est le signe que la prière, la vie intérieure est union aux sentiments qui ne cesse d’animer le Fils de Dieu fait homme, mort et ressuscité. De passage à Paris en quête de soutiens en avril 1909, il va avec son disciple Louis Massignon passer la nuit à la basilique de Montmartre, dédiée au Cœur du Christ et alors en construction, où déjà le Saint-Sacrement est exposé en permanence. Peut-être le message du saint est-il que la réponse à nos questions est à aller mendier là-haut, à sa suite et avec son aide.