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“Le matin, les enfants venaient à l’école. L’après-midi, leurs parents se tiraient dessus”. C’est ainsi que le père George Gereige, responsable de l’école maronite du quartier de Tebbaneh, dans les hauteurs de Tripoli, résume une situation ubuesque qui a duré de 2008 à 2014. En tout, 21 batailles se sont succédées autour de cette école devant laquelle restent aujourd’hui stationnés un vieux char et un soldat désœuvré. Il faut dire que l’établissement est situé exactement sur la frontière qui sépare les régions sunnite et alaouite de Tripoli, ville réputée pour être la plus dangereuse du Liban et la plus pauvre de l’ensemble du bassin méditerranéen.
C’est par un mauvais bitume que l’on accède à cette école dont les abords font croire au visiteur d’un jour qu’il s’approche d’une prison. Les palissades en béton et les fil barbelés rouillés donnent le ton. Les murs des habitations voisines portent les stigmates des impacts de balles. “Ils se sont fait la guerre comme on joue à un jeu”, raconte le père George, avec un flegme déconcertant. En poste depuis 1999, le responsable chrétien n’a jamais baissé les bras.
Mais comment une guérilla a-t-elle bien pu s’installer autour de cette école ? “Des politiciens utilisent Tripoli pour envoyer des messages… Et la guerre est un message”, explique le prêtre. Dans un Liban usé par le communautarisme et où religions et politique s’entremêlent savamment, les rapports entre les musulmans alouites – liés aux chiites et donc au Hezbollah – et sunnites constituent un cocktail hautement inflammable. Et certains n’hésitent pas à s’en servir, au gré des intérêts. “C’est si facile de déclencher une guerre ici, dans ces milieux peu éduqués et où l’on trouve un fusil dans chaque maison”, insiste le père George.
Son école comptait 450 enfants avant le début des hostilités, en 2008. Après être tombées à une centaine d’élèves, les inscriptions grimpent de nouveau et l’établissement scolarise aujourd’hui 250 élèves. Fait remarquable : dans les classes – tenues par des enseignants chrétiens – se mélangent sunnites et alaouites. “Nous n’avons que deux chrétiens”, glisse le maronite qui raconte avec une simplicité déroutante comment l’école a fait pour traverser la guérilla sans jamais en devenir le théâtre.
Quand l’école était vide, les combats commençaient.
“Dans notre école, il y avait des enfants dont les pères étaient les chefs de guerre. Ils nous informaient qu’il y aurait la guerre l’après-midi. Nous avions un dispositif qui nous permettait d’avertir par message tous les parents en cinq minutes pour qu’ils viennent chercher leurs enfants. Quand l’école était vide, les combats commençaient”.
Lorsque, le matin, le père George s’apercevait que des enfants de chefs de guerre manquaient à l’appel, il appelait immédiatement leurs familles pour savoir si cela augurait des combats à venir. “Quand on me disait qu’il allait y avoir un temps nuageux, je savais à quoi m’en tenir… Je raccrochais et prévenais immédiatement les familles du camp d’en face pour leur dire de venir chercher les enfants”. La classe était finie et les adultes reprenaient leur guerre.
Extirper les enfants de la culture de la violence
Durant les six années de conflits armés, les responsables de l’école ont veillé à ce que les combats des parents restent toujours à l’extérieur. “Même les chefs de guerre étaient d’accord”, souffle le père George qui a toujours fait appliquer le règlement de l’école à la lettre. Les familles des deux camps ont continué de mettre leurs enfants dans cette école chrétienne. “Parce qu’elles veulent que leurs enfants soient éduqués et civilisés, assure le prêtre. Certains parents nous considèrent comme La Sorbonne, nous qui faisons étudier le français aux élèves”.
Pour extirper les enfants de la culture de violence dans laquelle ils évoluent, le corps enseignant mise beaucoup sur les mamans. “On travaille beaucoup avec les mères, pour qu’elles chassent la haine qui est présente partout. Nous faisons des promenades de groupes qui permettent de partager et de comprendre que l’autre n’est ni le diable, ni un ennemi”, détaille le prêtre.
Des douilles dans la cour de récré
À quelques centaines de mètres de là, dans le quartier alaouite de Jabal Mohsen, un autre établissement tenu par les maronites est confronté aux mêmes violences. “Un grand nombre de parents d’enfants scolarisés ici sont morts, ou bien handicapés, ou bien en prison à cause des ces batailles”, raconte Joseph Antoine, responsable de l’école Kobbet al Naser qui ne compte que trois élèves chrétiens sur les mille inscrits.
Dans son bureau, l’homme montre une petite boite. “Ce sont des douilles que nous avons retrouvées sur le terrain de l’école”, explique-t-il, sans pour autant paraître découragé. “L’école est le lieu pour apaiser les tensions. Nous faisons en sorte d’asseoir aux mêmes tables des enfants sunnites et alaouites, de tout faire pour remplacer cette culture de haine en culture de paix. C’est la seule issue”.