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Devenir humain : ce que nous disent les squelettes de nos ancêtres

Yves Coppens

Aurimages via AFP

Yves Coppens au Musée de l'homme à Paris en 1991

Blanche Streb - publié le 27/06/22

Grâce aux découvertes paléontologiques, comme celles d’Yves Coppens décédé le 22 juin à l’âge de 87 ans, nous savons que l’homme est celui qui sait aider les plus faibles, les "inutiles". L’humain, constate Blanche Streb, directrice de la formation et de la recherche d’Alliance Vita, c’est le meilleur dont l’homme est capable.

L’illustre paléontologue français Yves Coppens, dont le nom restera pour toujours attaché à celui de Lucy, australopithèque de 3 millions d’années, est mort ce 22 juin 2022. Ce professeur émérite au Muséum national d’histoire naturelle était un spécialiste des fossiles humains et donc de l’histoire humaine et de son évolution. En l’an 2000, lors d’un colloque intitulé “Le malheur des autres : souffrance et culture” organisé au Collège de France par Xavier Le Pichon, un autre éminent scientifique, Yves Coppens avait donné une communication sur la découverte, dans une tombe, en Irak, d’un squelette adulte, âgé de 60 à 100.000 ans. 

Une extraordinaire preuve d’humanité

Ce squelette était particulier. Ses os présentaient de multiples fractures mais ces blessures n’avaient pas causé la mort de cet homme, qui était donc infirme. Peut-être avait-il fait une chute accidentelle ? Une chose est sûre, dans son état, il ne pouvait plus se déplacer et il avait perdu l’usage de son bras droit. Il était incapable de prendre soin de lui-même. Or, à ce moment de l’histoire, les hommes et les femmes vivaient de chasse et de cueillette. Ils se déplaçaient pratiquement tous les jours pour trouver leurs moyens de subsistance, leur lieu de vie n’était pas fixe. Ainsi, si l’homme au squelette en miette a survécu de nombreuses années malgré son état, c’est parce qu’il a été entièrement pris en charge par les autres. 

Ce sont les membres les plus faibles, les plus marginaux, les plus atteints de la société qui depuis le début de l’histoire de l’homme ont eu le pouvoir de l’attirer hors du monde animal.

Il s’agit d’une extraordinaire preuve d’humanité. Car on imagine l’effort considérable pour le transporter sans cesse et prendre soin de lui : il y a 100.000 ans les moyens n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui… D’autres découvertes en Géorgie confirmeront l’existence, il y a près de 2 millions d’années, d’une organisation sociale permettant d’aider les plus faibles. Une mandibule édentée avec des traces de maladie dont les alvéoles se sont cicatrisées prouvent qu’un homme a pu survivre malgré ce sérieux handicap, ce qui aurait été impossible sans l’aide de sa communauté.

La vraie compassion

“Face à la logique utilitaire qui domine le monde, l’homme a imaginé un moyen de mettre au centre de sa communauté une personne qui n’avait plus d’“utilité”, lui permettant ainsi de continuer à occuper sa place dans la société. Un tel choix, qui peut sembler insensé, conduit inévitablement à une réorganisation de la société” commentait Xavier Le Pichon, qui a toujours été très attaché à la question de la fragilité humaine et du handicap. Pour ce pionnier de la tectonique des plaques, le lien entre la science et les personnes souffrantes était crucial pour le développement de l’humanité. Reprenant les leçons que nous donnent les fossiles humains, il exprimait que “la mise au centre de la société de ceux qui souffrent est spécifique à l’humanité. Et ce phénomène est aussi vieux que l’humanité. Ce sont les membres les plus faibles, les plus marginaux, les plus atteints de la société qui depuis le début de l’histoire de l’homme ont eu le pouvoir de l’attirer hors du monde animal ou au contraire, lorsqu’ils sont rejetés, de le rabaisser au plus bas niveau”.

En somme, les personnes fragilisées ont de tout temps participé à rendre l’être humain, humain. En français, être humain à plusieurs sens. Il désigne celui qui est un être humain mais aussi ce dont l’homme est capable. Être humain s’entend comme être capable de compréhension et de compassion. L’ “humain”, c’est finalement le meilleur dont l’homme est capable. En ces temps où planent la tentation de l’euthanasie, au bout de la vie, et l’acclimatation à l’eugénisme, au début de la vie, nous savons bien que l’homme est capable du pire comme du meilleur, et que chaque époque apporte d’admirables progrès et supporte d’indiscutables régressions. “Devenir humain” est un chemin sur lequel la compassion sert de balise. Ne laissons pas la société fossiliser ou pervertir en fausse pitié cette si belle vertu. La vraie compassion rend solidaire de la souffrance d’autrui mais ne supprime pas celui dont on ne peut supporter la souffrance.

Tags:
Archéologiehumanité
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