Le Pape du “grand refus” : c’est ainsi que l’Histoire qualifie saint Célestin V, un pape ermite qui ne régna que quelques mois, de juillet à décembre 1294, avant de renoncer à sa charge à l’âge de 85 ans, une longévité rarement atteinte à l’époque.
Canonisé moins de vingt ans plus tard, ce moine bénédictin fait l’objet d’une grande vénération dans les Abruzzes mais fut quelque peu oublié au niveau de l’Église universelle, jusqu’au geste prophétique de Benoît XVI, qui déposa en 2009 sur la châsse de Célestin V son pallium reçu lors de sa propre messe d’installation. Quatre ans plus tard, ce geste fut compris comme une annonce de sa propre renonciation.
L’histoire de Célestin V dénote par rapport aux papes de son temps. Déjà octogénaire et retiré dans une vie contemplative, Pietro de Morrone, un moine reconnu pour sa grande aura spirituelle, fut contraint de sortir de sa retraite en juillet 1294 dans des circonstances de grave crise pour la papauté, les cardinaux s’accordant finalement sur son nom après plus de deux ans de vacance du siège pontifical.
Informé de cette étonnante élection par une délégation venue le rencontrer dans son ermitage, il l’accepta et se fit couronner le 29 août 1294 à la basilique Santa Maria di Collemaggio à L’Aquila. Cette cérémonie, à l’occasion de laquelle il promulgua une “Bulle du Pardon” promettant l’absolution des péchés, marqua l’origine du Pardon célestinien organisé chaque dernier dimanche d’août dans cette ville.
Un “bref et douloureux pontificat”
Échouant dans sa tentative d’orienter l’Église vers un esprit de dépouillement inspiré à la fois de la tradition franciscaine et de la tradition bénédictine, Célestin V renonça à sa charge le 13 décembre 1294, et s’éteindra dans sa vieillesse deux ans plus tard, après avoir été mis sous surveillance par son successeur Boniface VIII.
Un an après sa visite à L’Aquila, Benoît XVI rendit hommage au “bref et douloureux pontificat” de ce “chercheur de Dieu” lors d’une messe célébrée à Sulmona, le 4 juillet 2010, à l’occasion du huitième centenaire de sa naissance.
Signal de renonciation ou appel à une Église plus dépouillée ?
Plus de neuf ans après la renonciation du pontife allemand, de nombreuses rumeurs accompagnent ce déplacement du pape François qui s’inscrit dans un agenda déjà surchargé. Il se situe lendemain du consistoire durant lequel 20 nouveaux cardinaux doivent faire leur entrée dans le Sacré-Collège, et à la veille d’une réunion des cardinaux du monde entier au sujet de la nouvelle Constitution apostolique sur la Curie romaine. Alimentant lui-même les rumeurs, le Pape a dit à plusieurs reprises que son éventuelle renonciation n’est pas un tabou.
“Je crois qu’à mon âge, et avec ces limites, je dois m’économiser un peu pour pouvoir servir l’Église, ou au contraire penser à la possibilité de me mettre de côté”, avait reconnu le Pape lors de sa conférence de presse au retour du Canada, en juillet dernier.
Parmi les journalistes mais aussi parmi les cardinaux eux-mêmes, les interrogations sur une éventuelle renonciation papale se poursuivent, certains s’attendant à une annonce imminente, d’autres pensant qu’une renonciation à court terme serait improbable compte tenu des projets du pape François, notamment ses possibles voyages en Ukraine ou encore au Soudan du Sud.
Célestin fait du pardon l’antichambre de la paix.
Cette frénésie est prise avec distance par l’historien Angelo De Nicola, auteur du livre Les papes et Célestin V. “Je ne crois pas que François ait choisi la visite à L’Aquila le 28 août pour démissionner ou pour faire allusion à son intention”, assure-t-il dans un entretien au quotidien Il Messaggero. Considérant que “Célestin fait du pardon l’antichambre de la paix”, il considère plutôt ce voyage comme une appel à la réconciliation et à l’humilité pour toute l’Église.
Le Jubilé du Pardon célestinien rejoint donc la tradition de la miséricorde offerte aux pauvres, chère au pape argentin. Ce rite d’ouverture de la Porte Sainte s’inscrit aussi dans la continuité du Jubilé de la Miséricorde qu’il avait organisé en 2015-2016. Au-delà des spéculations sur son éventuelle renonciation, la visite du pape François, qui sera le premier successeur de Célestin V à venir pour ce Jubilé depuis 728 ans, s’inscrit dans cette volonté de “franscicanisation” d’une Église appelée au dépouillement, à la simplicité et à la liberté face aux pressions politiques.